Encore vivant dans le Nyumakele, le trimba fait partie de ces fêtes saisonnières qui mobilisaient autrefois des adeptes de tout l’archipel. Article paru dans le n°65 du journal Kashkazi en juillet 2007. Dans le cadre d’un dossier consacré aux manières de faire la fête dans l’archipel.
Un pacte entre les djinns et les hommes. Comme beaucoup de fêtes saisonnières de l’archipel, le trimba est né d’un arrangement qu’une poignée de fidèles refuse encore de trahir, de peur de déclencher les foudres des « premiers habitants des Comores ». Manrouf Abdallah est de ceux-là. Ce vieil agriculteur de Mramani qui se dit descendant de Waziri Djina, l’homme qui a négocié avec les djinns, ne se laisse pas impressionner par les religieux qui voudraient voir cette fête « païenne » rayée de la carte du Nyumakele.
« C’est contre la religion pour vous qui ne savez pas la signification du timba », maugréé-t-il. « Mais nous qui savons, nous savons que sans le trimba, il y aurait beaucoup de problèmes. Cette année, il y a eu une pénurie de poisson sur toute l’île car le trimba a été organisé tardivement. » L’histoire remonte à l’époque où les djinns enlevaient des humains pour les manger. « Ils venaient trouver les hommes et leur disaient : nous voulons tel enfant », raconte Manrouf. « Un jour, ils se sont adressés à une famille et lui ont dit de laver et parfumer l’enfant. Ils l’ont emmené dans la forêt, mais ils ne l’ont pas mangé : ils l’ont élevé. »
Des années plus tard, les djinns proposent aux hommes de vivre en bonne intelligence avec eux. A la demande de Waziri, ils acceptent de rendre l’enfant – une fille – en échange d’un bœuf blanc. « Les hommes ont trouvé l’enfant sous un arbre en train de jouer. Elle a accepté de les suivre à condition de garder son jouet. C’était un petit tam tam – une noix de coco vide – et un petit bois avec des feuilles de bananier, des cornes et une queue. C’était le timba. » Manrouf raconte que l’enfant a imposé aux hommes d’avancer et de s’arrêter au rythme de son trimba sur tout le chemin du retour. Arrivée au village, elle était redevenue complètement humaine. Mais un djinn (Fanahali) s’est présenté à Waziri – « le premier ( ?) à entrer dans la tête d’un humain ». C’est lui qui dictera le déroulement du trimba…

Image prise lors du ntrimba par l’association Maeesha, publiée dans le cadre d’un article de Faïssoili Abdou sur le site de RFI en août 2018.
Depuis, chaque année, à la saison des ambrevades, entre juillet et septembre, un sacrifice est offert aux djinns au terme du long parcours choisi par eux. Menée par le trimba lui-même, matérialisé par un costume de feuilles de bananier flanqué de cornes et d’une queue, à l’intérieur duquel se dissimule complètement un homme dont seuls les chefs du rite connaissent l’identité, la procession dure trois jours. Trois jours à danser et à entrer en transe, en progressant selon un itinéraire bien précis, jusqu’au lieu où sera jetée à la mer l’offrande aux djinns. Une fois la viande prélevée, la peau, la tête et la queue de la bête sont cousues ensemble et bourrées de feuilles pour leur redonner la forme de l’animal, puis lestées d’une pierre. Aujourd’hui, un cabri remplace généralement le bœuf.
« Si on n’a pas non plus de cabri, les djinns nous ont autorisé à le remplacer par un coq d’au moins trois ans », précise Manrouf. « Mais ça n’a jamais été le cas pour l’instant. » Si l’offrande n’est pas réapparue au bout de quelques semaines, c’est que les djinns l’ont acceptée. Sinon, il faut recommencer. Il n’y a pas si longtemps, assure Manrouf, « toute la région bougeait pour le trimba » – il en existait trois dans le Nyumakele, associant chacun plusieurs villages. Des gens de tout l’archipel affluaient. « Pendant trois jours, chaque étranger pouvait entrer dans n’importe quelle maison du village où se trouvait le trimba et demander à manger », raconte un enseignant de Mramani. « On préparait des ambrevades, tout le monde pouvait cueillir des cocos à boire. Les gens se préparaient pour l’accueil des danseurs. C’était trois jours sans arrêt, jour et nuit ! »

Image du trimba extraite d’un documentaire de 1960 (diffusée dans le cadre d’une émission de la Radio Télévision Française).
Mais le trimba décline. Les moyens lui manquent. « Quand il y avait la société coloniale de sisal, elle octroyait des bœufs pour le trimba », se souvient Manrouf. « Ensuite, l’Etat participait, mais au fil des années, il a lâché. » Les organisateurs essaient bien d’attirer les « touristes » à qui ils demandent une participation, mais ils sont rares… Sans compter que les chefs musulmans semblent avoir obtenu gain de cause. « Auparavant, les chefs du trimba étaient de grands notables », indique notre enseignant. « Personne ne pouvait rien faire ici sans demander leur avis. Mais leur statut a perdu son sens depuis qu’on s’est rendu compte que le timba était considéré comme une doctrine religieuse. »
Engagé dans une association culturelle, ce professeur de collège verrait bien le trimba se réduire à une manifestation folklorique. Du coup, les jeunes sont peu nombreux à prendre la relève. Si à Mramani deux chefs au moins sont toujours actifs, dans le village de Dziani, « la plupart des grands sont morts », confie une vieille dame, Fatima Houmadi, qui a pris la relève en dépit de l’hostilité de son fils à ces pratiques. « On a hérité ça avec nos pères et si on arrête de travailler ensemble avec les djinns, on aura beaucoup de problèmes », avertit-elle.
Lisa Giachino
Image à la Une : extraite d’un article de Faïssoili Abdou d’aout 2018 sur le site de RFI.
ZIARA A MWALI. Deux fêtes animistes drainaient autrefois du monde autour des lieux d’offrande – les ziara – à Bunduni (le lac d’Itsamia), et à Mwadjiyo (Nyumashua), à chaque fin d’année. Les djinns de Datchimroni animaient alors des festins longs d’une semaine durant le mois qui précède le Ramadan. Les déplacements étaient organisés par village. Tout était transporté à pied – il n’y avait pas de voitures. Au cours de ces transhumances, des amitiés se nouaient et on assistait chaque année à des retrouvailles… Ces pratiques ont duré jusqu’aux années 1980.