Les médias, les radios, la télé et les livres ont pris l’habitude de raconter une histoire de l’archipel assez discutable. Une partie de ceux qui la racontent aiment évoquer l’éclatement historique du à l’insularité notamment. Ils avancent souvent l’idée que Maore fut intégrée dans un ensemble établi par le seul colon français. Ce n’est pourtant pas ce qu’enseigne la tradition, telle que consignée dans les écrits locaux.
Les fondateurs du sultanat aux Comores sont arrivés au XIVe siècle de notre ère. Ils cherchèrent à unifier des régions indépendantes. Cela est relevé dans la chronique Saïd Ahmed Zaki al Masîlî[1], cadi de Ndzuani. « Peu à peu Hassan introduisit la civilisation coranique et unifia le sultanat qui, auparavant, se trouvait divisé en plusieurs sections par les chefs ou beja ». Du sultan Saïd Bakar bin Sultan Ntibe Ahmad (Mwinyi Kuu)[2] furent rapportés les propos suivants : « Mwasi Pirusa réunit les pays du Bambao et y régna ». Damir Ben Ali et ses pairs[3] affirmèrent ceci ensuite : « Le domaine de ces derniers va recouvrir désormais trois anciens territoires de Bedja : le Hamanvu, le Mbadani et l’Itsandra, lesquels, réunis, vont aboutir à la constitution du sultanat de l’Itsandra ».
Plus loin, ils racontèrent la manière dont la région du Hamahamet devint un sultanat à son tour : « Le Hamahamet est encore sous l’autorité de plusieurs Bedja. Ces derniers, après la naissance des enfants de Wabedja, se réunissent, tiennent conseil et décident de reconnaître les fils de la princesse comme sultans…C’est ainsi que Fe Mte wa Kandzu devient le premier sultan du Hamahame. » La chronique de Mzamboro[4] nota que Mayotte n’avait point de mfaume[5]. Le premier d’entre eux fut sans doute Jumbe Amina[6] bint Sultan Attoumani bin Ahmed. Le fait est que nous ne connaissons pas grand’ chose sur Mwali durant cette même période. Cependant, il est établi qu’un des fils issu de ce clan s’installa là-bas. Ainsi, cette fameuse famille[7] réussit-elle à unir des régions partagées en plusieurs segments, qui étaient à la fois autonomes et interdépendants les uns des autres.


On sait que durant son règne, le sultan Mgongwa d’Itsandra demanda assistance à ses cousins de Mwali, de Ndzuani et de Maore dans la guerre livrée contre le sultanat du Mbadjini. Son frère, Dari wa Ntibe[8] avait la manie de tuer ses neveux pour ne pas qu’ils héritent du trône. Il souhaitait que ce soit son fils qui monte sur le trône. En plus des indélicatesses (des tueries) commises contre les siens, il voulut imposer une autre règle de succession. Mais les bedja décidèrent de l’éliminer. Quand la mission fut accomplie, la nouvelle parvint à Mgongwa, son cousin d’Itsandra. Celui-ci leva une armée, mais qui n’arriva pas à bout des guerriers du Mbadjini. Il sollicita l’aide de ses autres cousins du reste de l’archipel. Les Wambadjini l’ayant appris cessèrent le combat et demandèrent audience. Ce fut l’organisation du congrès de Mzalia[9], qui eut à préciser les conditions d’accession au sultanat et au « wizara », désormais.
Les rois de l’archipel furent désignés sous l’appellation du Inya shoza shua, le lignage du pouvoir sur une île. Les Anciens de cet archipel se sont réunis à cette époque pour en discuter. Ils avaient déjà cette habitude de se réunir. C’était ensemble qu’ils trouvaient la solution, au moindre souci. L’origine de cette unité remonterait à l’arrivée de la « famille chirazienne » aux Comores. Renversée à l’origine par le clan al-Ahdal, établi sur tous les ports important du monde swahili, cette famille n’avait jamais connu d’alliance. Partout où elle s’était installée[10], elle n’avait jamais cherché à pactiser, localement. Les al-Ahdal de Kismaayo et de Kilwa finirent par les renverser. Pour ne pas reproduire la même erreur que sur la côte africaine de l’Est, les membres de cette « famille chirazienne » décidèrent de s’allier aux locaux, une fois arrivés aux Comores. Leur souverain suprême fut celui de Ndzuani…
Les familles descendantes ont toujours cherché à transmettre cette histoire, oralement. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’un colon français, du nom de Jean-Baptiste-Edouard Gélineau, avança cette thèse[11] : « Quoi qu’il en soit, lorsque les Portugais découvrirent les Comores, ils les trouvèrent occupées par des Arabes obéissant à un sultan établi à Anjouan. » Ces premiers colons européens arrivèrent sur les côtes comoriennes vers la fin du XVe siècle. De même dans le dictionnaire géographique universel[12], datant de 1826, et dont les données recueillies parlent de la période des razzias des Sakalava et des Betsimisaraka – entre 1795 et 1820 –, il est écrit « chacune des Comores a un gouverneur nommé par le sultan d’Anjouan ». Durant ce même temps, James Prior[13], un colon anglais, fit la rencontre de l’ambassadeur du souverain des îles Comores – Bombay Jack – en 1812[14]. Celui-ci était venu solliciter le soutien des Anglais, qui avaient déjà leur colonie en Inde.


