Well done Comorians !

On l’oublie trop souvent : la mémoire reliant les Comores à l’archipel de Zanzibar ramène à un passé très lointain. Du politique au social, en passant par l’économie et la culture, l’impact est énorme. Depuis les premiers boutres, identifiés dans cette histoire lointaine, jusqu’à l’imaginaire actuel, il est un passé commun, qui doit vraisemblablement être ré-interrogé, de nos jours. Installé à Paris, Mohamed Saleh, anthropologue, a bien voulu nous en parler.

Est-il possible de retracer le lien entre Zanzibar et les Comores, à partir du vécu passé, des origines ?

Les rapports entre Zanzibar et les Comores remontent à très loin dans l’histoire. Ces deux archipels font partie intégrante de l’aire culturelle swahilie. Les peuples de ces îles de l’océan Indien se sont côtoyés pendant des siècles, et ensemble, par leurs échanges et influences réciproques, ont contribué à forger et à enrichir la civilisation swahilie, qui se répand sur plus de 3.000 kilomètres du littoral Est-Africain, de Brava (Somalie) jusqu’à Sofala (Mozambique) et les îles environnantes. Grâce aux vents de mousson, Kusi et Kashkazi, propulsant les boutres de ces deux pays dans les deux directions, les liens entre ces deux peuples se consolidèrent sur tous les plans : économique, politique et social. C’est aussi grâce à l’interaction entre ces deux peuples qu’un certain nombre de ressortissants Comoriens se sont installés, au fur et à mesure de l’histoire, à Zanzibar. Quand Seyyid Said bin Sultan[1] a posé les pieds pour la première fois à Zanzibar en 1828, il trouve déjà un nombre important de Comoriens, établis principalement dans l’île d’Unguja (Zanzibar) et un nombre très infime dans l’île sœur de Pemba. Les traits communs swahilis de ces deux archipels sont évidents dans divers aspects de la vie sociale et culturelle, ainsi qu’au niveau des influences architecturales, linguistiques, artistiques, vestimentaires, culinaires et spirituelles. Les deux peuples partagent le même système de représentation. Ils adorent et sont souvent possédés par les mêmes esprits ambiants qui circulent dans le monde swahili, et recourent aux mêmes méthodes thérapeutiques.

Avec le temps, l’histoire s’est complexifiée sur un plan politique, avec des liens de vassalité…

Quand Vasco da Gama réussit, là où Bartholomeu Dias échoue dix ans auparavant, à traverser le Cap de Bonne Espérance, en route vers l’Inde, personne n’imaginait l’impact que cela pouvait y avoir sur les Cité-Etats swahili. Vasco de Gama fait escale à Zanzibar entre 1497 et 1499 ; ce qui ouvre la porte à l’extension de l’influence coloniale portugaise dans la région. C’est une colonisation qui a marqué son histoire avec une brutalité inouïe. Pour mettre fin à deux siècles d’occupation portugaise, les souverains des Cité-Etats swahilis se mobilisèrent, sollicitant l’aide des Omanais, leurs partenaires de longue date dans les échanges maritimes. Les Omanais avaient déjà auparavant vaincu les Portugais à Mascate[2]. Ils ont réussi à libérer Zanzibar et Paté en 1692, puis à mettre un terme à la présence portugaise au Nord du Ruvuma[3], avec la chute de la garnison de Mombasa en 1696. Les Omanais en ont profité pour renforcer leurs liens historiques avec les souverains locaux. Libérateurs dans un premier temps, ils œuvrent dans un second temps à asseoir leur control sur l’ensemble du monde swahili. De ce processus résulte l’établissement d’un règne swahili-omanais, qui se finit dans l’usurpation totale du pouvoir par les Omanais au détriment des souverains locaux au XIX siècle. En 1832, Seyyid Said bin Sultan transfère sa capitale de Mascate à Zanzibar. La conférence de Berlin de 1884-85 est néanmoins venu partager le Continent entre les puissances européennes, créant de nouveaux pays avec des frontières artificielles. Le monde swahili s’est retrouvé lui aussi partagé entre plusieurs états. Les Comores restent la seule entité swahili, homogène, pouvant servir de porte-drapeau pour l’intégrité socio-culturelle du monde swahili, malgré l’amputation de son milieu naturel d’une partie de son territoire, Mayotte.

Le règne des Omanais a réussi en tous cas à influer sur les Comores, soit par mimétisme du pouvoir local, soit par des liens de vassalité avérés.

