La 6ème édition du festival se termine ces jours-ci à Moroni sur une fausse note. La déprogrammation de Zanatany, le film de la franco comorienne Hachimiya Ahamada, a sonné comme une sorte de camouflet, surtout que nul communiqué n’est venu justifier la décision prise par les organisateurs.
C’est bien connu ! Il est des petits scandales, qui font pschitt, à défaut d’éclabousser leur monde. Il n’en reste pas moins qu’ils peuvent aider à remettre l’établi en question, en générant du débat. Qu’un travail de créateur soit fragilisé par une décision politique – dans un pays où la survie fait tout sombrer chaque jour que Dieu fait – ne surprend guère. Et il y a probablement des sujets bien plus dérangeants : les pannes d’électricité, l’éducation qui bat de l’aile ou encore la mort de Fanou. Il n’empêche que ce qui est arrivé au dernier FACC n’aide pas à y voir clair. La 6ème édition du festival était dédiée au septième art, l’occasion de célébrer le film comorien en fanfare. Le CIFF étant presque mort de sa belle mort, les yeux étaient tous braqués sur l’événement, bien qu’il tienne à revendiquer son caractère multidisciplinaire, certain. De Mounir Allaoui à Djoum, en passant par Saïd Ouma ou même le duo Naftal Dylan-Mass Youssoupha, il y avait de quoi faire, pour quiconque s’aventure dans le domaine.




L’affiche du film de Hachimiya Ahamada. La salle d’exposition du Palais du peuple et le public. Une troupe de danse traditionnelles à l’entrée. Le public à l’inauguration du festival.
La surprise a été cependant de voir que le seul film diffusé à l’international, de Bruxelles à Majunga, en passant par Almenedia à Cordoue ou Durban en Afrique du Sud, a été retiré de l’affiche, manu militari. Zanatany l’empreinte des linceuls esseulés de la réalisatrice franco comorienne Hachimiya Ahamada, sorti en début d’année au festival international de Rotterdam (IFFR, première mondiale), devait surprendre son public à Moroni en ce mois de novembre 2024, grâce au FACC. Il s’est vu déprogrammé au dernier moment, pour des raisons, d’abord techniques, ensuite politiques. Le festival n’ayant publié aucun communiqué, expliquant le pourquoi du comment, le public ne cache pas sa déception. Il s’étonne surtout de voir le seul film exigeant en matière de cinéma se faire éjecter du programme, sans la moindre explication. Ce film, réalisé en 16 millimètres, est le seul qui soit produit à l’ancienne, le seul à cocher les cases de la grande diffusion dans les festivals étrangers (et pas des moindres), le seul, surtout à traiter d’un pan d’histoire que les gouvernements comorien et malgache s’évertuent à effacer, depuis toujours.
Mais qui a suggéré cette idée au FACC ? Est-ce le rôle d’un rendez-vous culturel de tourner le dos à une artiste, après l’avoir convaincue de mettre son film à contribution ? Qu’en pense le public de la capitale comorienne, dont certains espéraient retrouver là un pan de leur histoire ? La chose semble étrange, d’autant plus que la dernière édition du festival parlait de « résister ». Un leitmotiv intéressant ! Résister à quoi au final ? Lydie Diakhate, réalisatrice et productrice, invitée à accompagner cette programmation cinéma, avait pourtant anticipé sur les attentes auprès du public : « Chaque fois que je parlais avec les réalisateurs et producteurs, ils étaient enchantés (…) du fait que leurs films n’ont jamais été montrés ici. C’est important et je suis comblée de pouvoir partager avec vous tous ces films et ces productions qui parlent d’histoire contemporaine. C’est bien là, la magie du cinéma, pouvoir restituer l’histoire, parce que nous savons qu’il y a des moments dans l’histoire qui ont été cachés, oubliés et ignorés ». Elle n’a pas dû être consultée au moment de la décision ultime. Simon Njami, président du jury, non plus, lui qui disait : « Il est temps que les Comoriens prennent leur responsabilité artistique (…) Résister, c’est dire qui sommes-nous, ce que l’on fait, ne pas céder au désespoir ».




