Le Gombesa festival a pris fin à Iconi, où il s’est tenu du 2 au 8 juillet. Dédié principalement à la danse traditionnelle, le festival comorien, promu par SansBlague – un acteur culturel du cru – a tenu la région du Bambao la Mbwani en haleine, ces jours derniers.
On l’appelle l’homme SansBlague ! Le surnom lui viendrait du père, qui faisait rire son monde, au point de s’être laissé confondre avec le titre du magazine éponyme[1]. Riyadhuidine Idrisse en a fait un métier, en rejoignant le monde du spectacle vivant. Lauréat à Moroni du prix espoir théâtre en 1998, il part avec une bourse de l’ambassade de France à la Réunion où il se forge une perspective dans le spectacle vivant, notamment à travers des stages au Centre Dramatique National de l’Océan Indien (CDNOI) et en passant par le Conservatoire. De retour aux Comores en 2003, SansBlague fonde une troupe – Bahari – avec l’ambition de fusionner les arts du théâtre et de la danse, traditionnelle et contemporaine. Il y porte une casquette de chorégraphe et travaille à monter des spectacles de sensibilisation dans le cadre des campagnes OMS.
Le spectacle vivant devient une seconde manière pour lui. A l’époque, il est amené à œuvrer dans les écoles privées de Moroni. On le voit apparaître au GSFA et à l’école française Henri Matisse entre 2003 et 2004. Avec un public captif de gamins privilégiés, à qui il transmet ses connaissances du jeu d’acteur. SB tente ensuite le grand saut, part en France, en 2006. Il y ouvre une galerie d’art à Orléans, qu’il finira par transférer à Marseille, pour se rapprocher plus de la communauté comorienne, nombreuse dans la cité phocéenne. Il y vend des objets d’artisanat, mais ne rencontre pas le succès escompté auprès du public ciblé. Quand il décide de fermer cet espace (Comor’Art), SansBlague retourne au pays où il crée le Gombesa festivalen 2014, qui tire son nom du premier coelacanthe pêché dans les eaux comoriennes. A l’origine du projet, il était question de rassembler la jeunesse d’une ville, qui était minée, rongée par la division. Iconi, cité historique, avait alors besoin de panser ses plaies, et SansBlague lui a trouvé une réponse possible à ses angoisses.






Les troupes de danses à l’oeuvre…
Deux ans après, SansBlague s’engage sur le chemin de la politique. Il devient le conseiller du ministre Hafy. À la jeunesse, aux arts et à la culture, de 2016 à 2018. Puis à l’éducation nationale en 2019. Un temps, on parle de le nommer à la direction nationale de la culture à la place de Mme Wahidat Hassane. Mais le ministre qui a suivi sur le marocain de la culture, Moussa Mohamed Moindjie, ayant pris l’ancienne équipe (de son prédécesseur) en grippe, SansBlague a perdu son poste de conseiller. Il a dû repartir en campagne sur le terrain. Il a donc remonté son festival. En gardant toute sa lucidité sur les moyens nécessaires : « Les festivals demandent beaucoup de budget. Il faut au moins 19 millions de francs comoriens pour réaliser une édition du Gombesa ». L’État comorien, le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) et d’autres partenaires ont, chacun, soutenu financièrement cette 7ème édition, mais lui préfère garder le secret, sur leurs contributions respectives. Il ajoute, comme pour ne pas oublier : « On a aussi eu le soutien de la ville d’Iconi ». Mais il ne lâche aucun chiffre…
Il préfère à la place raconter une histoire. A l’heure actuelle, 90% des programmations de festival ne se passent que sur des scènes citadines. « Mon équipe et moi avions décidé de réaliser le Gombesa festival à Iconi pour changer la donne ». Le public, ailleurs dans le pays, aimerait voir sa programmation. Par ailleurs, on ne compte plus le nombre de jeunes qui ont besoin de se former dans le domaine de la danse traditionnelle, ni le nombre d’associations culturelles qui ont besoin de performer. Mais ces enjeux ne sont pas toujours évidents à tenir. « Nous projetons de présélectionner les artistes des autres îles pour les prochaines éditions, afin de donner une large visibilité à l’événement ». SansBlague envisage même de délocaliser certains rendez-vous : « On programmera une des quatre scènes du festival dans d’autres localités comme Mkazi ». Mais ce ne sont, pour l’instant, que des pistes de réflexion.