Les influences shirazi ont précédées celles des Omanais. C’est pour cela d’ailleurs qu’un nombre important de population de la côte se considère comme shirazi[4]. Selon les récits, les Comores et Zanzibar ont été, à une période de leur histoire, sous la même administration du Sultan de Kilwa[5], Hassan bin Ali. Celui-ci était l’un des sept fils de dirigeants « shiraziens », qui ont fui leur province au cours du Xème siècle pour s’installer tout au long de la côte swahili, à partir de Mogadiscio. Mais l’influence omanaise, qui arrive plus tard, est aussi bien gravé dans la mémoire collective. Elle s’est répandue sur tous les plans : social, économique et politique.  Et cela même bien avant l’arrivé de Seyyid Said bin Sultan en 1828 et l’installation de la capitale de son empire à Zanzibar en 1832. Les structures politiques d’administration de l’époque reflétaient plus ou moins celles d’Oman. Le titre des souverains swahili, Mwinyi Mkuu, ressemble à celui du sultan par ses attributions. Les structures administratives, par exemple les mudiria, et les titres, liwali et waziri, sont le reflet de cette administration omanaise. Les mariages que les omanais contractaient avec les femmes swahili ont joué un rôle important dans le processus de leur intégration dans les sociétés du littoral Est-Africain. Je me souviens toujours de ce que ma grand-mère maternelle nous racontait, concernant ses origines patrilinéaires liés à la ville de Sour à Oman. C’est une des régions d’Oman où se trouvent les grands fabricants des boutres, ainsi que de grands voyageurs, qui ont sillonné le monde et les côtes swahili. En allant aux Comores en 1997, J’ai pu constater à Mtsongole, Mitsamihuli, les maisons anciennes, construites de la même façon que celles que j’ai pu trouver dans certains endroits de Sour et même à Salala, Oman. La maison où vivaient les sœurs de ma grand-mère à Mtsongole était exactement de ce modèle. Malheureusement, ces bâtissent n’existent presque plus, aujourd’hui à Mitsamihuli. Dans le quartier de Mtsongole, elles sont substituées par les constructions en brique, en béton.  Par contre, l’influence vestimentaire omanaise reste encore très présente et prestigieuse dans le quotidien, surtout pendant les fêtes traditionnelles, telles que le grand-mariage (anda).

Un extrait de presse avec le cabinet renversé par Karume, auquel participait Maulidi Mshangama et Ibuni Saleh Mohamed, deux ministres comoriens. Un souvenir de l’équipe de Hockey sur gazon, vainqueur de la coupe régionale, avec Mohamed Abdou « Mfarantsa » (costume). L’équipe de Tennis des Comoriens de Zanzibar. Les Wangazida de Vikokotoni, lors d’un mariage.

Zanzibar est vite devenue une porte ouvrant sur le monde pour les natifs de l’archipel. Le lieu de migration par excellence, qui permet de rejoindre le Continent, jusqu’au Maghreb, vers le monde arabo-indien, vers l’Europe…

Zanzibar a tout le temps été pour les boutres en provenance des Comores et même de Madagascar un point de passage obligé pour aller vers différentes parties du monde. Pour tous les autres bateaux passant dans la région, également. Ils faisaient escale à Zanzibar pour se ravitailler, avant de poursuivre leurs routes. Rappelons au passage qu’à son apogée, Zanzibar était un empire commercial, la métropole de l’Afrique orientale. Zanzibar était en ce temps-là l’entrepôt le plus important de la région, relais du commerce des produits manufacturés, en provenance des pays industrialisés, et des matières premières, tirées des îles ou de l’intérieur du Continent. Les îles aux épices étaient la plate-forme commerciale régionale, et également le centre de tractations diplomatiques de grand augure. Toutes les représentations diplomatiques[6] s’y trouvaient avant la création de nouvelles villes dans la région comme Nairobi, Kenya (1899), Dar es Salaam[7], Tanganyika (1865) et Kampala, Ouganda (officiellement à partir de 1962).

Par la suite, Zanzibar est devenu le haut-lieu de l’excellence pour nombre de Comoriens, le lieu de migration où se forgeaient surtout les esprits les plus avancés du paysage culturel comorien, bien avant que Madagascar, grâce à la colonisation française notamment, ne déteigne sur l’ensemble de l’archipel. De grands esprits sur un plan religieux sont nés ou ont grandi à Zanzibar. Des esprits érudits…

Grace à sa position géostratégique, Zanzibar s’est ouvert, très tôt, au monde. Ce qui a favorisé son développement. Intégrant son écosystème, les Comoriens n’ont pas joué la carte du « undrwadingoni ». Ils l’ont saisi comme une opportunité. Nombre d’entre eux étaient salarié, auto-employeurs dans le petit commerce ou enseignants du coran à domicile. Vers la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle, certains ont occupé des positions souvent intermédiaires et aussi des postes de direction dans l’administration. C’est surtout dans le domaine de la religion que cette communauté a laissé une empreinte ineffaçable dans toute l’Afrique orientale. Sheikh Seyyid Ahmad bin Abubakar bin Sumeyt[8] est l’un des ulemas dont le nom a marqué l’histoire des études et de la connaissance des disciplines religieuses en Afrique orientale et au-delà. Il a occupé pendant des années la fonction de kadhwi sous le règne de Seyyid Barghash. Son fils, Sheikh Seyyid Omar bin Ahmed bin Abubakar bin Sumeït[9] a également occupé cette fonction. D’autres comoriens ont assuré cette fonction de kadhwi à Zanzibar. Par exemple, sheikhs Muhammad bin Faraj El-Iconi[10] et Ahmed Abubakar El-Munsabi, kadhwi sous le règne du sultan Seyyid Majid bin Said (1856-1870), Sheikh Muhammad bin Ahmed El-Moroni[11], théologien de renommée et kadhwi sous le règne de Seyyid Barghash (1870-1888). Il était réputé pour sa rigueur, appliquant la loi, rien que la loi, et sans aucune faveur à quiconque. Sheikh Ahmad Mohamed Mlomry est un autre personnage religieux d’origine comorienne qui a contribué à la formation des ulemas en Afrique orientale. Parmi ses disciples figure Sheikh Abdalla Saleh Farsy[12]. Ukutani et Majabalini sont parmi les institutions marquantes de Zanzibar, où les lettrés d’origine comorienne ont contribué à l’enseignement du Coran et à la formation aux disciplines religieuses. Msikiti Barza, qui se trouve dans les enceintes d’Ukutani, a assuré une formation religieuse de base à de nombreux enfants et jeunes de Zanzibar ; certains sont devenus par la suite des grandes personnalités reconnues au niveau national et international. Abdulrazak Gurnah et son grand frère Ahmed Gurnah étaient parmi les élèves de Sheikh Abdulla Moidhini (orginaire de Bangwa Kuni) et de Maalim Himidi Hadj Abdullah et son frère, Said Hamadi (originaires de Buuni, Hamahamet). Seyyid Omar Abdullah (Mwinyi Baraka) était le pionnier et le directeur du Muslim Academy de Zanzibar. Lorsque Julius Nyerere et Jomo Kenyatta ont voulu éliminer la East Africa Muslim Welfare Society (EAMWS)[13], ils ont fait arrêter les ulémas de la région. Un grand nombre de ceux arrêtés en Tanzanie étaient d’origine comorienne[14]. Ali Mwinyi Tambwe (l’un des précurseurs du MOLINACO) et Seyyid Omar Abdulla (Mwinyi Baraka) furent parmi les détenus dans les cellules de Kwa Bamkwe[15] – dans les geôles de Zanzibar. Mzee Mohamed Mbaba, d’origine comorienne, trouva la mort, durant sa période d’emprisonnement[16].

Zanzibar a joué un immense rôle dans l’émancipation politique de l’archipel durant le XXème siècle. Une élite aux origines comoriennes bien tassées, formée à l’école anglo-saxonne, s’est beaucoup distinguée sur ce plan…

