Hommage à Adina au Select

Quatre années après sa disparition, le New Select, où il œuvrait régulièrement aux côtés de ses fans, rend hommage à l’homme d’Un Week-end à Mayotte _ L’un de ses plus grands succès connus. L’homme était connu pour son ouverture d’esprit dans un monde plutôt rongé par l’obsession de l’entre-soi.

L’hommage est dédié à l’un des plus grands show-mans de la pop comorienne. « Adina était une figure incontournable », rappelle Adalo, l’un des interprètes du concert en hommage à l’artiste, ce 10 janvier, au Select à Moroni. Il rappelle son ouverture musicale, sa grande capacité à intégrer les nouvelles tendances. Adinane Taâchiki, de son vrai nom, a pour ainsi dire inspiré des dizaines de musiciens et laissé une œuvre considérable. L’auteur-compositeur, est décédé le 4 novembre 2020, suite à une insuffisance respiratoire, en arrivant à l’hôpital El-Maarouf à Moroni. En pleine crise de la Covid-19.

Fils du non moins célèbre Taâchiki, connu pour son twarab, il fut l’un des artisans de la scène des musiques actuelles dans la capitale, avec notamment son passage dans les Kart’s. Il a joué aux côtés de Boul, Ali Affandi, Gam Gam, Gugui. Salué pour son cabaret chantant, ces dernières années, il a joué à Maore, au Congo Brazza, en Ouganda, en Afrique du Sud, au Botswana, avant de venir se réfugier au Select, où il animait son karaoke, très couru par le public de la capitale.

Le film sur Adina.

« Je suis un fan d’Adina, comme toute ma génération, confie Chamsoudine Ahmed, patron des établissements Nassib, fondateur de l’enseigne du Select. Tout le monde l’aimait. Et quand on a ouvert le Select, on s’est dit qu’il fallait trouver quelque chose qui puisse ramener du public. On lui a proposé de continuer le karaoke qu’il faisait de temps à autre à Nassib. Et c’est là que l’aventure a pris corps. Tout le monde, toutes générations confondues, a répondu présent à son appel ».

L’endroit, rebaptisé New Select depuis lors, se distingue, maintenant, pour avoir été le seul lieu de divertissement de cette capitale à accompagner un artiste jusqu’à la fin de sa vie. Cette fidélité entre un artiste et « sa » scène est assez rare pour être mentionnée dans l’histoire des musiques comoriennes. « C’est tout à fait normal qu’on lui ait dédié une prière à sa disparition, dans ce même lieu qu’il a contribué à faire exister. C’est tout à fait normal qu’on lui rende hommage avec sa photo à l’entrée, c’est tout à fait normal de perpétuer sa musique » ajoute encore le directeur général des établissements Nassib.

Images du collectif pour Adina, créé pour interroger les dysfonctionnements liés à sa disparition.

Une vidéo, commandée par Houssam Chamsoudine pour l’occasion, à Soeuf Elbadawi, pour les entretiens et à Said Hodari, pour l’image, a permis de rappeler quelques fragments de cette histoire au grand public. En faisant parler des gens qui l’ont connu de près, des amis et des proches. Ainsi d’Abou Oubeïd, musicien, qui n’a pas manqué pas d’éloges à son égard, le trouvait humble : « Adina n’avait rien à prouver, comme nous autres, qui courons après la reconnaissance. Il savait qu’il était bon. Il ne l’a jamais dit, mais nous savions tous qu’il était le premier d’entre nous. Il n’a jamais hésité à coopérer avec les autres, dès lors qu’il était convaincu que ça allait plaire au public. Il avait cet avantage de ne pas avoir l’esprit mauvais, de ne pas être jaloux des autres ». Hissane Guy, amie et fan, qui évoque son humanité, le range en haut d’une pile : « Comme son père d’ailleurs, Adina est un artiste complet, parce que c’est l’artiste qui passe du patrimoine au jazz, au blues, aux musiques actuelles. Donc pour moi c’est un monument ».

Saandia Abdou Nour, autre amie et fan, qui l’a connu du temps des Kart’s et qui loue sa bienveillance, le trouvait spécial : « Quand il a commencé à jouer au Select, j’étais là-bas, pratiquement à tous ses karaoke, j’étais tout le temps là. Et d’ailleurs, c’est lui qui m’a appris à chanter, entre guillemets, parce que c’est avec lui que j’ai commencé à prendre le micro. Il m’encourageait, allez, allez, vas-y. Au début, tu chantais faux, mais à la longue, j’ai compris. Le tempo, la clé… Adina, c’est un frère, un ami. Comme dirait Hissane, les mots me manquent pour dire ce qu’était Adina ». Boul des îles, l’illustre auteur-compositeur de Ngaya, insiste dans la viédo sur l’interprète : « C’était quelqu’un qui savait interpréter d’une façon singulière, avec des capacités que nous n’avons pas. Il pouvait interpréter Johnny Hallyday, comme Hallyday lui-même. C’est un art à part… De vrais artistes interprètes… Comment l’expliquer. Si j’avais eu cette possibilité, je crois que je n’aurais même pas cherché à composer. Ce qui aurait été écrit par les autres m’aurait suffi ».

