Un portrait de Titi le Fourbe, le géant punchlineur de Hahaya. Qui s’attaque rarement au monde politique, mais n’a aucun mal à tordre le social dans ses lyrics déjantés. Récemment, il a été au centre d’une vaste polémique, mettant la jeunesse d’Iconi et de la capitale face à ses ilaso de Hahaya. Retour sur une carrière d’outsider du hip-hop comorien.
Ses parents le nomment Anrith Mohamed Saleh. Ses fans (zilaso) le préfèrent en Titi le Fourbe. Un nom de scène. Après le bac en 2013, il part faire des études à Mada dans l’aéronautique. Péripéties. Pressions. Stress. La vie d’étudiant n’a rien de l’apaisement supposé. Mais il remuera ciel et terre jusqu’en cinquième année, avant de se laisser tenter par le diable sur sa route, en optant pour la musique. Il avait une passion singulière pour la danse traditionnelle, mais se laissera emporter par les mystères du hip-hop en 2012 : « J’avais besoin de m’exprimer », dira-t-il.
Il s’investit d’abord dans H city – un groupe de rap de Hahaya – avant de poursuivre en solo, puis de s’aligner en duo avec Bilwiz. Très vite taxé d’agitateur du bocal, le punchlineur de première classe passe pour un provocateur patenté. Car Titi le Fourbe ose, en se démarquant de ses pairs par les lyrics, le flow et l’accent. Style, beats & liberté d’expression. L’ego-trip en avant : « Ko yani voti/ tsifanya atanta/ horenga ye place / Mi nde shofera/ tunda ho dingoni yiho/ Eka ngapvo place ». C’est qui fera de lui un rappeur hors du commun, un des rares (s’il n’est pas le seul) à annoncer le rappel : « Eyarumwa yadje yareshelezize hatsatsaya pangani ».
Parlait-il du prophète, Mohammed, le fils des bani Kuraïshi ? Ne risquait-il pas de tomber dans une forme de blasphème ? La phase suscite son lot de polémiques, encore aujourd’hui. Mais personne ne l’a repris. Fundi et unlamau attestent quant à eux que le prophète s’était bien réfugié dans une grotte pour échapper à ses ennemis mécréants. On l’a toujours su, on l’a tous appris, au madrasa, dans les mosquées. Mais le quidam n’avale peut-être pas de voir le prophète se balader sur des beats hip-hop. Dans Ya umma – une chanson de twarab – Moussa Youssouf évoquait le jugement dernier : « Ngapvo usiko sirilindwayo pvo bangweni kiyama ndo pvalo zohamba ».


Djanaza. Titi en concert…
Il prêchait à sa manière : « Rambwa reshelezizane ». Il le vivait surtout comme un devoir : « hena mdru nge dhwamana, dit-il, wahe mwananya/ narizitekeleze ». C’est aussi bien connu de tous que le Comorien apprécie le twarab. Histoire de patrimoine ! A Ngazidja, on en raffole. Mais c’est loin d’être le cas pour le rap, quel qu’en soit la force du propos. Titi le Fourbe et Moussa Youssouf ne surnageront jamais dans les mêmes eaux. Chacun, ses principes, chacun, ses valeurs. Ils auront beau éveiller les consciences, le rap suscitera toujours de l’indignation auprès des mélomanes les plus conservateurs. Il n’empêche : « Ye misihiri yibalwa/ ngwalindao nende nafanye mandamano » répond Titi. Car l’homme ne cherche pas à séduire. Au contraire ! Il choque, n’hésite pas à recadrer, y compris ses pairs, sur les réseaux.
Mettant le doigt là où ça coince, comme dirait Sniper le français, Titi le Fourbe court après le dernier clash. Son Hantse senema est devenue une marque de fabrique. Un peu à la Booba ! Des piques qui tournent vite au vinaigre. On se souvient des échanges musclés entre les jeunes d’Iconi-Moroni (les fans d’Arzam et KM Boys, auteurs du titre Hama tsimenyeha) et ceux de Hahaya, fief de Titi. Bodri, un jeune de Madjidju profère des menaces de mort en retour. A l’encontre de Titi : « Si je te croise, je te décapite ». Des paroles déplacées. Qui n’interpellent aucune justice. Aucune mesure n’a été prise contre. Sur les réseaux, Bodri promet de franchir les limites : « Tu ne feras jamais de concert à Moroni ».
