Anatomie d’une tutelle redéfinie à la BCC

Analyser les réformes statutaires de 2024 revient à constater que les Comores, loin de suivre la dynamique d’émancipation de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), s’enfoncent dans une consolidation de la tutelle française. La France profite de cette relation bilatérale asymétrique pour institutionnaliser son contrôle, transformant une domination de fait en verrouillage juridique permanent à la Banque Centrale des Comores.

L’accord de 1979 entre la France et les Comores impose trois piliers, qui limitent strictement la souveraineté monétaire. Il fige la parité, en liant le Franc Comorien à l’Euro, en exigeant l’approbation de la France pour toute modification du taux. Ce qui confère à Paris un droit de veto inaliénable. L’accord garantit ensuite une convertibilité. La France assure la convertibilité illimitée de la monnaie. Ce qui justifie en retour les mécanismes de contrôle qu’elle impose. Pour finir, il capture les réserves en avoirs extérieurs. La BCC doit déposer une part substantielle de ses avoirs extérieurs (65% actuellement) sur un compte d’opérations géré par le Trésor français, ce qui donne à la France un levier direct sur la liquidité du pays.

Anciens et nouveaux billets de banque.

Les statuts de 2008 étendent la mission de la BCC au-delà du monétaire pour englober la surveillance du secteur financier et des assurances. En intégrant ces secteurs, la France (qui siège à parité au Conseil) se donne les moyens d’influer sur l’ensemble de la réglementation financière et la mobilisation de l’épargne locale. Les statuts de décembre 2024 ne libèrent pas l’institution, mais solidifient le contrôle français par des verrous juridiques, en masquant la mainmise française sur la Banque centrale et en bloquant par le principe de l’unanimité toute initiative provenant de l’autorité comorienne.

Bien que la France réduise sa présence formelle au Conseil d’Administration (CA) de quatre à deux membres, elle transfère simultanément les pouvoirs décisionnels clés. Les statuts dépouillent le CA de ses missions opérationnelles pour les confier à deux nouveaux organes, appelés des comités techniques (Comité de politique monétaire et Comité de supervision bancaire), au sein desquels la France siège à égalité avec les Comores. Le texte introduit un mécanisme redoutable : l’obligation de l’unanimité au CA pour les décisions stratégiques. Ce dispositif offre aux deux administrateurs français un droit de veto absolu pour bloquer : l’octroi de découverts à l’État comorien, même en cas de force majeure, toute proposition de révision des statuts de la Banque et la validation des règlements intérieurs des comités techniques. En conséquence, ce veto lie la souveraineté budgétaire des Comores à la volonté française, empêchant toute réforme future qui tenterait de desserrer l’étau.

Afin de contrôler l’économie réelle, un alignement de la réglementation et de la géopolitique s’est opéré à travers l’article 7 des nouveaux statuts, qui confirme que la BCC surveille désormais les assurances, via le Comité de Supervision Bancaire. Cela permet à la puissance tutélaire de contrôler les investissements locaux et de s’assurer qu’ils ne menacent pas la garantie de change. Les Comores quittent leur sphère régionale naturelle (Afrique de l’Est, avec le GABAOA) pour rejoindre le GIABA en Afrique de l’Ouest. Ce mouvement déconnecte l’archipel de l’Océan Indien pour rapprocher ses normes financières de celles de la Zone Franc ouest-africaine, facilitant ainsi la supervision par la France.

Dr Younoussa Imani, le gouverneur de la BCC et le billet de 10.000.

Cette réforme de 2024 contraste avec la tendance actuelle en Afrique de l’Ouest, plus précisément au niveau de l’UEMOA, qui a obtenu la levée de l’obligation de dépôt des réserves, alors que les Comores maintiennent le dépôt obligatoire de 65% au Trésor français. La même organisation a négocié le retrait des représentants français. Les Comores, elles, continuent à subir un droit de veto par l’unanimité. La France échange une domination numérique (nombre de sièges au Conseil) contre un contrôle juridique absolu de l’institution aux Comores. Ce qui en dit long sur les deux poids, deux mesures, au sein de la zone Franc.

L’analyse des Statuts de 2024 démontre que la Zone Franc survit, en réadaptant ses chaînes plutôt qu’en les brisant, au niveau statutaire. Le système néocolonial persiste : la France accorde des concessions de façade (réduction des sièges) pour mieux verrouiller les leviers de souveraineté (droit de veto). Contrairement aux peuples d’Afrique de l’Ouest, qui exigent une rupture (fin du CFA, fermeture des comptes d’opérations), les Comores voient leur dépendance institutionnalisée. La clause d’unanimité, qui permet à une puissance étrangère de paralyser le financement de l’État en crise, prouve que l’émancipation réelle exige de démanteler cette philosophie de tutelle et non de la réformer à la marge. La souveraineté véritable ne se négocie pas sous veto. Elle se prend, en refusant la subordination structurelle imposée par ces statuts.

Ce verdict juridique ne saurait masquer une tragédie plus intime : la faillite morale d’une partie de l’élite nationale. Il est impératif de dénoncer la lourde responsabilité des cadres et intellectuels comoriens qui ont mené ces négociations. Loin d’être de simples observateurs dupés, ils se sont faits les artisans actifs de cet abandon, sacrifiant les intérêts vitaux de leur pays sur l’autel d’une soumission diplomatique. En validant ces statuts, ils ne se sont pas contentés d’ignorer les aspirations de leur peuple. Ils se sont rendus complices de son enchaînement, participant sciemment à une entreprise néocoloniale, qui retient désormais les Comores en otage des appétits géopolitiques français. Le pays traverse un moment difficile de son histoire, où le comorien va être amené à re-questionner son rapport à l’ancienne puissance coloniale. Le débat risque d’être long et complexe…

Moudjahidi Abdoulbastoi, avocat au Barreau de Moroni

GABAOA : Groupe Anti-Blanchiment en Afrique orientale et Australe. GIABA : Groupe d’action intergouvernemental contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest.