les Pirates du Mika : naissance du rap aux Comores

Figure du hip-hop comorien, Cheikh Mc est co-fondateur des Pirates du Mika, premier groupe de rap inscrit sur la playlist de la capitale. Débarqué au pays au début des années 1990, le genre s’est popularisé, non sans luttes, ni sacrifices, à partir des années 2000.

Imaginez les créanciers venir toquer à votre porte au lendemain des noces. La stupéfaction des proches face à ces gens venus saisir vos biens. C’est ce qui est arrivé à Cheikh Mc, qui, pour sortir son premier album, avait dû contracter un crédit à la Meck, misant, jusqu’au bout, sur une musique qu’il a portée depuis son adolescence. « J’ai cru que c’était des personnes qui venaient me féliciter, mais non, elles étaient envoyées pour tout saisir », dit-il. Si le rappeur comptait sur son succès auprès de la jeunesse pour vendre son disque, il était difficile de rivaliser avec les graveurs cd, qui étaient devenus un business parallèle, au détriment des artistes.

Des anecdotes, Cheikh Mc n’en manque pas, pour illustrer les difficultés rencontrées. Il en rit aujourd’hui, repensant à sa carrière, qui s’enracine dans les balbutiements du rap aux Comores. Si cette musique – avec ses variantes – est devenue la plus écoutée des jeunes, elle a d’abord été « mineure », et on le saisit en écoutant Cheikh Mc relater son récit. C’est dans les années 1990 que le rap arrive à Moroni dans les valises de la diaspora. Elle est ensuite récupérée par les enfants de la médina. De lui et de ses débuts, revient le souvenir d’un enfant souvent malade, affectant une grande timidité. Il noircit les pages, griffonne un peu de poésie. « J’étais un enfant, je ne savais même pas ce que j’écrivais, et le rap quand il est arrivé, j’ai trouvé exactement ce qu’il me fallait ».

Un cousin est venu de France avec des enregistrements : « une cassette TDK Chrome, je me rappelle même de la couleur, je l’ai saignée, je me suis demandé si j’étais le seul à écouter cette musique, c’est là que je regarde dans le quartier [Mtsangani] et à Badjanani, je découvre Kader qui était à fond, Choukri, El Galib, mais personne n’était prêt à rapper ». Cheikh évoque El-Galib Tourqui comme étant celui qui avait déjà une culture bien assise en la matière, à cette époque sans télé, ni internet : « il était le plus cultivé de tous. Il expliquait West Coast c’est ça, East Coast c’est ci, l’arrivée de Dr Dre, etc. ». Dans les années 2010, El-Galib lancera le concept Comores Hip-hop Days, une dynamique inédite, rassemblant tous les artistes de la scène de la capitale, notamment autour de l’écologie.

Entre poésie traditionnelle et nouvelles influences, ils nourrissent la passion du flow et de l’écriture, sans vraiment oser se lancer. Ils font la rencontre d’Assaf Mo, qui en savait plus sur le rap : « il venait de France, de Stains, là où ça se passait, il avait rappé avec Disiz et d’autres, il était là, caché à Badjanani, il nous a sorti un cahier de 92 pages rempli ». En 1995, Cheikh Mc, Assaf, Kader et Djo Karim (danseur) fondent les Pirates du Mika : le premier groupe de rap comorien. Premiers textes écrits : il fallait composer la musique. Un défi ! « On ne sait pas comment ça se compose, on n’a pas d’instrus à l’époque, pas d’ordinateur ».

Les Pirates du Mike. Kader, Cheikh Lc, Assaf M et Djo Karim à l’avant-scène, sur la photo du haut. Dans celle du bas : Kader, Cheikh Lc et Assaf Mo. Un extrait du programme du festival Donia.

Au studio de Chébli, à Badjanani : « il y avait Fathi Bakhresa et Hakim Samuel, on leur demande le son d’une sirène, ils rigolent, il fallait être en mesure de leur expliquer ». Ils en ressortent avec le premier single : Ras-le-bol. « Mon premier texte qui a influencé ceux des autres, parce que j’ai écrit en premier. Il portait sur le coup d’État de Bob Denard contre Djohar ». Cheikh colle à l’actualité, injectant un ADN politique dans son titre. Ils incarnent une musique historiquement subversive. « Sur le chemin de l’école, on m’arrête pour me demander de rentrer chez moi parce qu’il y a eu un coup d’État. On est devenus des rappeurs engagés dans le discours, dès le départ ».

