Le directeur du service culturel, Ismaël Kordjee a annoncé sa démission lundi. Entretien paru dans le numéro 17 du journal Kashkazi, daté du 24 novembre 2005. Intéressant de voir s’exprimer un acteur culturel aussi impliqué à l’époque.
C’est un Ismaël Kordjee à la fois en colère et posé qui nous a reçu hier mercredi dans le bureau qu’il quittera bientôt. Deux jours après l’annonce de sa démission en direct à la télé, le futur ex-directeur du Service culturel de la collectivité départementale de Mayotte nous a confirmé qu’il allait démissionner. « J’ai assez bourlingué, j’arrête définitivement le Service culturel » a-t-il annoncé calmement au JT de RFO, lundi soir. Si sa décision semble avoir été mûrement réfléchie, Kordjee n’a pas souhaité expliquer les raisons de cette démission. Tout juste avoue-t-il en avoir assez des problèmes de personnes qui, au sein du Conseil général, ne font pas avancer la cause culturelle.En attendant de s’épancher – « plus tard » a-t-il dit – sur le pourquoi de cette démission, Ismaël Kordjee revient sur le septième Festival interculturel de Mayotte, qui s’est terminé dimanche, et établit un état des lieux, le dernier, sur la culture mahoraise.
Peut-on lier votre démission à la décision de la commission de sécurité de ne pas autoriser les concerts du Fim à Passamainty, ce qui vous a obligé à vous rapatrier sur le Baobab ?
Non, cela n’a rien à voir. Mais c’est vrai que ça m’a énervé. J’ai travaillé des années à Orléans (en France, ndlr), et on n’avait aucun souci avec la commission de sécurité.
On a même organisé un concert de rock dans un champ de blé. Ici, la commission a un rôle de censeur. Ce n’est pas la première fois. Depuis que le Fim existe (depuis 1998, ndlr), on n’a jamais eu l’autorisation ! On est toujours en bagarre avec eux, ce sont deux mondes qui s’affrontent.
Pour quelles raisons ?
Parce qu’il n’y a aucun lieu adapté pour organiser des concerts. Il n’y a pas d’issue de secours, pas d’extincteur… Mais il faut s’adapter ! Des précautions il en faut, mais soit on ne fait rien, soit on s’adapte. Il ne faut pas croire qu’on ne prend pas de précautions. On est responsables. Mais si on cède aux caprices des fonctionnaires, on ne fait rien !



M’toro Chamou, Mikidache, Jeff Ridjali.
Pourquoi n’y a-t-il aucun lieu de spectacle à Maore ?
Depuis 1995, il existe un projet de centre culturel. Mais rien n’est fait. Les gens hésitent. La culture ici n’est pas prioritaire. Pour les élus, il y a d’autres urgences. Et puis on se trouve aussi dans une bataille de clochers. Ce centre devait se trouver à Mtsapere, puis à Tsingoni, maintenant on ne sait plus.
Venons-en au Festival, puisque vous préférez éviter de dévoiler les raisons de votre démission. Quel bilan tirez-vous de cette septième édition ?
Nous avons comptabilisé 13.000 visiteurs, c’est similaire à l’année dernière. Ce qui a changé, c’est que les gens ne viennent plus voir que la musique, mais aussi le théâtre, la danse… C’est l’idée du Fim : ouvrir Mayotte sur l’extérieur, mais aussi permettre aux différentes disciplines de s’exprimer. L’objectif a été atteint cette année avec la danse et le théâtre, qui ont très bien marché. C’est la première fois.
Cela traduit un certain engouement des Mahorais pour ces arts…
Oui. Jeff Ridjali (chorégraphe, ndlr) attire de plus en plus les jeunes rappeurs. C’est dans la continuité du travail que nous avons effectué depuis des mois. Donner une place aux autres arts à côté de la musique. Aujourd’hui, on parle de théâtre mahorais partout dans le monde avec Alain-Kamal Martial. S’il y avait des lieux adaptés, cela se développerait encore plus. Mais si rien n’est fait, les talents partiront, comme Mikidache etMtoro (des chanteurs, ndlr) sont partis. Il faut un lieu,sinon la créativité s’estompera, comme en musique actuellement, où on ne parle plus de créativité, mais de cachet.
En revanche, les concerts n’ont pas attiré grand monde. Pourquoi le public ne vient pas écouter des artistes de Madagascar, Maurice, d’Afrique de l’Est ?
Les gens voudraient des têtes d’affiche. Or le but est d’inviter des artistes de la région. Cette année, nous n’avons pas programmé des groupes connus, mais talentueux.

Le pianiste mauricien Elisa.
Jeudi, il n’y avait presque personne à l’un des plus beaux concerts de la dizaine, celui de Damien Elisa. Peut-on dire que les Mahorais sont fermés musicalement ?
C’est ça. Ils sont fermés. Quand le Fim est né en 1998, on avait invité des bushmen. Tout le monde s’était foutu de leur gueule. Pour les spectateurs, leurs instruments n’étaient pas comiques, ils étaient ridicules… Le jazz, ici, les gens s’en foutent. C’est un travail de longue haleine à mener. Ça fait partie de mes échecs. Mais il faut continuer. Obliger les gens à voir autre chose.
Comment expliquez-vous ce manque d’ouverture musicale ?
Mayotte a longtemps été enclavée. On le ressent encore. Même les musiciens mahorais ne viennent pas aux concerts ! Ils ne viennent pas voir, apprendre, échanger. Ça c’est nouveau ; avant ils venaient.
Par où passe l’avenir de la culture à Maore selon vous ?
On arrive à un stade de saturation. Avant, il y avait de la créativité, plus maintenant. Il faut se donner les moyens, donner des lieux aux artistes. Il faut une réflexion globale sur le rôle à donner à la culture. Pour l’instant, elle n’existe pas.
Recueilli par Rémi Carayol