Covid anti-fratrie au pays

La crise du Covid met les politiques à cran. De Mayotte française à l’Union des Comores, seuls les « communicants » ont le vent en poupe, au détriment des faits. 354 cas avérés sur l’île occupée, dont 4 décès. La gestion de l’urgence sanitaire par les autorités est clairement pointée du doigt. A Moroni, où aucun test n’a encore été effectué, le citoyen, boule au ventre, se demande si le virus n’est pas déjà là, vu que l’Etat ne cesse de retarder l’échéance d’une vérité des plus angoissantes.

La meilleure façon de noyer un débat aux Comores est de faire s’opposer deux camps d’une même fratrie. On peut même dire que c’est réussi. Les leaders d’opinion s’étripent quotidiennement  sur la question du Covid-19, sans s’accorder sur l’essentiel, à savoir sauver le citoyen. Rumeurs aidantes, on en arrive à ne plus savoir démêler le vrai du faux dans un contexte où les bons journalistes, devenus tous « communicants » pour un camp ou l’autre, cèdent volontiers leur place à une guerre de nerfs inter citoyenne, via les réseaux sociaux.

Le pays, pointé du doigt par ses propres enfants, a toujours autant de mal à se représenter en une seule et même famille. Des histoires circulent sur le net. Elles vont toutes dans le même sens. Une des affaires entendues concerne un patient atteint d’insuffisances respiratoires, délaissé par son médecin traitant, lequel médecin n’a rien trouvé d’intéressant que de faire accuser l’hôpital de référence du pays de négligence. L’information, reprise par un média de la place, a vite fait de nourrir la toile sur un cas possible de covid-19. Ce qui a aussitôt été démenti. On s’est surtout rendu compte de la mauvaise foi dudit médecin, qui, paradoxalement, ne risque aucune sanction.

Une autre affaire convie les poumons du grand mufti Said Toihir Maoulana dans un grand déballage public. L’information, adressée à l’ARS de Mayotte, en dépit du secret médical et de tout principe déontologique, a vite été transformée en une petite usine à gaz. Instrumentalisée par un préfet (français), pour détourner les regards de la gestion catastrophique de la crise dans l’île occupée, elle divise désormais l’opinion nationale, en se fondant sur une hypothèse, réduite à sa plus simple expression, vu que l’interprétation des résultats cliniques ne laisse aucun doute : « examen scanographique très en faveur d’une pneumopathie type Covid-19, avec une atteinte pulmonaire modérée ». Un examen qui reste à infirmer ou à confirmer grâce à un test virologique. Ce qui semble être une évidence…

Covid19

L’affaire la plus médiatisée à travers les réseaux sociaux reste toutefois celle de la compagne du rappeur Cheikh Mc, avec celle, plus récente, d’un médecin de l’OMS, évacué à Genève par avion spécial depuis Moroni, lundi dernier. Même raison invoquée que dans le courrier adressé par l’ARS – Mayotte à l’Union des Comores. Un scanner délivré par le seul centre d’imagerie médicale (outillé) de Moroni, qui prêche en faveur d’un cas de Covid, mais qui ne pourrait se révéler exact que grâce à un test de dépistage approprié (type PCR). En dehors de ce test, il ne peut y avoir que de la mauvaise littérature, si l’on en croit les experts. L’Etat comorien se rend-il compte du fait que son silence sur ces événements entretient une confusion inutile ? Dans quelle mesure pense-t-il faire face à la pandémie, si elle se présente à sa porte la plus proche ? Des questions somme toutes logiques, mais qui tétanisent les pouvoirs publics.

Conscient de ce qui leur pendait au nez, certains acteurs de la santé publique avaient cependant réussi à s’organiser, malgré des moyens limités, dès le début de la pandémie. Aujourd’hui, on pourrait presque les remercier d’avoir été en mesure de comprendre ce qui se passait. Tout voyageur, débarquant à l’aéroport Prince Saïd Ibrahim en février dernier a dû voir des hommes en blouse, masque au visage, prendre sa température et ses coordonnées, d’un air inquiétant. Atmosphère annonciatrice d’une apocalypse à venir. Toute personne, traversant Ndzuani, dans la même période a dû se rendre compte que les médecins étaient en train de s’affoler autour d’une attaque imminente de Covid-19. Au même moment, l’Europe ne savait comment réagir face au désastre. Au même moment, les autorités françaises à Mayotte semblaient avoir d’autres priorités au programme.

