Hodari le réal de Viral

Conversation avec le jeune réalisateur qui monte, Said Hodari, prix du jury de Waliya séries, une compétition soutenue par l’Ambassade de France à Moroni, en partenariat avec Seaview, Yas, Canal+ Comores et l’ORTC. L’occasion de saisir deux ou trois bouts d’histoire sur l’évolution du monde des images mouvantes à Moroni.

Une affaire de passion. Said Hodari commence très jeune, attiré par les mystères de l’écran et l’idée de tisser des histoires. « Je dessinais, j’écrivais des bandes dessinées, et, peu à peu, j’ai commencé à filmer avec les moyens dont je disposais, notamment avec un téléphone portable. C’est en expérimentant ainsi J’ai vite compris que le cinéma pouvait devenir un véritable engagement ». Il n’a pas connu le cinéma à l’ancienne. L’époque d’Al-Camar, des cinéma Beauregard, de l’indien Ali Mandjee. Il n’était sans doute pas né. Mais il garde en souvenir le temps des séances vidéo à 50 kmf. « Ce qui me marquait, au-delà du film lui-même, c’était le fait d’être rassemblés, de vivre ensemble une émotion. J’observais les réactions du public, je voyais comment un film pouvait faire rire, pleurer, ou même provoquer un silence pesant ».

C’est là qu’il comprend que la caméra est un outil puissant pour conter des histoires. La maîtrise de l’image, l’imagination plein pot. Lui regrette les histoires bricolées de son frère, Elarif Msaidie, enseignant, aujourd’hui aux éditions Quatre Etoiles. « Il faisait lui aussi des petits films. À chaque fois qu’il revenait en vacances, il apportait une caméra avec lui. Il nous filmait, puis montait des vidéos qu’il gravait sur DVD pour que la famille puisse les regarder ensemble ». L’exercice lui paraissait alors incroyable. « Quand je me regarde enfant, ou quand je revois mon père, aujourd’hui décédé, ainsi que d’autres membres de la famille qui ne sont plus là, l’émotion est immense. Il m’arrive même d’en pleurer ». Émotion toute, émotion pleine. La vidéo fige le temps. « Malheureusement, il a depuis abandonné cet univers pour se consacrer à la littérature. Il écrit et publie des livres aujourd’hui. Mais pour moi, ce qu’il a planté en moi avec une caméra continue de grandir à travers mes films ».

Viral, la mini-série, primé au festival Waliya séries, ainsi qu’un autre projet, Dr Ben.

Son premier film ? Il s’en rappelle. « À l’époque, je n’avais ni matériel ni ordinateur, seulement un téléphone. Avec quelques amis, nous avons réalisé un long-métrage avec ce téléphone. Ce n’était pas parfait, bien sûr, mais ce projet m’a appris l’essentiel ». Il comprend comment aller au bout d’un projet avec trois bouts de ficelle. C’était dans les années 2014-15. C’est là qu’il entame son parcours, avec des tutos sur internet. Il apprend à se débrouiller. « Quand les moyens manquent, c’est la volonté qui prend le relais. On apprend à créer avec peu, à improviser, à tirer le maximum de ce qu’on a sous la main ». Le monde de l’image exige cependant des savoir-faire précis. À l’écriture, à la réalisation, à l’interprétation, quand il s’agit de jouer. Comment fait-on dans un contexte où personne n’a été préparé à s’engager dans les différents métiers qui y sont liés ? «Personnellement, j’apprends en tournant, en faisant des erreurs, en observant ce qui fonctionne ou non ».

YouTube reste une école, avec ses tutos, ses retours d’expérience. « On s’enrichit aussi en regardant des films, en étudiant comment certaines scènes sont écrites, éclairées, mises en scène. Chaque tournage est une occasion d’apprendre ». D’expérimenter. Comme d’autres avant lui, Said Hodari a intégré la leçon. Réaliser à Moroni oblige à certaines contorsions. « Les structures de soutien sont quasi inexistantes, et l’accès à des financements extérieurs reste limité. Du coup, on mise beaucoup sur l’entraide ». Il monte sa boîte avec ses potes : Piccel Studio. « Souvent, on discute de ce qu’on a, et on avance avec ce qu’on peut, même avec un budget de zéro. Je reste lucide ». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des ambitions, comme « de pousser le spectateur à voir les choses autrement ». Il en est convaincu : « La caméra est une voix, et elle doit être claire, engagée et humaine ». Il se voit en train de questionner l’identité, l’histoire, la culture : « encourager une création qui divertit, oui, mais qui valorise aussi nos récits, et qui participe à la construction d’un imaginaire collectif fort ».

Viral en ligne sur YouTube.

