Peu de consécrations internationales et quasiment pas de stars en dehors des limites de l’archipel. Un constat qui date mais qui mérite d’être ré-entendu aujourd’hui, bien que les données aient changé depuis… cet article, publié dans le n°39 du journal Kashkazi, jeudi 4 mai 2006.
Une musique qui ne s’écoute qu’entre gens de même communauté dans le monde actuel est vouée, soit à̀ disparaître du marché́, soit à̀ être noyée par les productions les plus agressives du moment. Aux Comores, bien que le mgodro essaie de temps à̀ autre de l’emporter, la tendance est au coupé- décalé́. Régression du goût, désintérêt pour le patrimoine, instruments traditionnels en fin de vie, formatage « industriel » des productions récentes, disparition du savoir-faire musical, mort prématurée du live, plagiat de musiques étrangères… Les nombreux emprunts aux musiques de l’océan Indien et du Continent, qui étaient monnaie courante par le passé dans l’archipel, sont désormais vécus sous l’angle réducteur de la soumission aux influences d’ailleurs, et non comme une forme possible d’enrichissement.
Rares sont les artistes qui développent une pratique musicale captivante de nos jours. Le clavier a tout démoli sur son passage, surtout depuis la fin des années 1980. Aujourd’hui, il n’y a plus que des arrangeurs mal inspirés, des studios d’épiciers et des playbacks hallucinants. Nous sommes entrés sous le règne de la génération fast-food. Avec des jeunes qui finissent star, remplissent le stade Beaumer à Moroni avant d’avoir su tenir le moindre instrument entre les mains. Sur scène, ils évoluent comme autant de pantins, s’égosillant sur des bandes pré́-enregistrées, qui, lorsque les lecteurs s’enrayent, les laissent « idiots et furieux » devant des foules hilares. Le ridicule, dit-on, ne tue pas. Encore moins, devant un public aux goûts travestis dans l’ensemble.

Soubi.
Maalesh, Boina Riziki, Salim Ali Amir et Soubi. Lateral. Langa… Une liste qui ne sera pas exhaustive. Des artistes dont le talent subit le contrecoup de cette situation. Tous ont oublié de partir à la recherche d’un producteur à la poche généreuse. Ils en oublient au passage d’expérimenter de nouvelles possibilités. Rechignent à̀ créer dans les règles comme il se doit. Ce qui ne fait que les enfoncer davantage dans une situation d’invisibilité́ sur le vaste marché mondial. Un curieux destin pour un pays pourtant bercé par une palette de musiques originales et singulières. L’archipel possède un patrimoine d’une grande diversité́. Mais qu’est-ce qui bloque au final ? Sans La « faute-à-pas-de-chance » ? Mikidache, un des instrumentistes les plus en vue, avance un début de réponse. Selon lui, si la musique comorienne stagne sur ses bases, aujourd’hui, et n’arrive pas à̀ se réinventer, c’est peut-être parce que les « artistes ne travaillent pas assez et ne sont pas assez conscients des contraintes du métier ». Combien sont-ils à̀ s’informer de ce qui se passe ailleurs ?
Si l’on se reporte sur le marché́ français, pays d’adoption par excellence de la migration comorienne actuelle, seuls quelques artistes arrivent à̀ y maintenir la tête hors de l’eau. Abou Chihabi continue ses virées dans les cabarets et les petits festivals bretons de l’été. Nawal travaille sur un projet d’opéra africain. Djama prépare un nouvel album pour le printemps 2006. Baco, en quête de nouveau souffle, a monté son studio à Paris. Mtoro Chamou se cherche de nouveaux repères à Nantes. On ne parlera pas de l’autre scène sur laquelle trône Imani ou Rohff. Mais tous se cherchent un point d’ancrage, avec des parcours établis en dents de scie. Aucune consécration internationale d’importance. Le pays n’a quasiment pas de star reconnue mondialement. Et seul Mikidache arrive à̀ émerger du lot, ces derniers temps, et à faire montre d’une certaine permanence dans son ascension. D’un album à l’autre, sur un laps de temps très limité, il monte les marches une à une. Et ce n’est pas qu’affaire de musique et de génie. C’est aussi une affaire d’entourage. La plupart des artistes cités évoluent dans une autonomie et dans une économie qui les précarise. En France comme aux Comores, la situation est peu évidente…

Un temps, on a pu dire que Maore s’en sortait mieux que les autres. Grâce à son pouvoir d’achat, situé largement au-dessus de la moyenne, elle consommerait plus de disques et s’offrirait des tickets de concert assez facilement. Il est possible qu’un public plus exigeant émerge un jour de là. Mikidache n’abonde pas totalement dans ce sens. « Ma carrière, celle de Baco et de Mtoro Chamou [par exemple] n’a rien à̀ voir avec l’état actuel de la musique à Mayotte. La situation y est encore plus catastrophique que dans le reste de l’Archipel. Il y a plus de maturité́ de l’autre côté́. » Certains insistent sur le fait que Maore est pourvue d’une politique culturelle, qui aide à̀ valoriser les musiques locales, à inventer un contexte d’existence sur place. « Mayotte a beaucoup de moyens. Mais cet argent n’est pas assez bien utilisé. Pour former les artistes notamment. Pour un artiste mahorais, il est plus important de sortir son disque que de travailler sa musique aujourd’hui. Il ne cherche pas à̀ apprendre à̀ mieux travailler son chant, son interprétation instrumentale. Il veut juste sortir un album. C’est loin d’une démarche artistique telle que je la conçois. Aujourd’hui à̀ Mayotte, il y a une vraie pénurie de musiciens. »
Autrement dit, Maore vivrait la même situation que ses îles sœurs. Pourtant, affirment encore quelques voix installées sur le Rocher, l’action menée par l’ex-CMAC, aujourd’hui rebaptisé Service culturel de Mayotte, a pu aider à un début de professionnalisation du monde musical mahorais. « Négatif ! s’emporte Mikidache. Les gens qui réussissent à Mayotte ne plaisent pas spécialement aux responsables culturels. Ensuite, ils ne supportent pas que l’on critique ou que l’on donne nos points de vue sur l’état de la culture dans l’île. Enfin, parce qu’ils n’ont pas prise sur mon discours, y compris sur la niveau politique ». N’est-ce pas un peu exagéré́ ? « Les responsables politiques n’ont pas encore compris l’importance de la culture à Mayotte », ajoute-t-il. Dans l’Union des Comores également. Que faire alors ?
Soeuf Elbadawi