Mikidache

Il tente le grand écart entre une volonté pop affirmée et une facture intimiste rappelant ses débuts. L’album se danse « penché »… Cet article est paru dans le Kashkazi du n°39 du 04 mai 2006.

Il a dû se pencher longtemps, avant de le mettre en boîte. Être le meilleur instrumentiste de sa génération ne devait pas lui suffire. Être consacré par la critique parisienne comme l’un des talents les plus sûrs de la sous-région, non plus. Mikidache, l’enfant de Chiconi (Maore) rêve en fait de ce grand jour où sa musique satisferait les envies mélomanes les plus exigeantes et les attentes d’un public de plus en plus large. Quoi de mieux qu’un album aussi uniforme dans ses sources et dans son inspiration pour y parvenir ? Douze titres se réclamant partiellement du mgodro le plus populaire, tous servis par une architecture sonore se refusant à̀ la facilité. Certes, la guitare du jeune maître paraît plus posée, moins démonstrative que d’habitude. Certes, l’un des titres les plus entrainants (Africa) nous ramène à Kauli, son tout premier album, bien qu’il soit rejoué ici dans une version beaucoup plus live, recyclant au passage de vieilles influences sud-africaines et congolaises. Certes, Mwaylera, la reprise d’un tube de Mtoro Chamou, interprété́ avec lui, paraît moins « bal-poussière » que sa version originale. Mais l’énergie du six/huit traditionnel est bel et bien là, prête à̀ faire s’embraser les amateurs de pistes chaudes.

Le langage aussi du jeune prodige a évolué́. Pour rendre hommage au mgodro, Mikidache parle de « pulsation » ou encore de rythme « boiteux », qu’il faut danser « penché ». Il faut bien que la théorie suive, bien que Mgodro gori soit un concept fabriqué de toutes pièces. « Une expression qui n’existe nulle part, qui vient de ma propre imagination » dit-il. Une invention verbale qui vient renforcer cette tendance « popisante », dont certains compatriotes, peu fascinés par son génie de la guitare, lui sauront gré́ désormais. « Je voulais donner à̀ cet album un accent beaucoup plus pêchu, avec une couleur très locale. Je suis persuadé́ que c’est en étant soi-même et en puisant au fin fond de nos richesses musicales qu’on peut faire la différence dans ce milieu du show-biz ». Le mot est lâché́ ! Reste que pour arriver à̀ convaincre les publics étrangers et les musique internationaux, Mikidache a besoin que le Comorien se retrouve dans sa musique, d’où̀ le choix d’un genre festif fort apprécié́ dans ces îles. Sur le titre éponyme, en ouverture de l’album, le Mikidache nouveau invite les plus réticents de ses fans à venir porter son idée de la fête (halo razishangirie) à son paroxysme. Mikidache, dont les concerts se déroulaient jusqu’alors dans une atmosphère de sobriété́ quasi religieuse, se lâche sur cet album.

Un album qui ne se résume cependant pas à cette dimension « mgodroïste », fort heureusement. Un album qui charrie des messages. Une vision du monde qui détaille les quotidiens désolés de l’archipel. Nisidayi résonne ainsi comme une complainte, à travers laquelle l’artiste s’adresse à̀ ces citoyens de l’archipel, dont les droits les plus élémentaires sont bafoués chaque jour par ceux qui gouvernent. Un titre qui s’adresse aux Mahorais en particulier par rapport à̀ l’idée d’une république française oublieuse : « Il ne suffit pas d’avoir des PTT, des routes, des véhicules et des RMI pour se croire citoyen français à part entière », rappelle l’artiste. « Et malgré́ cette citoyenneté́ française, il reste beaucoup à̀ faire à Mayotte tant au niveau de l’égalité́ des chances, qu’au niveau du respect des droits de l’homme ». Sur l’écologie, Narienshi, titre interprété́ avec la complicité́ envoûtante de la béninoise Ana Teko, pose la question de la sauvegarde du lagon. Comme s’il ressentait le besoin de rejoindre une cause mondialement saluée. « Je ne sais pas si je cherche à coller aux interrogations du moment ou pas. Mais une chose est sûre. En allant souvent aux Comores, je me rends compte de l’importance et de l’urgence qu’il y a à sensibiliser les gens sur les problèmes de l’environnement. En tant qu’artiste je me dois aussi de participer à̀ cette prise de conscience du danger qu’il y a à ne pas respecter la nature ».