La majorité des Zanzibaris d’origine comorienne soutenait la lutte pour l’indépendance. Tous, chacun à son niveau, et d’une façon ouverte ou non, ont contribué à faire avancer la cause pour la souveraineté des Comores. Abdou Bakari Boina (Molinaco) avait l’oreille des jeunes cadres et intellectuels, fréquentant le Comorian Sports Club à Zanzibar. C’est un club des jeunes de la communauté au sein duquel Abdou Bakari Boina prodiguait des cours de la langue française à un certain nombre des membres de cette élite. Sans distinction d’appartenance au niveau de la politique locale : Afro Shirazi Party (ASP), Zanzibar Nationalist Party (ZNP), Zanzibar and Pemba Peoples’ Party (ZPPP), voire les marxistes d’Umma Party. Tous ensemble étaient solidaires à l’idée de l’indépendance de l’archipel. Même si Abdou Bakari Boina était plus attiré par les idées du Afro Shirazi Party (ASP) d’Abeid Amani Karume, l’élite de la communauté savait faire la part des choses. Deux exemples, de personnes engagées ouvertement, sans craindre pour leur avenir professionnel : Shariff El Had et Ashraf Himidi. Le premier était cadre de Banque. Il a occupé un poste de Trésorier du Molinaco à Dar Es Salaam. Le second était manager de British American Tobacco (BAT), avant sa nationalisation. Il a été le lien essentiel entre le Molinaco et le Frelimo de Mozambique. L’engagement politique de Salim Himidi Bwanatosha et Ali Ngazi au sein du Pasoco, tous les deux en provenance de Zanzibar, est un témoignage évident de la prise de conscience et de l’engagement politique pro-indépendantiste des cadres et jeunes intellectuels de la communauté à Zanzibar et à Dar Es Salaam. Aboud Maalim, ancien ministre du gouvernement de Tanzanie avant qu’il démission de son poste au moment où les Comoriens ont été déchu de leur nationalité tanzanienne, semble-t-il soutenait le mouvement pour l’indépendance des Comores sans trop s’afficher.  Il en est de même pour les jeunes qui sont partis poursuivre leurs études supérieures dans les pays de l’est avec les bourses du Molinaco, avec la perspective de retourner aux Comores pour servir le pays. Malheureusement, c’est seulement une poigné d’entre eux qui est rentrée. Personnellement, je ne connais que Fahari Aboud, qui, après ses études de vétérinaire, est rentré au pays. Certains autres ont tenté de rentrer à la fin de leurs études, mais se sont heurtés à un mur de défiance de la part de leurs compatriotes aux Comores. Ils étaient vus par les autres comme une menace pour leurs postes.

Malcolm X avec Babu, autre figure issue de la communauté, également fondateur de l’Umma Party, le parti des masses (marxiste-léniniste). Les Swinging Kids, amateurs d’Elvis Presley, aux côtés d’Amine Moumine, l’ancien ambassadeur des Comores aux Nations Unies. Al-Habib Omar bin Sumeït et Mwinyi Baraka, hautes figures de l’islam à Zanzibar.

Que dites-vous des malentendus qui ont surgi au moment de la révolution de Karume ?

Sur ce point, on rapporte quatre principales histoires : les Comoriens auraient nié leur identité africaine ; ils auraient soutenu les arabes dont le régime a été renversé par la Révolution ; ils auraient été massacrés durant cette même révolution, avec un parallèle fait avec les massacres de Majunga ; et en dernier lieu, les Comrades / Komredi seraient revenus aux Comores après la révolution. Dans le contexte du Zanzibar prérévolutionnaire – une société cosmopolite – le concept d’africain n’avait pas le même sens pour tous. Pour la majorité, africain représentait exclusivement les Africains du Continent et/ou descendants d’esclaves. Les Africains de Zanzibar s’autodésignaient shirazi. Il s’agit d’un groupe majoritaire dans l’archipel. L’identité shirazi leur permettait de se distinguer des Africains originaires du Continent et/ou descendants d’esclaves, et aussi des Arabes, des Comoriens et autres groupes ethniques. Rappelons au passage qu’il y avait plus de 23 associations à base ethnique, encouragées par la politique coloniale britannique, qui divisaient pour mieux régner. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les Anciens de la communauté comorienne, quand ils insistaient sur leur identité comorienne comme étant distincte des autres identités insulaires parmi lesquels l’Africain. C’est une situation prévalente dans les sociétés plurielles, d’où l’importance de tenir compte du contexte social et de la période d’analyse. L’identité shirazi fut interdite après la révolution. Les cadres intellectuels shirazis qui ont soutenu le parti Afro Shirazi, furent éliminés par le régime de Karume.

