La secte de Fahoudine

Un auteur qui affirme que le sexe ravagé des jeunes filles en fleur n’est que le miroir déformé d’une société malade d’elle-même, qui croule sous le poids de sa tradition, ne peut pas être foncièrement mauvais. Fahoudine Ahamada-Mze avait publié La secte de la virginité (Kwanzaa éditions). Nous l’avons rencontré à l’occasion d’un Kult.com[1] à Paris, il avait bien voulu se livrer au jeu des questions-réponses.

S’il fallait résumer l’esprit de ce livre…

La secte de la virginité est une herbe pour vieille vache rompue à la mâchoire acérée ou à mâcher pour ados soucieux de sucre et de mastication dérangeante. Elle se rumine sans jamais s’avaler, sauf si comme la vache, on est capable d’avaler sans jamais cesser de mâcher. L’écriture n’offre plus sa substantielle moelle dans un jet unique qu’on peut embrasser d’un mouvement. Elle s’apprivoise dans la multiplicité d’interprétation, d’interrogation, de critique mais surtout de voix envahissantes, dans l’incessant mouvement de l’esprit. C’est dans cette course à l’interprétation et à la compréhension que l’auteur se trouve dépossédé de son œuvre, qu’il meurt sans avoir eu le temps d’affirmer du haut de sa tour d’ivoire la sacro-sainte interprétation. Entre ce que je voulais écrire, ce que j’ai écrit, ce que je comprends et ce que je retiens, il y a tout un monde. Et c’est ce monde que le lecteur s’approprie.

Est-ce un tableau de la vie comorienne ?

Trop de prétentions pour si peu de choses. C’est une tentative ratée de parler de ce que je suis : cet être à détruire pour exister. « Nous ne devenons ce que nous sommes que par la destruction totale et radicale de ce qu’on a fait de nous » dit Sartre. C’est une phrase qui me hante. La secte détruit quelque chose, mais je suis incapable de dire quoi. On n’écrit pas ce qu’on veut. L’intérêt de ce texte serait de pouvoir détruire en chaque comorien quelque chose, soit dans ce qu’on a fait de lui, soit dans ce qu’on veut faire de lui. En ce qui me concerne, il a détruit mon mutisme. Grâce à La secte, j’ai pu crier ma honte d’être un homme dans cette société qui aliène la femme, ma honte d’être un adulte dans ce pays qui tue sa jeunesse : mon désarroi d’être comorien face au comorien que nous rêvons tous d’être, face à ce comorien à naître, qui n’a d’autre paroles possibles que « je porterai le crime sur le dos depuis l’enfance comme disposition naturelle… »

La phrase telle une énigme.

Tout part de là, j’ai fait mien ce mythe qui veut qu’à chaque naissance un ange annonce sa vie à l’enfant à naître. La seule conclusion raisonnable apparue à cet enfant en devenir que j’ai capturé est crié dans les premières pages. De qui s’agit-il ? Est-ce une individualité ? Est-ce un génotype ? Est-ce une communauté ? La réponse m’importe peu, seuls ceux à qui ça intéresse prendront le temps d’y répondre. L’important, c’est la parole, ce qu’elle dit et ce qu’elle cache, les raisons pour lesquelles elle est dite et les raisons qui la cache, ceux qui l’entendent ou l’écoutent, ceux qui la connaissent et ceux qui l’ignorent.

Question perfide… Vous pensez l’avoir réussi ?

La secte ne sera un roman dit « réussi » que s’il répond à toutes ces interrogations, celles que je me pose et celle que d’autres posent, non pas en donnant les réponses, mais en allumant des pistes et en créant d’autres interrogations. Dans le fond, c’est tout ce que j’attends d’un roman.

Est-ce suffisant ?

L’engagement et l’esthétique sont les deux autres piliers qui feront la différence. Entre d’un côté, les auteurs qui voient en la littérature ce que nos pères nouvellement arrivés en France voyaient en leur enfant : une allocation. De l’autre, ces auteurs qui s’acharnent à écrire en situation sur ce qui les empêche de dormir, ce qu’ils ruminent à longueur d’années, quitte à mourir le ventre gonflé d’air.

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi


[1] Novembre 2018. Kult.Kom I Une autre vision de la culture comorienne. « Des retrouvailles dans un restau parisien tous les trois-quatre mois. Découverte d’une cuisine issue d’un territoire voisin du nôtre en termes d’imaginaire. Rencontre avec des acteurs culturels se réclamant des Comores. Des artistes, des écrivains, des agitateurs invités à parler de leur travail. Show musical, débat d’idées, performance théâtrale ou encore projection de film. Les idées ne manquent pas. Avec livres, disques, films ou encore médias servis sous plateau. Ni conférence débat, ni meeting. Invention juste d’un réseau de solidarité culturelle inédit et échanges de vue ». D’après une idée de Washko Ink. Avec des acteurs de la culture comorienne en France : Abderemane Boina Boina, Djamal Msa Ali, ismael Mwinyi Washili, Soeuf Elbadawi