Mme Inayati Sidi, ministre chargée des arts et de la culture, Mme Wahidat Hassane, directrice nationale de la culture. Mohamed Badjrafil, ambassadeur des Comores à l’Unesco et parrain du festival, au milieu, en rouge. Mme Fatima Ousseini, présidente du festival et Simon Njami, cirtique et président du jury du FACC.
Quid à présent de Mohamed Badjrafil, ambassadeur des Comores à l’Unesco, parrain déclaré de ce festival ? Comment a-t-il pu laisser faire, lui qui est censé défendre la diversité et le génie culturel de son pays au-delà de ses frontières ? Au FACC, cette année, on a vu Youssoufa Mohamed Ali alias Belou, le chargé de la défense à la présidence, prendre la parole ? Erreur de casting ? Que viennent faire les armes dans un espace dédié aux arts ? Le mélange des genres n’a pas l’air de déranger les organisateurs d’un festival, qui, pourtant, se cherche une raison d’exister. Fatima Ousseini, principale organisatrice avec Denis Balthazar, son mari, a du mal à cacher son épuisement. Courir après les partenaires et les soutiens, y compris des créateurs locaux, n’est pas aisé. Ces derniers espéraient une avancée – après 14 ans d’existence du festival (6 éditions au compteur) – dans leur domaine. Le musée des arts contemporains, annoncé en 2012, n’a toujours pas vu le jour. Les organisateurs parlent de faire se rendre le monde dans l’archipel. Mais après l’expérience de Marseille, où le festival s’était invité un temps, il n’y eut aucun prolongement d’histoire pour les artistes du cru, qui attendaient de voir leur nom apparaître sur une affiche, quelque part, à l’étranger, grâce au festival. À Dakar (Ousmane Sow était le parrain d’une édition du festival) ou même à la Réunion (les étudiants issus de l’école des Beaux-Arts ont souvent été conviés à Moroni) pour donner le change.
Zanatany évoque la tragédie de 1976 – nde lekafa la Mjangaa – lorsque des pogroms ont conduit au massacre de près de trois mille comoriens en moins de quatre jours dans la cité de Majunga. Le film en parle, sans polémique. À Majunga, où il a été tourné par des équipes belge, comorienne et malgache en 2022, il a permis d’ouvrir le débat sur cette tragédie, lorsqu’il a été présenté en mars dernier. Le court-métrage a su contourner les stratégies d’évitement habituelles, en trouvant le ton plus ton juste pour en causer. Il déconstruit cette histoire en images dans une volonté d’apaisement et de réconciliation entre les deux rives. On ne pourrait trouver mieux comme discours en cette période où les tensions entre Tana et Moroni ravivent de vieilles querelles sans fond. Entre des scandales à lingots détournés et des histoires de razzias séculaires, la voie du pardon exprimée par cet objet à l’écran semble être la meilleure option qui soit. Les parents de la réalisatrice, qui ont longtemps vécu à Majunga, avant de courir après leur destin en Europe, apprécient, paraît-il, de raconter leurs histoires de migration. Leur fille a pris le relais…




Mme Fatima Ousseini, présidente du festival, et Mr Belou, chargé de la défense, Simon Njami, critique d’art et président du jury Ndeye Marie Fall, venue rendre à Ahamdou Matar Mbow, et Lydie Diakhate, venue pour le cinéma.
Les créateurs misaient sans discuter en ce festival (« c’est bien la première fois qu’il nous arrive quelque chose de bon », s’exclamait un plasticien), d’autant plus que Simon Njami, garant d’une certaine qualité des œuvres u programme, est un critique d’art reconnu et un commissaire d’exposition influent dans la diaspora africaine. Ils voyaient en lui une porte de sortie. Mais aucune perspective ne s’est dégagée. Un plasticien, demandant à garder l’anonymat, déclare : « On ne leur demande pas le ciel. Et si on n’est pas assez bon, ni très compétitif sur le marché de l’art, ils n’ont qu’à former une relève ». Avant le FACC, il y avait quelques plasticiens reconnus dans le pays et à l’étranger. Rien qu’à Moroni, il y avait Modali, Napalo, Soilih Hakime. Le même renchérit : « Ils auraient pu élargir la perspective. Parler des anciens, de Moussa, qui est mort, il y a quelques années, à Abidjan, où il enseignait, ou de Mbaraka Sidi, un des premiers photographes ». Moussa était un des premiers à s’engager dans la peinture contemporaine. Il est mort loin de son pays, sans le moindre hommage rendu à Moroni. Mbaraka Sidi avait par contre été honoré par le FACC, il y a quelques années. Mais la volonté, seule, ne suffit pas. Les organisateurs s’épuisent à convaincre, y compris les artistes, localement. Mais ceci n’explique qu’à moitié le désaveu certain d’une partie du public. Qui relève que le FACC n’interpelle plus autant qu’à ses débuts. L’effervescence n’est plus la même, mais n’est-ce pas un problème rencontré par tous les événements récents organisés dans cet espace, qui se noient tous dans l’entre-soi, typique des chefs-lieux, et n’ont que rarement l’occasion de plaire au grand public ?
Il est vrai que le FACC aurait pu innover. Intégrer les arts ainsi défendus dans les écoles ou à l’université. Drainer les talents comoriens vers le monde extérieur. Passer des commandes aux meilleurs d’entre eux, offrir des résidences aux plus démunis. À force de courir les partenariats avec l’État ou la coopération, y compris régionale, les organisateurs n’ont pas su entretenir le feu sous la marmite. Ils ne se sont ménagés aucun temps pour la réflexion et la création, dans le souci premier d’accompagner cette scène culturelle, au-delà des seuls moments festifs, dédiés à ce qui est déjà consacré ou aux paillettes des primo arrivants sur cette scène. En 14 ans, il n’y a eu ni curateur, ni créateur du cru, issu du festival, interpellant le monde extérieur. Ce qui aurait eu pour effet de rendre la mission du FACC nécessaire et incontournable. Les créateurs comoriens ont besoin de grandir, de se projeter. Ce rendez-vous est devenu un lieu de parade pour des gens qu’on ne rencontre pas beaucoup à l’international. Le dire n’est pas condamner le FACC à fermer ses portes. L’écrire est une manière de contribuer à sa mise en question pour que la prochaine édition donne ses fruits. Les créateurs, normal, attendent beaucoup de ce festival, qui doit rester exigeant et se savoir investi d’une réelle mission, consistant à défendre les valeurs d’une culture encore méconnue du reste de la planète. Maintenant, quand on déprogramme un film comorien, qui, pourtant, est adoubé, ailleurs, à l’étranger, pour son honnêteté esthétique et sa rigueur politique, il y a de quoi se poser des questions. À moins de devenir un espace pour les allocutions et les professions de foi, comme le sous-entend cet article de Mahdawi Ben Ali, dans le journal Al-Watwan.
Mohamed Silim
Toutes les images viennent du mur facebook du festival.