Récemment, l’Ambassade de France a fait une OPA sur cette scène comorienne, où certains comme Seush le chorégraphe (qui vient d’installer sa compagnie TchéZa en France) la célèbrent comme l’unique soutien existant. Mieux qu’une intelligence d’artificier, un art tranché du soft power en plein désert, au pas de trot. Il y a longtemps que les autorités nationales ont abandonné leurs artistes. En cinéma, ladite Ambassade (Place de Strasbourg, Moroni) a financé une compétition (Waliya séries), où Hodari est sorti « classé » : prix du jury pour Viral, son plus grand projet à l’affiche. La série évoque l’histoire d’un journaliste, qui dérape. « Nous avons réussi à faire naître une œuvre forte ». L’expérience a été intéressante dans le sens où elle a permis à Piccel Studio de s’équiper. Un point positif, bien que ce principal partenaire a exigé que les projets soient réalisés en langue française. Qui paie la musique, choisit le répertoire, dit-on. Hodari s’en dégage par une pitchenette, comme pour se déresponsabiliser d’avoir admis de jouer le jeu : « Le sujet de VIRAL touche profondément à la réalité comorienne ; il aurait gagné en authenticité et en puissance s’il avait été en comorien. Cela ne veut pas dire que le résultat n’est pas bon, mais je pense que le message n’a pas eu l’impact que j’espérais ».

Sa réponse à ce débat essaie de contourner une polémique, pourtant justifiée, sur le contrôle des contenus par une autorité étrangère. Hodari oriente le débat ailleurs : « Ce type de soutien ponctuel est précieux [en parlant de l’Ambassade de France], mais il ne remplace pas un véritable système ». Il croit préférable de capitaliser sur cet épisode pour assurer la suite. Sans doute ne sait-il pas que les débuts du cinéma aux Comores en ont vu d’autres avant Waliya séries, dont le fameux épisode du Ciff, notamment. Festival apparu, aussitôt disparu. Un début d’histoire, qui n’a jamais connu de suite, mais le jeune réalisateur se pense optimiste. « Je crois qu’à l’avenir, nous pourrons trouver des solutions », pour que les partenaires « comprennent l’importance de produire des films et des séries en langue comorienne. C’est en assumant pleinement notre langue et notre culture que nous pourrons proposer un cinéma authentique et original ». La vérité est peut-être que les créateurs comoriens ne savent pas se prendre en charge. Ils savent mendier leur existence, mais ne savent jamais comment se distinguer par une forme de souveraineté non-négociable.

Dantzi* Le chant du salut, un projet réalisé par Saïd Hodari l’an dernier avec l’acteur Soeuf Elbadawi, projeté au week-end de la debérlinisation à Berlin en avril 2025.

Les fournisseurs d’internet comme Yas ou Comores Telecom, demandeurs de contenus pour le web, se mêlent à ce genre de débat. Yas a soutenu le projet Waliya séries comme Comores Telecom avait soutenu le projet Nyora en musique (qui n’existe plus, non plus). Mais Hodari, lui, pose le problème de l’accès au service, et non sur l’achat de contenus : « C’est grâce à internet que j’ai pu me former à la réalisation, au montage, à l’écriture… Comment peut-on espérer qu’un jeune aujourd’hui apprenne ou se forme s’il n’a pas un accès stable et abordable à cette ressource ? » Et sans doute qu’un jour, Yas ou Comores Telecom saisiront que la culture n’est pas qu’une manière de s’afficher plus cool auprès de la jeunesse. « C’est un investissement gagnant pour tout le monde » dit-il. Pour l’heure, les seules plateformes accessibles aux créateurs locaux sont Facebook, Instagram et YouTube, qui n’ont pas de réelle incidence sur les revenus des créateurs. « Il est urgent de réfléchir à des solutions alternatives, peut-être locales ou régionales, qui permettent de créer une vraie économie autour de la création audiovisuelle comorienne ».

Faire du cinéma à Moroni est donc un pari. Piccel Studio ne tient debout que parce que des entreprises ou des ONG offrent des planches de salut – des « contrats de survie » – en attendant mieux. Les réals produisent des docus de promotion ou des clips par défaut. Car le cinéma ne nourrit pas son homme dans ce contexte plombé. Les seuls réalisateurs qui s’en sortent naviguent à l’étranger. On pense à Hachimiya Ahamada, à Mohamed Said-Ouma ou encore à Mounir Allaoui. Des réalisateurs à double nationalité, réaffirmée. Said Hodari n’a cependant que 28 ans. Il a conscience de l’absence d’expérience, des egos minant la scène culturelle, de la méfiance régnant dans le microcosme, tout en misant sur l’avenir. « Ce n’est qu’en travaillant ensemble, en se complétant, qu’on pourra structurer une véritable industrie de l’image aux Comores. Les bases sont là, il faut juste apprendre à mieux coopérer ». Il essaie de croire en « l’émergence » de nouveaux talents, le discours du moment. « Ce qu’il nous faut maintenant, c’est de la continuité, de la formation, et des structures pour accompagner cette dynamique ». Il est sûr que le terrain est « vierge », que tout reste « à construire ». On aimerait pouvoir le croire…

Med & Hous B.