Dès le début de la formation de son parti, l’Afro Shirazi, Abeid Amani Karume sollicita la communauté comorienne de Zanzibar d’adhérer à son parti. Les leaders de la communauté n’ont pas accepté, en laissant le libre choix à leurs membres de s’engager, selon leur affinités politiques et conscience[17]. C’est une réponse qui n’a pas plu à Karume, et il gardera rancune envers cette communauté toute sa vie. Une minorité des cadres intellectuels Comoriens et ceux de la classe ouvrière ont pourtant soutenu son parti.  Mais un nombre substantiel a soutenu le Zanzibar Nationalist Party, parti nationaliste, et certains ont occupé même des positions stratégiques en son sein. Lorsque Abdulrahman Babu est devenu secrétaire général du parti nationaliste, épaulé par Salim Ahmed Salim, à la direction de la jeunesse, Youth Own Union (YOU), les jeunes Comoriens se sont engagés activement, contribuant largement à la propagation des idées marxistes dans le parti et aussi dans la société en général. Quand l’espace pour les idées progressistes s’est restreint au sein du ZNP, beaucoup de ces jeunes ont quitté le parti à la suite de Abdulrahman Babu et de Salim Ahmed Salim, qui ont créé l’Umma Party. C’est un parti à idéologie marxiste-léniniste, et ses militants étaient populairement appelés « Comrades », c’est-à-dire camarade.

Deux nationalismes se sont alors confrontés à Zanzibar. Le nationalisme zanzibari et le nationalisme africain. Le premier avait pour cible le colonialisme anglais, et donc la décolonisation du pays avant tout ; le deuxième avait pour cible les arabes, menant une campagne pour l’émancipation, basée sur l’ethnicité des africains de race noire. Alors que le parti nationaliste (ZNP) était représenté sur les deux îles de Zanzibar, le parti Afro Shirazi était surtout représenté dans l’île d’Unguja et peinait à recruter sur l’île de Pemba. La très grande majorité de la population de Pemba était cosmopolite. Maulid Mshangama, un Comorien, fut même élu dans une circonscription de l’ile de Pemba au titre du ZNP, en qualité de membre à l’Assemblée nationale de Zanzibar (1963). Aussi les Comoriens de Zanzibar dans leur grand nombre ont soutenu le nationalisme zanzibari contre le colonialisme anglais et un nombre minime le nationalisme africain, qui avait pour cible les Arabes.   

Comme je l’ai dit plus haut, les Comrades étaient les membres du parti Umma, fondé par Abdulrahman Babu et Salim Ahmed Salim. Ce parti a soutenu la révolution et participé au nouveau gouvernement postrévolutionnaire.  Il est par conséquent évident que les Comoriens de Zanzibar qui sont rentrés aux Comores, ne pouvaient pas être des Comrades ou Komredi, comme on a tendance à le croire. Ceux qui sont rentrés aux Comores sont les anciens du parti nationaliste renversés par la révolution, menée par le parti Afro Shirazi de Karume, avec un encadrement, dès le matin de la révolution, des cadres du parti Umma de Babu et Salim Ahmed Salim, formés à Cuba. Les personnes comme Messieurs Aboud Mdahoma (alias Masuruali), Hassan Mshangama, Aboud Said, Aboud Mkandaa et Bwana Darwesh n’ont jamais milité au sein du parti Umma et n’ont jamais été des « komredi ».

Des anciens des Swinging Kids avec Amine Moumine, ancien représentant des Comores aux Nations Unies. Des zanzibari d’origine comorienne à Londres aux côtés de l’ambassadeur d’Oman aux Nations Unies Salim Hakim. De gauche à droite : Othman Nombamba, ingénieur supérieur en informatique, Abdulrazak Gurnah, Nobel de littérature 2021, et feu Ahmed Rajab, journaliste international. Les trois sont issus de l’école coranique de Msikiti Barza. Debout (en bleu), le sultan Jamshid bin Abdullah, renversé par la révolution de 1964, et dont la femme était d’origine comorienne.

Vous parliez du parallèle fait avec les massacres de Majunga ?

Il n’y a jamais eu de massacres de Comoriens à Zanzibar. Je ne nie pas le fait qu’il y a eu quelques Comoriens tués, blessés et même torturés en 1964, mais cela a été pour des raisons politiques, et non pas ethniques. Faire un parallèle des évènements de 1964 à Zanzibar avec les massacres des Comoriens à Majunga (Madagascar), en 1976, c’est excessif. John Okello et ses lieutenants, Abdulla Mfarinyaki (tanganyikais), Absalom Amoi Ingen (kenyan)[18], et les combattants de Tanganyika, envoyés par Julius Nyerere à Zanzibar, n’étaient pas en mesure de reconnaître et distinguer les Comoriens avec les autres populations swahili de Zanzibar. Les insurgés attaquaient les maisons portant les symboles des partis de coalition au pouvoir : ZNP-ZPPP. Ils attaquaient les personnes qui se trouvaient dans ces maisons, affichant les symboles de Zanzibar Nationalist Party – ZNP, Coq, et Zanzibar and Pemba Peoples’ Party – ZPPP, le poisson, Espadon.

Une dernière question. Aujourd’hui, Zanzibar est devenue une sorte de mythe de la migration comorienne. Avec des va et vient incessants entre les deux rives. En même temps, de Zanzibar s’exprime une élite culturelle s’adressant au monde, se réclamant en partie d’une origine comorienne (Adam Shafi, Abdulrazak Gurnah, Lubaina Himidi), à la suite des Ibuni Saleh et autres Mwinyi Baraka…

Si historiquement, il y avait des va et vient entre les deux pays, ce n’est plus le cas, aujourd’hui. Les Comoriens en provenance des Comores vont plus à Dar es Salaam, pour des raisons médicales et commerciales, et très peu traversent la mer pour aller à Zanzibar. Il y a aussi de la confusion parmi les Comoriens, qui ont du mal à distinguer Zanzibar et Dar es Salaam, et parfois même avec Mombasa et Nairobi. Très peu savent que la Tanzanie est l’union de deux pays, souverains et indépendants. Il faut dire aussi que Zanzibar n’a plus la place qu’elle avait. Il ne reste que de la nostalgie. L’élite culturelle d’origine comorienne, qui, de Zanzibar, s’est hissé sur la scène mondiale, est en effet produit du système éducatif prérévolutionnaire. Les personnalités que vous citez, mis à part Lubaina, qui a quitté très tôt Zanzibar, après la mort de son père comorien, ont obtenu leur éducation (principalement) dans les institutions éducatives du Zanzibar d’avant la révolution. Ils ont suivi leurs formations supérieures à l’étranger. Adam Shafi, auteur très populaire, débordant les frontières de l’Afrique orientale, tire ses origines ancestrales de la région de Mitsamihuli et plus précisément du quartier de Mtsongole. Abdulrazak Gurnah, le Nobel de littérature de l’année 2021, zanzibari d’origine yéménite, ne se revendique pas Comorien, malgré ses affinités avec les Comores. Malheureusement, je n’ai pas eu l’idée d’engager une discussion avec lui sur la question, les fois où nous avons eu l’occasion de nous parler. Par contre, je sais bien que son grand frère, Ahmed Gurnah, était très fier de ses affinités yéménites-comoriennes. Il faut rappeler au passage que les mariages entre les Comoriens et les Shihiris (Yéménites) étaient très courant à Zanzibar. Visiter les Comores pour Ahmed équivalait presque au voyage de l’umra pour les musulmans. Je me souviens très bien de la lettre qu’il nous a écrit avec les détails de chaque étape de son voyage dans les quatre îles de l’archipel des Comores. Il était content d’être accueilli, lors de sa visite à Maore, par sa nièce Muzdalifa Aboud Mdahoma. Elèves de Msikiti Barza, les frères Gurnah ont été formé par Maalim Himidi Hadj Abdullah et Maalim Said Hamadi, de Buuni (Hamahamet), ainsi que par Sheikh Abdullah Moidhini de Bangwa.

Enfin, il est très important de dire ici qu’être Comorien à Zanzibar était une valeur, et surtout une valeur sûre. La communauté mettait tout en œuvre pour assurer l’excellence dans tout ce qu’elle faisait. Dans l’éducation, malgré leur nombre infime (1% de la population), les Comoriens ont toujours représenté 7% des opportunités d’intégration dans l’enseignement supérieur. Les enfants étaient bien encadrés, de manière à ce qu’ils deviennent un modèle à suivre ou à admirer pour les autres. Le label « Comores » est resté pendant très longtemps une marque, une « brand », solide et respectable. C’est pour cela, qu’il n’est pas étonnant de voir que cette identité à l’extérieur des Comores, notamment dans le monde swahili, attire toujours du monde et continue d’être valorisée. Pour encourager les membres de la communauté à faire encore mieux, les Anciens leurs disaient « Well done Comorians ! »

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi  


À la Une, une famille comorienne. Au milieu Khalid Msafiri Ali, médecin-chef à Peterborough en Angleterre.