Le chanteur Décilove, qui dispose d’un home studio, leur tend la main : « il a dit : si vous avez besoin d’enregistrer, venez à la maison, mais il ne savait pas à quel point on avait la rage. Après, il se battait tous les jours pour nous virer ». Ils enchaînent les opus, le second traite de la dévaluation. Radio Loisir à Magoudjou leur laisse une plage de freestyle les dimanches. A l’affût de ce qui se fait dans les milieux hip-hop du monde entier. Ils tombent sur le magazine Radikal et là tout change : « mon beau-frère travaillait à Relay et il m’envoyait des mag avec des cd promotionnels dans lesquels il y avait un morceau instrumental. C’était nos instrus. Et là on était plus à l’aise parce qu’on jouait sur du rap ».

Les moyens d’informations évoluent, réduisant le sentiment d’isolement face à un art, qui parle à peu de gens, sur place : « C’est l’époque où la télé arrive aux Comores, il y a CFI et TV5, 1994, CFI, qui diffuse MCM la nuit, de 22h au matin, c’est une chaîne spéciale musique ». Relayée par ses nouveaux moyens, une culture hip-hop commence à se développer dans le coin. Les murs commencent à être tagués, le break-dance et le smurf (qui étaient là, bien avant, avec notamment Patrick Nombamba) animent les corps.  « Dans la même période, ces chaines françaises ont eu besoin de contenu local, elles ont décidé de passer plus de musiques francophones, et ont ouvert la porte au rap. Donc, on passe les nuits à suivre les programmes et enregistrer sur des cassettes VHS, donc il se passe quelque chose ».

Mais rien n’est gagné pour ceux qui veulent imposer leur univers. Comment faire écouter les sons qu’ils enregistrent alors que la radio refuse de les diffuser ? « On squattait les boums, on ramenait nos cassettes pour les refiler aux D-Jays. On avait des walkmans qu’on ramenait dans les écoles pour faire écouter. Un par par un. Viens, écoute, c’est le nouveau morceau des Pirates du Mika. On s’est fait des fans comme ça ». Le public rap, il a fallu l’inventer, et cela demandait de l’énergie et des sacrifices. Cela revient parfois à mobiliser un véhicule pour passer les morceaux. C’est ainsi que le rap a commencé à être populaire. « Kader pouvait marcher de Hamramba jusqu’à Toping pour donner des cassettes à quelqu’un, puis revenir les récupérer pour les refiler à d’autres ».

Assaf Mo, Kader et El-Galib Tourqui : producteur, rappeur et organisateur. Sur al seconde photo: AST au milieu…

Dans la même période, d’autres noms s’agitent. AST et son Syndicat de la rime ; AYZD et le Lyrical Mafia, etc. Un autre nom – plus rassembleur – voudrait porter cette dynamique naissante, celui de Moroni Groove Possy. Sur la carte de la ville, on peut les situer au lieu-dit Shalima, assis sur le muret bordant la route, ou à Mtsangani : « On avait une petite chambre très humide, c’était notre petit Bronx à nous. On s’habillait avec les baggy, qu’on ne trouvait pas, donc on prenait des grandes tailles ». Emprunter le look du Gangsta Rap de Los Angeles, hérité de la culture pénitentiaire _ jean, baggy ultra large, t-shirt surdimensionné, etc.

Jusqu’où fallait-il prendre au sérieux ces jeunes, nés pour la plupart dans les bonnes familles de la ville, et qui allaient s’envoler ensuite pour l’Hexagone, après le bac ? Cheikh Mc, lui, se dit chanceux de n’avoir pas eu ce choix. Ses difficultés de santé, lorsqu’il était enfant, ont pesé sur sa scolarité. Il accusait un tel retard qu’il lui fût plus simple de renoncer. Alors que les autres partait, il devenait le gardien du temple, liant ainsi son combat personnel à celui du rap. « J’étais le plus connu, parce que j’étais celui qui a duré le plus longtemps. Tout le monde partait. Et moi je n’avais pas ça. Et j’étais là. D’autres plus jeunes que moi m’ont rejoint, ce qui a fait de moi le porte-drapeau ». En 1997, Assaf repart pour la France. Et sur place, les chemin divergent. Cheikh Mc sort Le Hola, un de ses titres phares et fondent La Bande à Cheikh, et Kader de son côté lance le Régiment Derka, avant de décoller à son tour pour Madagascar. 

Un bout d’histoire. Et la popularité qui va crescendo… « J’ai 50 personnes qui me suivent partout je reconnais les têtes ». Un public scolarisé dans les établissements de références, partageant la langue mobilisée : le français. « Je me rappelle de mon premier concert, quand il fallait attendre parce qu’il y avait les compositions à l’école Henry Matisse, Abdoulhamid, Mouigni Baraka, étaient là. Mais il n’y avait pas encore Henry Matisse, on les a attendus ». Puis, le temps et le travail façonnent peu à peu son image et son rap. C’est alors qu’on parle de La Bande à Cheikh.

Ses influences aussi évoluent. Après IAM, Mc Solar, NTM, il tombe sur Boul Fale (1992), des sénégalais Positive Black Soul. « Là, j’ai pris une claque, pour nous le rap c’était américian et puis français, on n’imaginait pas que ça pouvait être local, et eux, dès le début, ils ont mis le mbalax direct dedans ». Cheikh ouvre de nouveaux yeux sur sa culture : « Je suis très riche culturellement, grâce à la musque comorienne, qui est-elle même très riche ». On ne danse plus le mia, mais le twarab, avec la sortie de Moroni, dans un mélange de français et de shikomori.

El-galib et Assaf Mo avec un ami proche. Feu Fathi le producteur, patron de studio. La pochette de l’album Tout-Haut...

Le rappeur quitte sa ville natale pour Mayotte, puis Madagascar, en 2002, pour un grand festival de l’Océan indien, dans lequel sont passés, avant lui, Maalesh et Adina. « Le Festival Donia, à Nosy Be. Je suis le premier rappeur à l’avoir fait. J’y suis allé avec Doudou Masta, Ab2O et Toibrane, on a joué devant 20.000 personnes ». Ils ont entre 15 et 17 ans. Cheikh Mc poursuit le récit, le rire en bout de lèvres : « On arrive dans un grand hôtel, on découvre un autre pays, mon premier voyage. Une sono qui marche bien, personnes pour nous crier dessus ». Le taux de confiance au pic, il crée ensuite un label nommé Cheikh Prod, dont les membres forment La confrérie.

Il y eut d’abord l’idée d’organiser un concert accompagné d’un prix. « Je suis allé voir Nassib, qui a donné 100.000 Francs pour le prix, à l’époque c’était beaucoup. Et ça a pris de l’ampleur, Elamine Tourqui nous a prêté le Club des Amis, on s’est retrouvés avec près de 2 millions de bénéfices. On n’était pas prêts pour ce résultat ». L’argent sert à créer ledit label, avec l’intention d’engager des jeunes, financer les séances de studio (entre 35.000 et 90.000 francs), les plages de répétition, et organiser des concerts. « Tu crées ta concurrence, m’a dit Said Ali Sultan, qui détient à l’époque le Studio Majestic », raconte Cheikh Mc, qui, à ce moment-là, veut voir la dynamique engagée se prolonger dans le temps. « Ça a lancé Toibrane, Chadia, Lailati, Hilamen, etc. On était une dizaine ». Ils font un premier concert le 03 mars 2003 : « Un carton ! »

D’autres rendez-vous arrivent par la suite. « Ça a débordé sur du RnB, de la dance hall, t’as des femmes qui rappent, une évolution qui a donné naissance au mouvement des D-Jays », dans lequel prendre le micro devant un public est une fin en soi, même s’il n’est pas branché. Le multi instrumentiste Fathi, de retour au pays, après un temps passé en Afrique de l’Est, accélère les choses, en lançant son studio. « Ils venaient de partout, parce que Fathi était très productif. Et Il avait la recette. Tout ce que Fathi fait, marchait. Que tu saches chanter où pas. Et là une nouvelle génération débarque. Ils prennent la scène, jouent 4 à 5 concerts la nuit dans Ngazidja »

La fameuse concurrence ? « Ils ont changé le Game. Et moi, on me sollicite un peu moins. Ceux qui étaient avec moi sont tous partis, encore une fois. Et c’est là où je me suis dit maintenant, c’est du gros ou rien ». Cheikh met son énergie dans l’écriture, en collaborant avec Fathi : « On s’est dit, là, il faut faire un album. Sauf qu’il fallait des sous ? Où est ce que je les trouve ? Faire un prêt bancaire que je n’ai pas pu rembourser ». En 2005, voit le jour un premier album de rap titré Tout-haut. Un évènement pour lequel le rappeur n’a pas eu le temps de se réjouir. Il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas atteindre les chiffres escomptés, face à des pirates d’un nouveau genre, munis de graveur cd, faisant du beurre sur le dos des artistes. Mais l’album était là et il fallait le défendre. A suivre…

Fouad Ahamada Tadjiri