Le président Azali au micro. Yannick Mavel, conseiller culturel au Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC). Saïd Ali Chayhane, directeur général de Comores Telecom. Wahidat Hassane, directrice nationale de la culture. SansBlague, directeur artistique du festival.
Aux Comores, le nombre d’événements de ce genre augmente, chaque année, mais n’offre aucune perspective. La visibilité offerte aux artistes et aux compagnies locales ne dure que l’instant du festival. Aux organisateurs, il manque un certain savoir-faire, susceptible d’inscrire les métiers de la culture dans la durée. Il manque une certaine concertation entre les principaux acteurs, qui ont du mal à conjuguer le « nous », embarqués comme ils sont dans des formes de compétition qui ne leur apportent rien. Qu’il y ait plus ou moins d’argent, la promotion de la culture n’en tire aucun profit. Le Gombesa comme les autres festivals n’a pas encore trouvé la réponse adéquate à toutes ces questions. « Nous ne possédons même pas de moyens permettant d’offrir une formation ou des tournées aux artistes ». SansBlague pense toutefois à atteindre un certain équilibre, en formant. « J’aimerais [par exemple] avoir une formation pour renforcer les capacités de mon équipe ». Mais qui le suivre dans ce pari nouveau ?
SansBlague voudrait pouvoir développer son activité. Mais le tout n’est pas de vouloir. Kapvwana kandza bondawe, dit la chanson. La culture interpelle toutes les tranches d’âge dans le pays, sans distinction de genre ou de discipline. Mais les spectateurs comme les artistes ont besoin de rêver. Ils ont besoin de croire en l’avenir. SansBlague confirme l’intérêt du public : « Le nombre de visiteurs a augmenté, pendant les huit jours de festival. Des enfants, des jeunes et des vieux, de 3 à 80 ans ». Il fait valoir l’éclectisme de ses contenus : « Danseurs traditionnels, chanteurs, judokas ». Pourquoi le judo ? Le Gombesa festival prétend à l’ouverture à sa manière. Pour cette septième édition, SansBlague avait vu grand. Il comptait s’ouvrir à la région, convier des artistes de l’Océan Indien et de la Tanzanie. Mais pour des raisons de calendrier, le festival ayant changé de période, entre mars et juillet, ses invités n’ont pu venir. Rendez-vous donc à la prochaine édition…




Des images du public…
Reste qu’il va falloir à SansBlague et à ses amis trouver le temps de repenser l’avenir, en re-questionnant le mode de fonctionnement du festival et son économie. A ce jour, le Gombesa bénéficie du soutien de l’État. Lors de son inauguration, on a vu s’enfiler les discours policés des parrains du CRC – le parti présidentiel – auprès de qui SansBlague plaide autant que possible l’avenir des gens de sa condition. Mohamed Ismaïla, conseiller spécial du chef de l’État, s’est déplacé pour l’occasion. Sans doute pour placer quelques bons mots sur la culture au nom du développement : « L’un des outils qui structure l’appartenance d’un peuple à une nation ». Le ministère de la culture n’était pas en reste avec le propos de Nahouza Ali Soulé Islam, conseiller en charge de la jeunesse et des sports : « Depuis sept ans, le chef de l’État n’a jamais manqué de soutenir ce festival, car c’est quelqu’un qui aime la culture et le sport ». Comores Telecom, partenaire officiel et institution publique, s’est lui aussi plié à l’exercice, par la voix de son directeur général, Saïd Ali Chayhane : « Nous sommes dans l’obligation de soutenir une telle initiative. Car sans culture, il n’y aura pas de pays ». A se demander ce qui a pu coincer pour que le Gombesa ne retienne pas autant l’attention du public comorien, comme le souhaiterait SansBlague, son promoteur.
Ansoir Ahmed Abdou
[1] Magazine français.