Mayotte française, ce 101ème département de la République rétentionnaire, s’entretient d’un déni d’africanité qui la fonde, et la hante – non sans rapport avec le refoulement systémique d’une histoire servile et de l’afro-ascendance d’une partie importante de la population qui en est issue[1], comme dans l’ensemble de l’archipel des Comores. Depuis plusieurs années, les demandeur.se.s d’asile, exilé.e.s, réfugié.e.s pour la plupart originaires de l’Afrique de l’Est et des Grands lacs, sont à Mayotte la proie d’une répression d’État que sollicitent, exacerbent, voire initient des collectifs de citoyen.ne.s « mahorais.es » comme autant de forces supplétives, animées d’une xénophobie aussi violente[2] que paradoxale[3].
Dans une note interne datée du 2 janvier, la préfecture prévoit d’évacuer les derniers établissements scolaires ayant servi d’hébergement pendant et après le cyclone Chido du 14 décembre 2024 : pour les « publics africains » [sic], par un relogement au sein de camps provisoires ; pour les autres, 2 000 personnes environ, pour la plupart « comoriennes », par une « évacuation sèche » [sic] – c’est-à-dire sans relogement, prélude objectif à l’expulsion[4].
Dans les jours qui suivent, une certaine presse « mahoraise » hystérise encore un peu plus l’obsession anti-migratoire par quelques rumeurs savamment sélectives : « Il y aurait des affrontements dans le centre d’hébergement ouvert dans le lycée Bamana à Mamoudzou. Des Somaliens seraient en train de se battre avec les occupants du centre pour prendre leur place à l’abri [à l’approche de la tempête Dikeledi, consécutive au cyclone] »[5]. Depuis Chido, cette stigmatisation ciblée allait déjà bon train : « La situation dégénère dans les centres d’hébergement [qui] accueillent des migrants, notamment africains… Les classes pourtant intactes sont vandalisées et pillées pendant la nuit »[6]; provocation relayée à l’Assemblée nationale par la députée RN Anchya Bamana à propos du lycée Bamana[7] : « À l’heure où je vous parle, [les réfugié.e.s] sont en train de piller l’établissement de l’intérieur »[8].
Il n’en faut pas plus pour que le Collectif des Citoyens de Mayotte 2018 organise un énième happening xénophobe, appelant à évacuer la centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, demandeurs d’asile pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne, encore présents dans le lycée du fait qu’ils sont sans logement – une réfugiée congolaise : « On veut libérer l’établissement, mais on va où ? »[9]. À cette occasion, la leader du Collectif Safina Soula déclare sans honte : « Qu’ils quittent le lycée Bamana, qu’on les envoie ailleurs, mais en dehors du département »[10]. Sous couvert d’une rentrée scolaire prévue le 27 janvier, la motivation raciste est claire, comme en atteste ce propos résolument discriminatoire d’une « parente d’élève » : « J’ai l’impression qu’on est en train de gâcher [l]a vie [de ma fille] par rapport à des personnes qui viennent de l’extérieur »[11].

Prison à ciel ouvert.
Finalement, rapporte Mayotte la 1ère sur le ton faussement détaché du fait accompli, « le collectif pénètre au sein du lycée et met dehors [sic] les migrants originaires d’Afrique continentale… »[12], tandis que Mayotte Hebdo entoure les faits d’un vernis civique en évoquant « des citoyens [qui] s’introduisent dans le lycée Bamana pour déloger les migrants »[13] ; une pratique milicienne que la sénatrice Salama Ramia cautionne, enveloppant l’agression d’un pathos victimaire : « Par usure, les compatriotes se substituent aux forces de l’ordre pour organiser eux-mêmes des expulsions au péril de leur sécurité »[14]. Quant au recteur de Mayotte, il confesse tout bonnement que cette intrusion de nervis (qui manque de tourner à l’affrontement) aurait ni plus ni moins « accéléré le mouvement » d’un regroupement (à coups de lacrymos), déjà planifié par la préfecture, des réfugié.e.s au sein d’une « zone dédiée » à l’intérieur de l’établissement[15], manœuvre à saisir comme un prélude tactique à leur évacuation, intervenue manu militari le 20, en même temps que celle du collège Zena M’déré, en Petite-Terre[16]. Le 23, c’est au tour des personnes installées dans le collège de Passamainty d’être expulsées par la police – sans relogement[17].
Dès lors, quelques centaines de migrant.e.s sont transféré.e.s temporairement au collège de Kwalé (commune de Tsoundzou), lui-même occupé depuis Chido. La peste[18] les escorte (« Attention… les Africains viennent chez nous » – un internaute) et les accueille : on se rassemble « pour dénoncer cette nouvelle population ». Devant le collège, bloqué par des manifestant.e.s venu.e.s des alentours, au point d’entraver – en chantant – toute livraison de nourriture au sein de l’établissement[19], une « Mahoraise » visiblement obsédée jusqu’au cynisme par l’africanité des réfugiés : « On veut que les Africains sortent. La rentrée, c’est bientôt… On n’a pas fait un collège pour inviter les Africains à dormir. »[20]. Une autre, en plein délire raciste : « C’est injuste de mettre ces gens dangereux ici, ce sont des animaux »[21].
