L’enfer du musée démasqué

Une journée au musée ! Le joyau du CNDRS ! La grotte du patrimoine ! L’occasion de se rendre compte du désastre. L’institution, en effet, s’enlise de nos jours sur elle-même. Très peu soutenue par l’Etat, elle en est réduit à miser sa survie sur les « petites entrées » du public et à espérer en la grande générosité de ses partenaires. Article paru dans le n° 18 du journal Uropve, paru en novembre 2021.

Il est un temps pour visiter certains espaces. Ou alors, il faut choisir son jour pour s’y rendre. Au musée national, maillon essentiel du projet patrimonial du CNDRS, certainement que oui ! A notre passage, c’était la cata à tous les niveaux. A commencer par un système électrique déboîté. Toute une équipe attachée à faire revenir la lumière sur un temps suspendu. Celui de l’absence. Pas un seul chat en visite dans ce fouillis terrible, où les contenus se chevauchent, les uns au-dessus des autres. Entre images du passé, papillons et volcan en rut, sans parler des fonds enfermés sous clef. Le sentiment d’être à l’intérieur d’un entrepôt mal rangé. Des objets, d’anciennes acquisitions, attendent d’être à nouveau mises en lumière, pour générer du sens et du récit.

« Il y a une insuffisance d’espace. Vous voyez bien à quoi ressemblent nos bureaux. Le musée n’est pas aux normes. Nous n’avons pas de réserves pour accueillir les objets. Mais nous faisons avec ce que nous avons » s’excuse presque Tabibou Ali Tabibou, responsable du musée. Il invoque la sacro sainte question des moyens. « Aujourd’hui, nous devrions monter des expos, sans oublier le travail de la recherche qu’il nous faut encourager. Certaines missions exigent des fonds que nous n’avons pas. Pour certaines collectes, il faut mobiliser des moyens de déplacement. Et puis il y a les contraintes d’ordre général, sur les conditions de travail, qui ne sont pas toujours adéquats, par rapport au milieu qui est le nôtre. Ce qui fait que nombre de missions n’aboutissent pas ». C’est lui l’avocat choisi pour seconder le maître des lieux, Toiwilou Mze Hamadi, et il joue pleinement son rôle. « Il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre ».

Les collections permanentes.

On est loin de la grande affluence, ce matin. Une seule personne à l’intérieur du musée. Un JeViens-de, qui découvre son existence : « Je ne savais pas qu’il y en avait un ! Un de mes amis, d’ailleurs, serait ravi de le découvrir ». Un conseiller sur le patrimoine accepte de jouer les guides, à notre demande. Les objets sous verre, dont un coelacanthe empaillé ( ?), les photographies aux murs, les objets relatifs au volcan. Le JeViens-de rassure. « Je m’organiserais, pour poser des questions, la prochaine fois. Pour l’instant, je regarde ». Les images accrochées au sourire délavé retiennent quand même son attention. « Etrange quand même » s’entend-il murmurer. Sur certaines, on y voit à peine. Des reproductions épuisées par le temps. La sensation d’un contenu que personne n’a cherché à renouveler depuis des lustres. L’impression aussi de voir des éléments d’une fiction culturelle nationale que personne ne réinterroge, ne serait-ce que sur le plan de la forme.

Dans la première salle, deux techniciens s’affairent sur un tableau électrique à cœur ouvert. Un conservateur du patrimoine, non loin, les tance : « C’est pour quand ? » Il se reprend. « On a une visio qui doit reprendre avec des partenaires sur le patrimoine ». Une mission impossible, sans la fée électricité. Une lumière s’allume, s’éteint, des ordres sont donnés. Le problème est lié à un générateur. On poursuit la visite. On note l’absence d’un discours clair sur ces murs noyés de poussière. De la confusion dans ce qui est montré au public. Ou même de la faiblesse dans les contenus. La sensation d’être soudainement embarqué dans un « fourre-tout ». « Une fois le ticket d’entrée payé à la caisse, le visiteur est invité à emprunter les escaliers qui mènent au sous-sol, sans un accompagnateur pour le guider. Personne non plus dans la salle des objets pour l’orienter sur ce qu’il va découvrir » relève un collègue.

A l’intérieur du musée.

