Eliasse à John Lennon

Eliasse & Groundation, fin de tournée. Il y a un mois, l’artiste comorien embarquait, avec ses amis californiens, à bord d’un Tourbus pour des concerts à travers la France, l’Italie, l’Allemagne, le Pays-Bas et le Luxembourg. Dix-sept dates, dont la dernière se jouait au centre John Lennon, à Limoges, ce dimanche 21 avril 2019.

Sous une fine averse, par un temps assez lourd, le public fait la queue pour accéder à la salle. Des fans des Groundation, groupe reggae. Sur l’affiche, il y a aussi écrit Eliasse. La promesse d’une belle découverte pour ce public limousin. On y entre à moitié aveugle, le mystère ne pouvant être total au temps de YouTube et autres plateformes d’écoute. A l’intérieur de la salle, au niveau de l’accès, le public attend. Il est 20h45. C’est bientôt, le show. Eliasse aussi attend. Il est là, au milieu de tous. Personne ne lui prête attention, le reconnaît-on au moins ? Les artistes, c’est sur scène qu’on les attend, pas au milieu de tous. L’homme s’étire. Discret. Un bonjour par-ci, un sourire par-là, de temps à autre.

Et d’un coup, la main ouverte sur la bouche, à la manière des muezzins d’antan, l’artiste lance un long « haymeeeeee » qui interpelle. Un deuxième appel, cette fois, en virevoltant, puis il se met à descendre les marches vers la fosse. « Ça picole trop ici, c’est pas bon », lance-t-il au coin du bar, et poursuit son chemin. On se croirait dans une performance de spoken word : « bonsoir mesdames et mesdames ». Quelques rires timides fusent. Il poursuit : « On m’avait dit que le public ici était très, très, froid, ça se confirme, merci pour l’accueil ». Cette fois, ovations et applaudissements. L’artiste est déjà sur scène. Une bouteille vide à la main, il souffle dedans, avec des bruits de thorax, tel un joueur de flûte peul. Au pied, une stompbox, avec laquelle il donne une pulserégulière. Un appel rythmique auquel adhère aussitôt le public.

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A Lenonn © F.A.T

Son parcours, à Eliasse, durant cette tournée, on pouvait le suivre à travers les réseaux sociaux. L’artiste diffusait photos et courtes vidéos, partout où il passait aux côtés de Groundation. On le voyait aussi, à bord d’un Tourbus, ukulélé en main, son nouvel instrument fétiche, comme pour meubler les kilomètres à parcourir. Parfois, il était en compagnie de Harrison Stafford, le leader de Groundation. Entre les deux, on sentait une complicité naissante. Ce n’est pas la première fois que le musicien comorien est l’invité d’un grand nom. Il a également fait la première partie de Lulu Gainsbourg pour des concerts en France en 2018.

Eliasse fait le choix d’une configuration allégée pour porter sa musique. C’est sans ses amis habituels, Jimmy Rakotoson, batteur malgache, et Moadib Garti, bassiste belgo-marocain, qu’il monte sur scène. Seul, mais pas démuni. L’artiste est équipé d’un petit arsenal de pédales – looper, harmoniseur, stompbox – ainsi que d’autres instruments, tel son mkayamba. Derrière lui est posée une guitare de rechange, comme un objet scénographique, nous rappelant un concert qu’il eut à finir avec une corde en moins. Ce que peut lui coûter son jeu percussif de Za N’goma

Parlant de Za N’goma, Eliasse va-t-il, ici, nous plonger dans le tourbillon rythmique de ce style, dont il se réclame depuis son premier album ? Certains titres en ont le groove, comme Riepve, sorti sur son premier album, où un jeu de slap à la Keziah[1] s’ajoute à la rythmique mgodro initiale _ Un mélange de ses influences, qui lui fait gagner en puissance à la guitare. Il y a également Gungu, tenant sur la boucle d’une guitare cocotte. Avec de légères variations. Le morceau nous embarque dans une cadence chaloupée sur laquelle s’étend, en toute liberté, la voix de l’artiste.

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A Lenonn © F.A.T

D’autres titres, par contre, s’éloignent du Za N’goma, cheminant vers d’autres styles. L’artiste joue Twarablues, un mélange entre blues et soul. Encore un jeu de slap, rompu cette fois par des croches. Le morceau respire bien. Sans doute pas le plus original de ses titres, mais il est beau. Et le public adore ! Dans le même style, il joue  Ngaminizo, la reprise d’une chanson de Paalesh, autre artiste comorien. Après un solo au Kazou,fixée sur la sangle de sa guitare, Eliasse nous bascule dans un groove bien rock. Il y a là Ylang-ylang, l’histoire d’une entourloupe : « eba rambe rifu hawu rizulusiwa/ tabiri za uhuru zi rendeha shipva »[2]. On y reconnaît le sort des Comores dans le propos, les abus des politiciens. La mélodie est sobre, jouée au ukulélé. Eliasse finit son show, en empoignant son mkayamba, qu’il secoue en immersion au cœur du public. Ce dernier ne se fait pas prier pour danser au rythme de l’instrument.

Fouad Ahamada Tadjiri

[1] Keziah Jones.
[2] « Sommes-nous morts ou victimes d’une entourloupe ? / Les rêves d’indépendance sont devenues une prison ».