Un « parent d’élève » prétend pour sa part que « laisser ces gens-là, c’est la mort »[22], rejoint dans sa vision thanatologique par le sinistre Valls lui-même : « L’immigration nécrose Mayotte »[23] – un torrent de boue, qui accrédite et reproduit le sophisme propagé par l’extrême-droite politique et médiatique selon lequel la présence supposée massive des « Comorien.ne.s » à Mayotte, c’est-à-dire dans une île de leur propre archipel, expliquerait l’ampleur tragique de la catastrophe causée par Chido. Plein d’une sagesse salvatrice, le propos d’un réfugié mérite d’être rapporté pour sa lucidité panafricaine : « Ce que les Mahorais nous font subir, c’est du n’importe quoi. On sait bien que ce n’est pas chez nous, mais il ne faut pas qu’ils nous maltraitent et qu’ils nous manquent de respect. On est tous des Africains, même si c’est un département français, c’est une île qui appartient à l’Afrique »[24].
Dès le 24, une première évacuation a lieu. Femmes enceintes et mères avec enfants en bas âge sont prises en charge par l’association Coallia[25]. Malgré tout, le collectif Tsoundzou 1 n’est pas encore assez rassasié de jouissance raciste. L’une de ses membres : « C’est pas assez, parce que y’a 800 personnes là-dedans [sic]… [Les agents de la préfecture] ont assuré qu’ils videraient le reste [resic] d’ici la fin de la semaine… C’est à nous de récupérer ce collège »[26]. Une autre lance même un ultimatum : « Ils ont jusqu’à demain pour les évacuer, dernier délai »[27] – ambition milicienne que des jeunes du quartier mettent d’abord à exécution lorsqu’ils menacent les réfugié.e.s, dans le but avoué de « retrouver leur plateau pour faire du sport » ![28] Le 1er février, c’est au tour du collectif des « parents d’élèves » de prendre d’assaut l’établissement afin d’en déloger les réfugié.e.s africain.e.s, qui défendent ardemment leur dignité, avant que les flics ne s’interposent[29].

Sur le bord de la route…
Même velléités pogromistes le 21 janvier au Lycée professionnel de Kawéni où une vingtaine de personnes d’origine africaine est toujours hébergée dans une salle de l’établissement : « Hier, vers 15h00, un groupe de gens est venu pour nous chasser. Ils nous ont dit que l’on devait libérer l’école. C’étaient des habitants mahorais de Kawéni »[30]. La peste, donc, sur fond de misère généralisée : depuis les bidonvilles alentour du collège de Kwalé où sont hébergé.e.s les migrant.e.s africain.e.s, des affamés cherchent à pénétrer dans l’établissement en quête de vivres, acheminées là pour l’occasion[31]. Le 4 février, lorsque l’évacuation de l’établissement a finalement lieu, ce sont près de 300 personnes qui sont littéralement « traîné[e]s dans la rue » (un réfugié – lejournaldemayotte.yt, 5 février), abandonnées par la police dans la boue du bord de route, sous la pluie – « comme des chiens » – avec pour tout ravitaillement quelques cartons de compotes déposés là par une association. Et Mayotte la 1ère de fanfaronner : « Jour J pour les élèves du collège de Kwalé. Ils ont repris le chemin des cours ce mercredi 5 février 2025 ». Sous les cahiers, la honte.
Au campement de fortune qui s’organise peu à peu dans des conditions particulièrement inhumaines, la préfecture répond dès le 7 février par… un arrêté d’évacuation, prétextant de la proximité du trafic routier. Un véritable ultimatum, puisqu’il est demandé aux réfugiés africains de « libérer de toute occupation les lieux » sous 24h, non sans que la perspective du « concours [de la menace] de la force publique » ne soit brandie[32]. Un harcèlement d’État, qui passe une fois encore à l’acte dès le 14, une centaine de personnes (sur les 300 présentes initialement) étant littéralement refourguées à l’association Coallia.
Une telle maltraitance, érigée en politique migratoire, n’est pas sans conséquences : hébergé (enfermé) dans un foyer pour « mineurs isolés » de l’île, un adolescent congolais de 16 ans se donne la mort par pendaison[33]. En octobre 2024, à l’Assemblée nationale, Retailleau lui réservait sans doute une place dans l’un des « vols groupés » qu’il comptait mettre en œuvre depuis Mayotte, afin d’expulser vers la République Démocratique du Congo les demandeurs d’asile originaires de l’Afrique des Grands Lacs[34]. Perspective terrifiante, qui conduisait déjà un jeune mécanicien congolais de 24 ans à se pendre en juillet 2019, suite aux rejets multiples de sa demande d’asile – l’un de ses proches déclarant à l’époque : « Là-bas, on est en danger de mort ; ici, la vie est impossible. »[35]. Dans de telles conditions, on ne se suicide pas : on est tué.