Dans l’Union des Comores, le monde de la santé continuait ainsi à s’organiser, sans le sou, il faut bien le dire, et avec beaucoup de bonne volonté. Contrairement à d’autres contrées, où il est de bon ton de remercier les soignants en cette période sombre, nombre de faiseurs d’opinion préfèrent aller s’égosiller sur les réseaux sociaux contre le gouvernement Azali, en nourrissant, au propre comme au figuré, les peurs d’une diaspora citoyenne, qui, elle, connaît déjà les affres de la maladie. La liste des victimes dans la communauté comorienne en France s’allonge, chaque jour, un peu plus. A Mayotte, étrangement, il a fallu du temps, avant que les autorités ne se décident à bouger. Cédant à l’angoisse, certains habitants ont même cherché à fuir de l’autre côté de l’archipel, en empruntant des kwasa, notamment. Ils y ont été mis en quarantaine.

Covid19

A ce jour, 354 cas avérés sur l’île occupée, dont 4 décès constatés. Une situation qui n’enchante guère de l’autre côté. La négligence de la tutelle française mérite d’être questionnée. Il apparaît que la crise a débordé tout le monde à Maore, les responsables de l’ARS[1] en premier lieu. Mais une solution politique y a vite été trouvée pour apaiser les esprits. A la moindre question dans les médias, les autorités redirigent le curseur sur l’Union des Comores. Ce qui noie le débat aussitôt initié. Ni vu, ni connu ! Une vieille tactique, qui tombe à pic, pour entretenir des polémiques inutiles. Dominique Voynet[2], qui vantait les mérites d’un système de santé comorien, certes, pauvre, mais habile, il y a encore quelques temps, a cherché en tous cas à taire toute critique, en orientant le curseur sur les trois autres îles. Il n’est peut-être pas besoin d’être un stratège ici pour saisir le sens de sa démarche.

C’est là que le bât blesse, à priori. Dans l’Union des Comores, les autorités agissent comme des manchots en communication et ne disent rien des difficultés liées à leurs partenaires français en coulisses face à cette crise. Des médecins nourrissent une rumeur et parlent d’instrumentalisation de la pandémie, « afin de pouvoir jouer aux pompiers pyromanes ». Un agent des services de renseignement prétend que la France travaillerait à devenir « une bouée de sauvetage », allant jusqu’à réveiller de vieux réseaux séparatistes à Ndzuani, où la communauté, pourtant, fait corps au nom du pays contre ce Covid. Ce scénario n’est pas nouveau en soi. Cela s’est déjà vu dans  un épisode récent de la grande tragédie comorienne, avec le choléra. Rien de bien nouveau sous le soleil, donc ! Ce qui déstabilise, c’est qu’aucun test ne soit encore possible dans l’Union, à l’heure où l’on publie cet article.

Les machines, déjà existantes sur place – type GeneXpert – à Mwali, Ndzuani et Ngazidja, prévues au départ pour tester le VIH et la tuberculose, sont au nombre de cinq, mais il leur manque les cartouches adéquates pour rendre le virus du Covid-19 lisible. Une toute nouvelle machine à test est arrivée ce mercredi 22 avril à Moroni, mais demande à ce que les responsables de la campagne anti Covid se forment en ligne, avant de la manipuler. Ce qui retarde la réalisation des premiers tests (5.000) de quelques jours encore, tandis que le citoyen tente, lui, de comprendre pourquoi cela a mis autant de temps à arriver. Un officiel quelconque aurait pu simplement l’expliquer. Annoncer, par exemple, que les fournisseurs exigeaient d’abord d’être payés, avant de livrer le matériel commandé, et que l’argent, suite à des dysfonctionnements que personne n’explique au niveau de la banque centrale, sommeillait, quelque part sur un compte. Et pourquoi pas ?