[1] Souverain omanais de la dynastie Busaidi, qui décide d’installer sa capitale à Zanzibar en 1832. Cf. Abdul Sheriff, 1987, Slaves, Spices and Ivory in Zanzibar: Integration of East African Commercial Empire into the World Economy, 1770-1873, Dar Es Salaam, Tanzania Publishing House; London, James Currey; Athens, Ohio University Press; Kenya, Heinemann.

[2] Selon la tradition orale, le chant d’enfants kibuzi a servi de code pour passer le message à la délégation swahilie qui allait chercher l’aide des Omanais.

[3] Le Mozambique est le seul pays du monde swahili à être resté sous l’occupation portugaise jusqu’en 1975, soit pendant cinq siècles.

[4] Dont les ancêtres sont d’origine perse, de la province de Shirazi.

[5] La légende de Hassan bin Ali, originaire de la province de Shiraz est très populaire dans le monde swahili. L’histoire du sultanat de Kilwa commence vers 960-1000 après J.-C. Selon la légende, Hassan bin Ali était l’un des sept fils d’un dirigeant de Shiraz.  Une version de cette histoire raconte que la mère de Hassan bin Ali étant esclave abyssinienne, à la mort de son père, ses frères l’ont chassé, afin qu’il ne puisse pas avoir sa part d’héritage.   

[6] L’installation du premier consulat, celui des États-Unis, date de 1836. Et la France, quant à elle ; suit huit ans plus tard. Le premier consul français, M. Broquant, s’installe à Zanzibar, le 21 novembre 1844.

[7] La ville de Dar Es Salaam a été bâtie en 1865, à l’initiative du Sultan de Zanzibar, Seyyid Majid bin Said bin Sultan (1856-1870), sur le territoire des clans Shomvi et Pazi dans le pays Zaramo. Rappelons au passage que Dar Es Salaam faisait partie à cette époque des territoires de Zanzibar sur le continent., lesquels territoires s’étendaient sur 10 km à l’intérieur du Continent, en partant de la côte. La création de la ville de Dar Es Salaam avait principalement pour objectif de permettre aux hommes d’affaires Zanzibaris d’avoir un point de chute pour leurs activités de négoce sur le continent, à la place de Bagamoyo, et au Sultan d’avoir une tranquillité au calme à l’écart des représentations diplomatiques et donc des tractations politiques de Zanzibar. C’est pour cette dernière raison qu’à Mzizima, qui était initialement le nom de ce lieu, fut substitué celui de Dar Es Salaam, c’est-à-dire « maison de paix » en arabe. (Mohamed Saleh, Les Investissements des Zanzibaris à Kariakoo, in Bernard Calas (coordonné par), De Dar Es Salaam à Bongoland, Karthala, Paris, 2006, p. 353-383).

[8] Né le 16 janvier 1861 à Itsandra à Ngazidja et mort le 7 mai 1925 à Zanzibar

[9] Né le 24 septembre 1886, à Itsandra mdjini, à Ngazidja et mort le 10 février 1976 à Ngazidja.

[10] Ressortissant du village/ville d’Iconi à la Grande Comore.

[11] Ressortissant de la capitale de l’archipel des Comores : Moroni.

[12] Traducteur du Coran en kiswahili et auteur d’un nombre important de livres en matière d’islam et de l’histoire ; chief kadhi de Zanzibar du 22/03/1960 au 13/07/1967. Par la suite il est parti s’installer au Kenya, où il a été nommé chief kadhi de ce pays le 29/05/1968, poste qu’il a occupé jusqu’au moment de sa retraite (septembre 1981). Il est mort le 08/11/1982 à Muscat, Oman. Cf. Sheikh Saidi Musa, 1986, Maisha ya Al-Imam Sheikh Abdulla Saleh Farsy Katika Ulimwengu wa Kiislamu, Dar Es Salaam, Lillahi Islamic Publications Centre.

[13] Amani Thani, Ukweli ni Huu, p. 90.

[14] Ils ont été envoyés à Zanzibar pour répondre de leurs actes à la dictature d’Abeid Karume.

[15] Bamkwe, est un surnom de Hassan Mandera, le chef des tortionnaires dans les cellules de la section, des prisonniers politiques, Zanzibar.

[16] Amani Thani, Ukweli ni Huu, p. 111.

[17] Interview avec Monsieur Ali Mohamed Ahmed (Rajab) à Zanzibar en décembre 1992.

[18] Selon John Okello, in Revolution in Zanzibar, East African Publishing House, Nairobi, (1967), p.27.