Ce prince raconta au colon anglais la façon dont les habitants donnaient l’alerte lors des attaques des Sakalava et des Betsimisaraka. Il lui dit : “Toujours en garde dans la saison du danger, ils placent sur une haute montagne de Mayotte, une sentinelle qui, aussitôt qu’elle aperçoit la flotte madécasse[15], donne l’alarme au moyen d’un grand feu, en même temps que la nouvelle en est transmise à Anjouan”. En demandant aux anciens s’il n’était question que d’un seul feu, ils répondirent qu’il s’agissait de plusieurs feux, situés sur des points stratégiques, de chaque coin d’une île. Le journaliste Mohamed Moussa Al Comorya dit que c’est à partir de là qu’est née l’expression Mwali ngayi pvao, autrement dit Mwali brûle. Une expression utilisée lorsqu’il y a une urgence dans le pays. Bien avant Bombay Jack, le Sultan ‘Abdallah 1er al-Masîlî était parti quémander l’aide des Anglais au début des razzias. Il reçut des canons, qu’il distribua à ses cousins de Mwali et de Maore.
D’aucuns pensent comme Anli Yachourtu Jaffar, ancient journaliste, que l’une des raisons de ces attaques fut l’affaiblissement du sultanat à Ndzuani, alors centre de l’archipel, afin de l’emmener à se soumettre au sultanat omanais. Le sultan d’Oman – Sultan bin Ahmed al-Busaïdi (1792 – 1804) – souhaitait avoir la mainmise sur l’archipel à partir de Ndzuani. Une chose que le souverain de l’île refusa, en vertu d’un pacte de non-agression[16] signé entre l’Imam, Saïf bin Sultan al-Yaruba (1692 – 1711), et le représentant des îles Comores de l’époque, al-Sultan Seyyid Ahmed bin Saleh, stipulait qu’en aucun cas l’imamat ne devrait se mêler des affaires internes de l’archipel des îles Comores. Deux siècles plus tard, c’est le prince Seyyid Hamza bin Sultan ‘Abdallah 1er al-Masîlî, qui endossa le rôle de représentant des îles Comores, à travers sa lettre de contestation[17] contre la prise de Maore par les colons français.
À travers ces quelques exemples cités, ici, les îles Comores paraissent avoir été unifiées dans le but de se protéger contre les attaques venant de l’extérieur. C’est ensemble qu’elles étaient fortes devant l’adversité. Lors d’une crise majeure, elles se réunissaient pour trouver une ligne commune. Ils avaient par ailleurs des représentaient, veillant à leurs interest, en dehors du territoire. Les îles Comores – Ngazidja, Mwali, Ndzuani et Maore – ont ainsi formé une unité (de coalition), bien avant que les colons français ne les abordent…
Rabouba Jr Al Shahashahani
Image à la Une : une pièce de monnaie du temps du sultanat.
[1] Saïd Ahmed Zaki, La chronique d’Anjouan, in Etudes Océan Indien, numéro 29, 2000.
[2] Saïd Bakar, La chronique de Ngazidja, in Le dictionnaire comorien-français et français-comorien du R.P. Sacleux, 1979.
[3] Damir, Boulinier et Ottino, Traditions d’une lignée royale des Comores. L’inya fwambaya de Ngazidja, 1985.
[4] Shaykh Mkadara, La chronique de Mtsamboro dans Les chroniques mahoraises de Jean-François Gourlet, 2001.
[5] Souverain.
[6] En complément, on rapporte que le premier sultan de Maore était le père de Jumbe Amina.
[7] Cf. les articles sur le « début du sultanat, partie 1 et partie 2 ».
[8] Abourrahim Moussa, Flamme vive éblouit mais ne dure, représenté par Kari-Ngama, 2002.
[9] Annuaire de l’Océan Indien 1986 – 1989.
[10] Muhammad bin Hasan s’est établi à Maore, ‘Ali bin Hasan à Mogadiscio, Sulaymân à Kismaayo, Bashat bin Hasan à l’île de Mafia, Daûd et un autre (‘Ali) à Kilwa. Leur père, Hasan bin ‘Ali al-Fârisî, s’installa à Ndzuani.
[11] Voir la photo.
[12] Voir la photo.
[13] James Prior, Voyage along the Eastern Coast of Africa, 1819.
[14] Un prince anjouanais représentant les îles Comores à l’étranger.
[15] Madagascar.
[16] Ibuni Saleh, A Shorty History of The Comorians in Zanzibar, 1936.
[17] Lettre montrée, par la délégation de Mohamed Chanfiou Ben Charafa, à l’ex-président français, Nicolas Sarkozy en 2009 à sa venue à Maore. Il était étonné de savoir que les îles Comores avaient déjà un sultan, en ces temps-là.