1 Covid19 DSC1345

L’hypothèse est avancée par un des acteurs de la santé publique, qui craint une guerre d’influence au niveau des tutelles de cette banque. Une guerre souterraine ? Rien de tout cela n’est une fiction, il faut croire ! Encore faut-il y ajouter les questions d’incompétence et de frontières bloquées, de chaînes de responsabilités inconséquentes, de gens qui crient au loup à des  fins de manipulation politique. Y ajouter aussi les questions de revanches économiques à prendre, d’intelligence criminelle avec l’ennemi commun, de contingences diplomatiques diverses et tordues, et surtout, et encore, les couacs de communication du gouvernement en place. Convoquer Cheikh Mc chez les gendarmes, pour s’être affiché, avec sa femme, en victimes du Covid-19, sans en avoir fait le test, au préalable, est une erreur d’appréciation – terrible – de la part des autorités. Une mauvaise réponse de la part d’un pouvoir que l’on sait, sérieusement, tétanisé à l’idée de découvrir son premier cas de Covid. L’Etat aurait pu se contenter de l’accompagner dans ce moment de faiblesse. Paraître comme « celui qui ose » – lanceur d’alerte ? – ne risque pas de tuer. Le soutenir dans sa détresse – qui est réelle, elle[3]  – aurait même suffi à rendre n’importe quelle autorité héroïque.

Au lieu de cela, on nourrit la bête sur les réseaux sociaux avec des gestes indélicats, en oubliant la force de frappe de l’ennemi dans cette histoire : le virus, qui, lui, continue de rôder dans l’ombre. L’Etat fait le dos rond depuis le début, c’est un fait ! Mais la confusion et la polémique qui s’en suivent sont tout aussi absurdes. La vraie question serait de savoir comment se protéger de ce fléau, s’il s’avérait qu’il est là, dans l’ensemble des quatre îles. Non pas pour diviser le pays en deux, mais pour réfléchir ensemble à la meilleure façon de se protéger contre le pire. Maore, considérée « comorienne » par la constitution de l’Union, est une preuve indiscutable de ce que le pays est déjà atteint. Par la faute des politiques, sans doute, qui n’ont pas su réagir à temps face à l’urgence sanitaire. Sur les deux rives, on espère de l’aide, à présent. De l’Hexagone et de l’Europe, pour Mayotte. De la communauté internationale, pour l’Union[4]. Mais il est peut-être un pas, de Dominique Voynet à Azali, que nombre d’habitants de cet espace ne sont pas obligés de franchir, à moins que le dernier cas, rapatrié sur Mayotte depuis Moroni, ce jeudi 23 avril, ne soit la preuve d’une hécatombe qui ne dit pas encore son nom.

Soeuf Elbadawi

[1] Agence régionale de Santé à Mayotte.
[2] Directrice de l’ARS.
[3] Nous apprenons à l’instant – ce matin du samedi 25 avril 2020 – que sa compagne, toujours malade, et en détresse respiratoire, ne serait finalement pas atteinte du Covid-19. Message de Cheikh, publié sur sa story facebook, dans la nuit de ce m^me samedi  : « Malgré le déni et la campagne de dénigrement, le comité de prise en charge Coronavirus a offert une prise ne charge et des soins de qualité à ma femme et inshallah elle quittera bientôt le service réanimation de l’hôpital El Maarouf pour la retrouver la maison et sa famille.Merci à vous pour vos prières ». Doit-on comprendre que ce soutien re-confirme ou infirme le fait qu’elle soit atteinte du Covid-19 ? Le communiqué ne le dit pas et contribue à entretenir un flou, tout en sachant que l’Etat a pris de nouvelles dispositions contraignant la population au même moment, en imposant notamment un couvre-feu de 20h à 5h, sur toute l’étendue du territoire. L’artiste sortira par ailleurs une vidéo à la date du 1er mai 2020, où il s’explique sur la manière dont il a vécu sa situation et sur la manière dont le comité  national contre le Covid-19 l’a soutenu, par la suite. Une vidéo que vous pouvez visionner, en cliquant ici.
[4] 12 millions de dollars annoncés par le FMI, cette semaine.