Commentaire de M. Moussa, universitaire, de passage : «  Vous avez raison ! C’est comme si le tri entre les objets montrés était effectué sans la moindre nuance. Ailleurs, on parle de commissariat d’exposition. On en est loin ici ». Ce musée est pourtant l’une des raisons d’être du Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique. Résonnent encore les pas de François Mitterrand et Saïd Mohamed Djohar, inaugurant les lieux en juin 1990. « Il y avait si peu de choses, à l’époque, mais on y croyait » constate son vis-à-vis. « On pensait qu’une vision se dégagerait, avec le temps. Au lieu de cela, on a vu les fonds, de la documentation comprise, s’appauvrir. Il y a eu un travail terrible de pillage des fonds ». Un vieux débat, qui n’en finit pas de remuer les méninges. « Vous parlez du musée, parce que c’est ce qui vous intéresse ! Mais allez dans la documentation à côté, et vous verrez que c’est du pareil au même. La plupart des documents qui s’y trouvaient, ont disparu. Et s’il y a bien un endroit où l’âme de ce pays a cessé d’exister, c’est bien en cette maison du CNDRS ».

Tabibou Ali Tabibou, lui, s’agace sur la notion de « fourre-tout ». « Au musée, non ! Il n’y pas ce sentiment. Le problème, c’est que nous avons un caractère pluridisciplinaire. Du coup, il y a des disciplines variées. Mais il n’y a pas d’ambiguïté à ce niveau. En biodiversité, vous n’aurez pas de choses relatives aux sciences humaines ». Sauf que la frontière est si étroite entre les quatre salles du musée, qu’on manque, à chaque fois, de s’y perdre. « Oui ! Mais là, vous parlez bien d’un problème d’espace ! Vous faites les mêmes constats que nous ! Nous sommes en train de « renouveler » les salles, notamment, en biodiversité. Le problème, c’est que des acquisitions se sont faites, en suivant l’ancienne architecture. Mais un travail est en train de se faire. Je pense que si vous revenez l’année prochaine, vous verrez que cette salle aura changé de visage, parce qu’une nouvelle conception des choses aura pris sa place ». Et pourquoi la biodiversité serait-elle seule à profiter de cette « rénovation » ? « C’est juste ce qui est concret. Pour le reste, on est en train de discuter avec les partenaires, de manière à améliorer les choses ».

La maison du CNDRS, inaugurée par Mitterrand et Djohar en 1990.

« Partenaire » est le mot utilisé pour éviter d’avoir à nommer les manquements de l’Etat dans la gestion des lieux. S’il se refuse à en parler, tout en se montrant incapable de citer la moindre subvention gouvernementale dédiée au musée depuis qu’il est là, Tabibou Ali Tabibou ne manque pas de rappeler que c’est grâce aux « petites entrées » qu’on arrive à faire face aux urgences : « C’est grâce à elles que nous remplaçons une ampoule ou un document rendu illisible. Mais le musée ne reçoit pas d’argent pour son fonctionnement. Il n’y a surtout pas de prévisionnel. On avise en fonction des besoins. On bricole à la manière du pays dans son ensemble ». M. Moussa, lui, se refuse à honorer le « partenaire », quel qu’il soit : « Ce sont les mêmes qui ont vidé cette maison de son essence, sous couvert d’aide. Ils ont fini par faire du CNDRS une coquille vide. Et comme personne ne pose la question de savoir à quoi ils servent, en dehors d’offrir des voyages d’apparat aux responsables de l’institution, il faut oublier ». Son vis-à-vis, qui demande l’anonymat, renchérit, à son tour : « pour ce qui est du musée, ils n’ont rien fait, puisque leur but était de repartir avec nos contenus, et non de les valoriser, localement ». On a en tête l’histoire de  cette ambassadrice (une femme d’ambassadeur, à dire vrai), qui s’est emparée de la mémoire numérisée de l’institution. Une chose inimaginable en d’autres lieux. Un scandale qui n’a pas dit son nom, mais qui traduit bien la manière de se conduire de certains partenaires, se représentant au sein de l’institution comme en leur palais.

Mais qui dit « petites entrées », dit aussi recettes propres à la maison. Combien cela représente-t-il ? « Je ne me suis pas vraiment préparé pour y répondre, parce qu’il faudrait remonter aux visites et à ce qu’elles rapportent. On pourra peut-être vous donner les trois dernières années. Mais ce sont des données éparses. Il faudrait que l’on vérifie et que l’on vous dise après. On a des problèmes d’électricité, donc je ne peux pas vous fournir ces éléments, tout de suite. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on a des nationaux, dont 50% de scolaires. Puis des internationaux. Avec des chercheurs, des touristes, des diplomates, des étudiants. Des Français, des Chinois, des Japonais, des Américains. Je crois qu’on a de tout. Et on a aussi des familles. Au départ, on n’en tenait pas vraiment compte, alors que maintenant, on y fait attention. Une famille, le père, la mère, les enfants, peuvent venir visiter le musée pour leur plaisir. C’est une tendance nouvelle, qu’on ne connaissait pas. Puis, il y a les Jeviens-de. La diaspora, qu’on ne peut pas négliger. Mais je parlerais beaucoup plus des établissements scolaires, d’autant que cela rentre dans l’éducation au patrimoine ».

Soeuf Elbadawi