Wambiyezo et Wananyatu se veulent nettement plus politiques, se nourrissant d’actualité́ chaude. La première des deux chansons traite des illusions du Mahorais migrant vers la France hexagonale. « 90% des gens regrettent et se rendent compte de la difficulté́ qu’ils ont à vivre dans un pays où tout est fait pour les décourager. En parlant de cette problématique, je veux éveiller un peu les esprits mahorais sur leur identité́, sur leur avenir ». Quant à̀ la seconde chanson, elle s’attaque au drame lié aux kwassa kwassa de la honte. Contre le renoncement définitif de l’idéal communautaire, l’artiste énonce quelques arguments sur la fraternité et sur le sang-mêlé́, parle de religion partagée (usilamu waaho wahapvi) et de valeurs égarées / ou prostituées (usi hudze ubinadamu waho), au risque de déplaire à ses concitoyens mahorais. « Il n’est pas normal de laisser mourir nos frères au large. C’est bien de sensibiliser les Mahorais particulièrement sur ce genre de sujet. Malgré́ nos différences de « drapeaux », il ne faut pas qu’ils se laissent induire en erreur par des responsables qui ne font qu’inciter à la haine. Ce n’est pas parce qu’on est français que l’on doit oublier notre humanité́ ».

Mikidache, aujourd’hui.

L’occasion peut-être pour Mikidache d’insister sur son identité́ comorienne, qu’il « assume avec beaucoup de fierté́ » après avoir fait partie de ces artistes « contorsionnistes », qui ont eu du mal à̀ se positionner honnêtement entre le fait d’être mahorais et d’appartenir à̀ l’archipel des Comores. Son questionnement, à l’instar de quelques autres, risquait de virer un jour à la schizophrénie. Lui s’en défend, même s’il lui est arrivé́ de brouiller les pistes, en s’affirmant mal- adroitement Malgache (par sa mère), au début de sa carrière. Aujourd’hui, il temporise : « Je suis un artiste et en tant que tel, je me dois d’être clair avec moi-même, avec ma conscience. Je me dois de dire la vérité́ à tous ceux qui m’écouteront. J’ai eu le temps de faire le point sur ce sujet en ce qui me concerne et mon idée est bien arrêtée. J’ai la chance d’être allé́ à l’école contrairement à̀ beaucoup de jeunes mahorais et je ne suis pas quelqu’un qui peut être influencé par des mensonges, surtout venant d’hommes politiques. Je connais mon histoire, d’où̀ je viens et où je vais. La seule chose qui m’a toujours animé, c’est ma culture. Ma culture comorienne et surtout pas française, bien que je sois français TOMIEN.Tout ce que je viens de dire n’a rien à̀ voir avec des idées d’indépendantiste. Je dis Mayotte Française mais avec sa culture comorienne ».

Le reste de l’album parle de compassion envers l’orphelin (Unisonge). D’espoir et d’entente, là encore, entre frères (Zandri). De la prétention des hommes à vouloir tout maîtriser face aux mystères de l’amour (Zirishiya). De l’importance de la famille (Tsihimidiya). Mikidache rend également hommage au patrimoine à travers un court titre (Makhoko) à la facture instrumentale très audacieuse. « Il s’appelle Makhoko dans le sens de ce qui est ancestral. Le jeu de guitare et la mélodie [sur ce morceau] se nourrissent de choses très anciennes ». Un titre à travers lequel on retrouve son goût pour les open tunings. Une guitare sèche puissamment évocatrice. D’une finesse et d’une virtuosité qui font espérer un retour à̀ la dimension intimiste des débuts. Et qui permet d’espérer – pourquoi pas – un prochain album uniquement consacré à ce jeu de guitare. Sans oublier sa voix. Une voix mélodieuse et fragile à la fois, qui se cherche encore un destin par moments, faussement mutine, aérée quelquefois et suspendue dans le temps.

Soeuf Elbadawi

Mgodro gori (Cobalt) est toujours disponible sur les plateformes digitales.