Le public du New Select, vendredi 10 janvier, lors de l’hommage rendu par le lieu à Adina. Des fans, des amis, des proches. En dessous : Mme Adina et l’un de ses fils…

Au soir du 10 janvier, il était là, présent, interprétant deux de ses titres pour rendre hommage à l’artiste disparu. La mort d’Adina en avait ému plus d’un sur la scène comorienne. Un collectif, dirigé par l’homme politique Idriss Mohamed, avait exigé une enquête sur les conditions de sa mort précipitée. Il se disait « prêt à tout pour chercher à mieux comprendre ce qui s’est réellement passé et d’en tirer les leçons afin d’éviter d’autres drames à l’avenir ». Y figuraient l’artiste Salim Ali Amir et le journaliste Ali Moindjie. « Aujourd’hui, c’est le cas Adina, mais il doit permettre de poser l’ensemble des questions pour que ceux qui seront dans un état d’urgence demain ne connaissent pas un sort lamentable, effroyable ou inacceptable ». Une marche en son nom avait été interdite par la préfecture du Centre. Sa compagne, qui a longuement témoigné de son obsession pour la musique, a également évoqué ses derniers instants en ce monde : « Je l’ai mal vécue. Car l’assistance médicale a failli, bien que ce soit le jour où Dieu a voulu le ramener à lui. À ceux qui voulaient manifester contre la situation, j’ai répondu que ce n’était pas la peine. Adinane est parti, c’est terminé, mais les gens doivent en tirer une leçon pour après. Celui qui s’en va aujourd’hui n’est pas celui qui mourra demain… »

Mme Adina préfère beaucoup plus parler de l’homme, de sa passion, de son humour. « Je repense tout le temps à ces plaisanteries. Quand tu le trouves en train d’abuser avec le sucre et qu’il te répond, c’est du supplémentaire, mon père est mort à 55 ans. Il faudrait tout un livre pour raconter la geste d’Adina et j’y pense. Son départ m’a rendu triste. Il aimait tellement la vie pour partir ». Quatre années plus tard, la maison Select, connue pour sa terrasse dansante et son ambiance familiale, a donc voulu raviver son souvenir. D’aucuns se rappellent du hitima qui a suivi tout de suite après sa disparition dans ces lieux très courus de la capitale. Cette fois, ils ont cherché à rendre un ultime hommage à l’artiste en musique. En rassemblant des proches et des amis. Twarab Âyn était là pour introduire le concert, avec trois titres du père Taâchiki, puis une formation menée par son cousin Guigui a repris cinq de ses anciens titres, dont le Week-End à Mayotte. Guigui, qui, lui, a interprété Mdro, a pris la parole, avant la prestation de l’autre cousin, Gam Gam, de passage à Moroni, après plus de vingt ans d’absence. Il est revenu sur les débuts d’Adina, au temps de feu Hassan Djaffar (Body), du temps des Blues Jeans et des Baby Jeans, dont ils faisaient tous deux partie, Adina et lui : « Adina, c’était notre pilier. J’ai perdu une de mes ailes, avec sa disparition. Je me devais d’être là ».

Capture d’écran, images de S. Hodari, extraites du petit film.

Adina, aîné d’une grande fratrie musicale, appartenait à une histoire apparue dans les années 1960. Amateur de fusion pop et de collaborations hors norme, il avait fait son bonhomme de chemin, en multipliant les hits à l’abri des éternelles querelles de la scène comorienne. « Il avait toujours le sourire, le mot pour, aimait déconner, avec une grande générosité d’âme », le décrit une « fan » assidue. « Faites un sondage et vous serez surpris de voir avec quelle grâce il a marqué plus d’une génération, des plus vieux aux plus jeunes ». La plupart le reprennent avec un certain plaisir, dès qu’on siffle son répertoire. De Pipo à Zina ngoma. Au programme du 10 janvier, on retiendra qu’un jeune artiste, encore à ses débuts, Imou, a repris Lera et accompagné Gam Gam sur Chamama, titre du patrimoine appelant à une certaine souveraineté. Ce qui a l’air de cruellement manquer de nos jours sur cette scène de musiques actuelles. Mais la souveraineté est-elle possible quand les querelles l’emportent entre les proches de toujours ? La scène comorienne se noie dans les clivages et les malentendus, alors qu’Adina, lui, s’ouvrait à tous.

En attendant la biographie, qui, sans nul doute, saura rendre honneur aux hauts faits et gestes du maestro, on se remémore cet autre hommage, rendu par Hissane Guy : « Tu nous as fait aimer chanter. Avec toi, j’ai apprivoisé le micro, me suis prise au jeu ». Elle évoque entre autres cette période de convalescence passée à Maore, où l’artiste réclamait sa guitare pour des séances de rééducation. « Et ta femme chérie de dire : Bo Adi, nkurantsi y madjimbo dingohi ». Adina, auteur de plus de cinq albums, était l’auteur de plus d’une centaine de chansons, dont la plupart ont connu un franc succès. D’aucuns se souviennent encore de Ndzaya, une chanson contre la faim, écrite en 1975, juste avant l’avènement de la révolution soilihiste. « Nous avions lutté pour notre indépendance. Il fallait lutter pour manger à notre faim. C’était une cause noble en ce temps-là, pas comme maintenant où l’on s’empiffre, sans réfléchir à ce que l’on mange » disait-il.

Ruwe

Image à la Une : le public du Select. Toutes les images sont de S. Hodari.