Ramener la jeunesse africaine à son histoire pour des solutions durables face aux maux qui continuent de ronger l’Afrique. Hongera Africa, dernier ouvrage paru de Fatouma Nassor Halifa aux éditions L’Harmattan, questionne la culture pour mieux répondre au présent. Elle y parle de reconstruction, d’éthique, d’intégrité, de solidarité. Des mots qui évoquent une certaine résilience, en appellent à un esprit d’empowerment, invitant à déconstruire le spectre des vieux récits coloniaux. Entretien express.
Ce titre résonne telle une énigme…
Hongera veut dire « bravo » ou « félicitations » en swahili. Ce titre a une portée panafricaniste, qui exprime aussi la fierté de l’Afrique indépendante. Le choix de ce titre en swahili, c’est pour rendre hommage à une langue africaine, passée du statut de dialecte à celui de langue africaine la plus parlée au monde et en Afrique. Le titre s’est imposé au fil du temps, à la découverte de certaines vérités. C’est pour dire bravo à ces braves femmes et hommes du Continent, qui se sont battus et qui continuent à se battre, malgré les obstacles et les pièges tendus.
Obstacles et pièges tendus par qui ?
Par les anciens colonisateurs et leurs valets.

Quelle culture pour quel monde, pour ainsi dire ?
Il s’agit ici de la culture africaine, pour le monde africain en particulier, et pour le monde entier en général.
Qu’est-ce qu’elle charrie de singulier cette culture ?
Sa force et son pouvoir. Car malgré l’usure progressive et la ghettoïsation de leur histoire par le fait colonial, les peuples africains n’ont jamais renoncé à leur identité profonde, ni confessé l’infériorité supposée de leur culture.
Il est des valeurs essentielles qui fondent le monde auquel vous vous referez…
Bien sûr ! Je me réfère aux valeurs africaines, au concept originel de la culture africaine et surtout à ce que la philosophie traditionnelle africaine prônait, à savoir : l’esprit de partage, l’entraide, le respect de l’autre, le respect de la nature, des animaux, la solidarité, l’hospitalité. Ce qu’Amadou Hampâté Bâ décrit comme étant « une civilisation de responsabilité et de solidarité ». Je me réfère aussi aux valeurs universelles, afin de mieux comprendre certaines réalités et de replacer les différents événements de l’Afrique francophone subsaharienne dans un rapport au nouvel ordre mondial.


Mais pourquoi la culture ?
Avec l’éclatement des multiples crises, le monde déshumanisé par la suprématie de l’argent et le paradigme de développement à l’occidentale en faillite, le modèle africain de développement, élucidé dans le manifeste culturel panafricain, bien que ghettoïsé, mérite d’être connu. Dans ce manifeste, la culture englobe des aspects à caractère social, politique, économique et technique. La culture dans son sens le plus large permet aux personnes d’ordonner leur vie. Toujours en se référant au manifeste culturel, la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire. Elle peut aussi leur servir à prendre le chemin du progrès et du développement. Puisqu’il est surtout question ici du développement en Afrique, la culture est appelée à la rescousse. Car son impact multiforme est incontournable. D’ailleurs, les institutions internationales ne cessent de clamer le rôle majeur que la culture peut jouer, afin d’atteindre les objectifs du développement durable.
Vous parlez de quel manifeste culturel en l’occurrence ?
Il s’agit du Pan_African_Cultural_Manifesto, adopté par le Symposium du premier festival culturel panafricain, organisé en 1969 à Alger, sous l’égide de l’OUA.
La question coloniale se pose-t-elle encore de nos jours ?
Absolument, mais sous une autre forme. Dans l’Afrique du troisième millénaire, on parle de relation de « partenariat » et non de « dominant-dominé ». Je peux dire que la vision stratégique de la nouvelle Afrique parle d’une décolonisation et d’une vraie indépendance de l’Afrique et des africains. On parle aussi d’un modèle africain de développement et du maintien de sa souveraineté, et non de dépendance ou de colonisation. Aujourd’hui la rupture entre l’Afrique et l’Europe, et encore entre l’Afrique francophone et la France, est palpable. En outre, une transition est en train de s’effectuer et exige beaucoup d’efforts de part et d’autre pour réinventer de nouvelles relations, avec des partenariats répondant aux aspirations des africains. Et si l’Europe et l’Afrique sont condamnées à vivre ensemble, les contours de leur partenariat doivent changer radicalement, et cet esprit ou cette mentalité de colonisation doit disparaître. Pour ne pas rater le virage d’un continent (en constante ébullition), Jean Michel Severino, ancien directeur de l’Agence française de Développement ( l’AFD), appelle les Européens à changer de regard, à privilégier les rapports de coopération, à dépasser les rapports dominant-dominé et ceux de la Françafrique.

L’Afrique qui bouge ne repose-t-elle déjà pas la question de nos jours ?
Si, si ! Et surtout avec le concept de néopanafricanisme ou du panafricanisme revisité. Dans ce monde multipolaire, il faut noter aussi l’éveil de conscience et le sursaut néopanafricain. La mondialisation est là avec ses règles du jeu, qui ont rendu l’Afrique très pauvre et dépendante des capitaux et des technologies de ces pays développés, et ces derniers se plaisent à hypothéquer l’avenir de l’Afrique, en maintenant les rapports « dominant-dominé ». La question qui se pose avec le nouvel ordre mondial, c’est la nouvelle place de l’Afrique. Comment l’Afrique va-t-elle évoluer dans cette nouvelle page géopolitique sans subir une nouvelle domiciliation étrangère ?
Qu’est-ce que vous préconisez ?
De poursuivre la déconstruction des mythes coloniaux et néocoloniaux, de déconstruire les préjugés du système capitaliste occidental sur les capacités des Africains à s’assumer, de changer le narratif d’une Afrique de tous les maux, de toutes les misères, et de continuer à véhiculer une image positive de l’Afrique, du sursaut néopanafricain, et surtout de » décoloniser nos analyses », comme le suggère Olivier Colombani dans son livre Mémoires coloniale.
On parle souvent d’une expérience singulière pour les Comores…
Une expérience singulière, oui et non ! Vu que la France, ancienne puissance colonisatrice, décide d’occuper l’île comorienne de Mayotte, au mépris du droit international et des droits humains. On peut qualifier l’expérience de l’archipel des Comores de singulière car les phénomènes coloniaux sont encore présents. L’esprit colonial de la France est encore en vigueur aux Comores. L’archipel des Comores constitue un véritable laboratoire des représentations et des enjeux géopolitiques, à l’exemple de « la fabrique des frontières et de leur mise en œuvre à Mayotte ».
Recueillis par Soeuf Elbadawi