Non pas qu’il ait raison, mais on peut s’interroger. Parce qu’il semble qu’il a fallu le payer, lui et sa bande, pour que le concert pré-investiture du 26 mai dernier puisse se tenir. D’ailleurs, on l’a vu parader sur scène aux côtés de Titi, rival pourtant déclaré. Sa réponse ne fut pas longue à se faire entendre : « Je suis payé pour assurer le bon fonctionnement du concert, je ne suis pas le garde-corps de Titi ». Mais pourquoi payer une bande – on est en droit de se le demander – pour assurer la sécurité d’un concert aussi officiel ? Les autorités auraient-ils peur de la jeunesse ? Bodri et Dadi-Ben, d’ordinaire classés comme dans les rangs de la délinquance urbaine, ont été appelés à la rescousse.
Titi à sa décharge n’indexe jamais les politiques. On ne l’entend jamais contre un tel ou untel au pouvoir. Son propos ne s’attaque qu’aux religieux et à ses pairs artistes. Depuis Djanaza vol. 1 – son premier projet (2018) – il a l’air de choisir ses souffre-douleurs, avec une certaine dérision dans ses mots : « Ngamnunio nilale nidjuhe/ nidjihundre mbepvoni/ yeka yendrogo’o nde niya ». En réécoutant Ngaso hidzani – l’un de ses morceaux-fétiches – on perçoit le non-dit. Car la réalité des Comores exige que l’on se taise. Dans la gueule d’un loup, mieux vaut s’abstenir. Pénurie d’eau, d’électricité, de vivres de premières nécessités. Par où devrait-on commencer ? Un pays dirigé par des gens orgueilleux, méprisables. Un pays rempli de chômeurs. Un pays où les grèves des enseignants sont fréquentes, où tout va mal, etc.



Titi le Fourbe en concert.
Titi ne mâche jamais ses mots, mais a l’air de se fixer des limites. Pour plaire à ses parents, comme le prétendent certains ? La peur du tout-répressif ? « C’est la seule chose qui [les] dérange. Personne n’aimerait qu’on parle mal à son enfant. Ils auraient aimé que j’arrête le rap pour éviter les mauvais retours » Mais de ne pas interroger l’autorité qui pille le pays, ne signifie pas qu’il tourne le dos au social, au contraire. Dans Hata, il écrit sans façons : « fundi hatria yemwana eshaya ho shioni / ho lecoli namwende mwatimizi ». Contre la pédophilie et la violence sexuelle sur les mineurs. Pareil pour les promotions « canapé » ! Il n’en rate pas une ! Djanaza volume 1 de Titi a ainsi révolutionné la musique urbaine par ses thématiques osées. Rien qu’avec ce mot – Djanaza – qu’il considère comme « une porte de transition, qui réunit deux mondes : la vie et la mort ».
Les artistes de sa génération ne s’occupent que des réalités ici-bas. Titi, lui, s’invite dans l’outre-monde : « Un concept nouveau sur cette scène. Je pense très souvent à l’au-delà. J’ai la facilité d’écrire des textes allant dans ce sens ». Au risque de perturber. Certains jeunes rappeurs tentent d’imiter son geste. On les trouve vulgaires, irrespectueux, insultants ou incultes. Le buzz souvent les emporte. Mzirengo nge adjali ! Certains paraissent même poussifs, très peu créatifs ! Ndo msindiho. Sans parler de ceux qui multiplient les covers. Ils bafouent le droit d’auteur à force, et surtout font preuve d’un manque de solidarité entre eux. Beaucoup de segmentations, de clans, relève-t-on. Tout le monde ne pense qu’à sa petite gueule. On conjugue, très mal, le présent, à plusieurs. Le futur ? Ririha mngu ! N’empêche ! Titi le fourbe sévit dans son coin…
Sur Mtsumba, il s’offre une hypotypose et tape dans le mille ! Un message clair et sans ménagement : « Eka ngwandzo embere bwarara ». L’amour ou la confiance, rien ne va selon lui. En réalité, les jeunes lui semblent désespérés, déboussolés. Ce qui fait que Titi ne s’interdit pas le pire, les concernant. Sur Ususu, il lâche les chiens, par exemple. Dans un récent article, Al-Watwan (06/06/24) évoquait l’expression Dragon rouge pour parler de prostitution à Ndzuani. Des sujets que beaucoup d’artistes de la génération choisissent d’éviter, sciemment. Car seuls les nombres de vue et de like sur les réseaux les interpellent…
Ansoir Ahmed Abdou