Un guitariste hors pair

Consacré à un prix Découverte RFI en 1999, Mikidache est l’artiste issu de l’archipel qui tourne le plus aujourd’hui. Cet article est paru dans le n°39 du journal Kashkazi en mai 2006.

Il est l’un des rares comoriens, sinon le seul, à inscrire sa carrière dans une certaine régularité professionnelle. Bien entouré professionnellement, il n’est pas obligé de monter son propre studio pour s’en sortir, ni de créer un label afin de mieux contrôler la vente de ses disques. Il a fait le choix de se consacrer à̀ sa musique et de laisser à d’autres le soin de le défendre. Si Mgodro gori, son nouvel album a quelque chance d’interpeller le public du monde entier, c’est parce qu’il a « une équipe qui travaille et qui croit beaucoup » en lui. A chacun son métier dirait l’adage.

Ainsi se porte bien Mikidache. Un artiste qui s’est toujours tenu à l’écart d’un milieu musical comorien aujourd’hui éclaté dans tous les sens. Un milieu qu’il ne fréquente que par intermittence. A travers des collaborations plus que discrètes. Avec Baco Mourchid alias Bob Chidou et Mtoro Chamou, ses compères mahorais. Avec Zaïnaba Ahmed comme guitariste et choriste sur son dernier album, consacré aux chants de femmes. Aux côtés de nombreux camarades engagés sur les scènes communautaires au nom de différentes causes à caractère humanitaire. Mais sans trop se laisser gagner non plus par des implications qui risqueraient de le porter loin de sa création.

Mikidache, aujourd’hui.

Enfant des îles Comores, Mikidache est de ceux qui rêvent d’un monde sans aigreur, mais le sort a voulu que son identité vacille sans cesse. A tendance plurielle mais mal assumée par la plupart de ceux, qui, comme lui, l’ont porté au quotidien sans l’avoir choisi, cette identité́ sans cesse mise à mal a fini par fonder sa principale interrogation en musique. À travers un répertoire qui cultive la nostalgie des temps passés par son approche mélodique et rythmique, tout en s’inventant de lointains cousinages de par le monde, avec un langage d’une modernité́ absolue. Mikidache tisse ainsi une musique sans complexes, qui emprunte à tous les patrimoines, un peu comme la culture de ce pays, culture qui s’abreuve à toutes les civilisations. Il se fabrique avec la patience d’un artisan aguerri, une musique où le maître-mot réside essentiellement dans les jeux d’émotions provoquées par la rencontre avec l’Autre. Poète inspiré de la relation, Mikidache ambitionne donc d’embraser le monde par son jeu de guitare, afin de lui murmurer ses angoisses multiples. Angoisses devant un peuple (le sien) qui s’enfonce dans la douleur, au lieu de s’épanouir dans la richesse de ses mythes fondateurs.

Angoisses devant ses contemporains qui en viennent parfois oublier jusqu’à̀ leur propre humanité́. Armé de sa seule foi, Mikidache parle de partage, d’espoir, d’amour, de respect et de passion dans ses textes. Y compris de cet enfant qu’il a su rester et qui se remémore encore les vieilles comptines jadis racontées par ses grand-mères. Mikidache nous invite à̀ la ronde mer- veilleuse des soirs de pleine lune, une pratique bien courue dans ce pays, autrefois surnommé « îles de la lune ». Qui a dit que le rêve n’était plus de ce monde ?

Mikidache.

Son talent lui a permis de s’envoler dans ce métier. La chance a fait le reste. Au premier album, Kauli, il a pu signer chez le français Long Distance. Au second, intitulé Hima, il s’est acoquiné avec les Hollandais de World Connection. Au troisième, Mgodro Gori, il re-signe avec un français, Cobalt. Avec le soutien de Bertrand Mougin, son manageur-protecteur, qui s’occupe du développement de sa carrière. Qui va piano, va sano ! Mikidache aura-t-il la patience nécessaire d’attendre le buzz ? Il faut parfois plusieurs années avant qu’une carrière ne débouche sur de monstrueux succès.

Il faut dire qu’il n’a pas non plus choisi la voie la plus facile. Pour s’imposer au public comorien, il aurait pu se fabriquer une armure de joueur de mgodro ou bien revenir au reggae indianocéan de ses anciens potes du groupe Sy, aux côtés de qui il a fait ses débuts dans les années 80. Mais non ! Miki « la gratte » a choisi d’aller voir ailleurs dès le tout début de sa carrière solo. Madagascar, le sud de la Grande île notamment, ainsi que le jeu majestueux de maître D’Gary à la guitare, l’ont fait voyager hors du circuit fermé de la musique comorienne. Prouesse technique et transe jubilatoire sur des ternaires rythmiques, où l’érotisme des sons le dispute aux mystères des voix habitées par des esprits millénaires. Une influence qui nourrit son inspiration musicale en profondeur. Une influence qui a fini de lui tailler une réputation de guitariste hors pair.

Soeuf Elbadawi