Vers la fin février, près de 150 réfugié.e.s sont largué.e.s par la préfecture… en pleine forêt de Tsoundzou. Fait de tentes fournies par l’association Solidarité et de constructions en bois de bambou récupéré dans les alentours, un nouveau campement se développe, toujours en proie aux agressions racistes[36].
L’ordre règne.
Gamal Oya, 10 mars 2025
[1] La députée mahoraise Estelle Youssouffa (LIOT) déclare : « Mayotte, terre française dans l’océan indien à quelques centaines de kilomètres de l’Afrique, ne peut pas être prisonnière éternellement de sa géographie » (France Mayotte Matin, 12 fév. 2024). Une telle vanité n’est pas à la portée de tout le monde.
[2] Cf. Gamal Oya, « Mayotte : l’abjection », muzdalifahouse.com, 12.02.24.
[3] À propos de cette « xénophobie paradoxale », qui s’exerce notamment à l’encontre « des membres de la fratrie » comorienne, cf. Dénètem Touam Bona, Uropve, n°3, mars 2016.
[4] Rémi Carayol, Médiapart, 06.10.25.
[5] linfokwezi.fr, 11.01.25.
[6] linfokwezi.fr, 30.12.24.
[7] Du nom de son père, Younoussa Bamana, figure du Mouvement Populaire Mahorais en faveur de Mayotte française. Une tautologie coloniale.
[8] Mayotte la 1ère, 15 janvier 2025.
[9] mayottehebdo.com, 17 janvier 25.
[10] Mayotte la 1ère, 16 janvier 2025. Arbitraire brutal et bêtise absurde font bon ménage : les collectifs « mahorais » (essentiellement féminins) qui hurlent à l’expulsion des réfugié.e.s, leur intimant l’ordre de rentrer chez eux, « dans un pays en guerre ou dans une maison qui a été soufflée par les vents de Chido, sont également [ceux] qui ont bloqué pendant des semaines [à plusieurs reprises depuis au moins 2018] le bureau des étrangers de la préfecture [en toute connivence] », seul service où les personnes disposant du statut de réfugié.e peuvent pourtant récupérer, passeport en main, le laissez-passer nécessaire à l’achat d’un billet d’avion pour l’Hexagone. Un blocage qui impacte également les ressortissant.e.s des trois autres îles de l’archipel des Comores, ainsi entravé.e.s dans l’obtention ou le renouvèlement de leur titre de séjour. Clandestinisé.e.s de fait, ils et elles sont par conséquent expulsables… (cf. Rémi Carayol, Médiapart, 22 janvier).
[11] Mayotte la 1ère, 17 janvier 25.
[12] déjà cité.
[13] Déjà cité.
[14] mayottehebdo.com, 24 janvier 2025.
[15] lejournaldemayotte.yt, 17.01.25.
[16] Mayotte la 1ère, 20 & 21 janvier 2025.
[17] lejournaldemayotte.yt, 23.01.25.
[18] Cf. Gamal Oya, Mayotte. Qui sème la peste récolte le choléra, Courant Alternatif, été 2024.
[19] On ne naît pas génocidaire, on le devient…
[20] linfokwezi.fr, 21.01.25.
[21] lejournaldemayotte.yt, 23.01.25.
[22] Ibid.
[23] Ouest-France, 25.01.25.
[24] linfokwezi.fr, 21.01.25.
[25] Spécialisée dans l’hébergement social, cette association subventionnée (148 millions d’euros en 2022) gère à Mayotte plusieurs dizaines de logements dit « de transition », dans le cadre d’une convention signée avec la Préfecture en 2021. Un business humanitaire comme un autre… D’ailleurs, un ancien directeur territorial de Coallia (Val-de-Marne) est actuellement mis en examen pour avoir détourné près de 12 millions d’euros entre 2020 et 2024 (leparisien.fr, 6 janv. 2025).
[26] Mayotte la 1ère, 24.01.25.
[27] Mayotte la 1ère, 30.01.25.
[28] lejournaldemayotte.yt, 27.01.25.
[29] Mayotte la 1ère, 01.02.25.
[30] linfokwezi.fr, 21.01.25.
[31] Mayotte la 1ère, 20.01.25.
[32] Mayotte la 1ère, 08.02.25.
[33] linfokwezi.fr, 13.02.25.
[34] rfi.fr, 03.10.24.
[35] Mayotte la 1ère, 31.07.19.
[36] lejournaldemayotte.yt, 07.03.25.