Nécropolitique d’un cyclone d’État – Part. II

Une submersion de xénophobie[1]. Dans les jours qui suivent le cyclone Chido du 14 décembre 2024 à Mayotte, l’aide officiellement proposée par l’Union des Comores (eau, sécurité civile, pompiers) est d’abord balayée d’un revers colonial de la main par Paris, l’acheminement de 250 tonnes d’eau en bouteille, mais aussi de riz et de produits secs, ayant été malgré tout assuré sur place par l’entremise de l’association Uzuri Wa Dini[2]. Le 24 décembre, 10.000 packs de bouteilles d’eau en provenance d’Anjouan sont encore retenus par la douane « dans l’attente de vérification et d’autorisation »[3].

Il convient d’évoquer également le blocage à Mayotte par les autorités portuaires et militaires de l’île de nombreux containers d’aide humanitaire (en train de pourrir !) que des associations hexagonales ont fait acheminer à destination des plus démunis. Il s’avère impossible pour les quelques associations insulaires, vouées à prendre en charge la distribution d’urgence de cette aide, notamment alimentaire, de s’acquitter des frais de douane opportunément monstrueux[4]

Un véritable élan de solidarité s’exprime donc en faveur des habitant.e.s de Mayotte au sein de la société civile comorienne. Comme le rappelle Solidarité Chido : « Mayotte est une partie de nous-mêmes »[5]. Et dès le 25, les collectifs comoriens SOS Comores Cyclone et Solidarité Chido parviennent à faire acheminer 20.000 packs d’eau supplémentaires ainsi que 13 tonnes de riz, à l’issue d’une nouvelle collecte de dons[6].  Cependant, les élu.e.s « mahorais.es », la députée Estelle Youssouffa en tête, évacuent l’Union des Comores des « pays amis et experts en agricultures » (Madagascar, l’Inde, le Kenya, le Maroc et Singapour), dont ils sollicitent auprès de Bayrou la coopération internationale, en vue d’aider Mayotte « à replanter et fournir des semences et pousses tropicales ».

Ce rejet est explicite : « Nous refusons toute aide matérielle, toute coopération régionale avec les Comores, tant que ce pays ne reconnaitra pas notre choix de rester Français » (Lettre à Bayrou en date du 4 janvier 2025). D’ailleurs, la députée « mahoraise » œuvre en faveur d’un pont aérien entre… les Antilles et Mayotte pour l’acheminement de bananes plantains, dont les 12 premières tonnes sont livrées dès le 15 mars et distribuées dans plusieurs mosquées de l’île dans le cadre du ramadan[7]. Outre son caractère politiquement démagogique, cette opération vise surtout à rompre avec un approvisionnement de bananes en provenance d’Anjouan.

Maore – les débris post Chido.

Idem en ce qui concerne le projet comorien d’aide à la reconstruction des mosquées endommagées par Chido, que la députée LIOT rejette comme une « ingérence »[8]. Même son de cloche (fêlée) de la part du Collectif des Citoyens de Mayotte qui voit dans Hima (Relève-toi), chanson qu’un groupe d’artistes, pour la plupart franco-comoriens – dont Soprano, Rohff, etc. –, réalise en soutien à Mayotte, une « entreprise sournoise de propagande politique [qui] distille un message liberticide et totalitaire [rien que cela], en faveur d’une unité comorienne incluant Mayotte », propice à satisfaire une « bien-pensance niaise » [répertoire zemmourien], ainsi victime des « forces obscures » d’un « cheval de Troie idéologique » [climax conspi][9]

Déjà hostile à l’égard des « associations droitdelhommistes » au moment de Wuambushu[10], le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, couvre de fait les opérations d’intimidation, de harcèlement et de blocage perpétrées début 2024 par certains des agents en service de la ville, à l’encontre des réfugié.e.s africain.e.s campant aux abords du stade de Cavani, quand il ne s’agit pas d’intrusions menaçantes au sein du campement, cible de plusieurs appels à « mobilisation » de la part du maire lui-même. Après Chido, ce dernier déclare, droit dans ses bottes : « Nous devons interdire la reconstruction des bidonvilles »[11]… Et le préfet Bieuville de restreindre par arrêté « la vente de tôles bac acier aux particuliers réparant leur domicile sur présentation d’un justificatif d’identité et d’un justificatif de domicile »[12], manière sournoise d’exclure autant que possible les clandestins (ou pas) de toute « reconstruction », les acculant ainsi au régime jugé « illégal » de la récup’ et de la débrouille.

Dans la même veine, Nicolas Pouvreau-Monti, jeune « directeur » ambitieux d’un Observatoire de l’Immigration et de la Démographie, qui n’est autre qu’une officine de propagande maquillée en think-tank pseudo-scientifique, soutient la fantasmagorie selon laquelle « l’Union des Comores se sert de l’immigration pour annexer Mayotte par le bas »[13] ou « les Comores ont une stratégie d’agression, d’annexion par le bas de Mayotte »[14]. Devenu Ministre des Outre-mer, Valls-la-menace enfourche le même mauvais cheval : selon lui, « il faut que soient créées les conditions d’un rapport de force avec les Comores. [Mayotte] ne peut pas vivre une submersion migratoire… Tout le monde doit s’attendre à une très grande fermeté de la France sur ce sujet »[15].  De toute évidence, une telle narration de guerre peut compter sur Le Monde. Forte de « 17 Comoriens » en partance pour Mayotte depuis la petite ville anjouanaise de Moya, une envoyée spéciale du journal de tous les pouvoirs peut égrainer son chapelet de caricatures à sensation.

Mayotte après Chido.

Pour les « passeurs de migrants », ce serait « le moment ou jamais », en raison des brèches supposément ouvertes au sein d’un dispositif de surveillance maritime (très partiellement) endommagé par le cyclone. Les tarifs auraient même « explosé », « le malheur des uns [faisant] le bonheur des autres », dixit « un passant »[16]. Cynisme et cupidité pour seul horizon moral ? Une pisse-copie de passage, cela finirait bien par laisser indifférent, si telle négation d’une histoire n’avait le goût du sang… Ce que l’envoyée spéciale ne veut – ou ne peut – admettre, c’est que la raison fondamentale pour laquelle des personnes originaires des trois autres îles des Comores se rendent ainsi à Mayotte est identique à celle qui les incite tout naturellement à y envoyer de l’aide humanitaire suite au passage de Chido : l’évidence multiséculaire d’un fait archipélique en partage, dont nulle clôture nationale n’abolira jamais les circulations, les échanges, les solidarités.   

Pour l’ex-député grand-remplaciste Mansour Kamardine (LR), qui impute à son tour le bilan humain [du cyclone] aux « ‘bonnes âmes’ immigrationnistes » et à « leur idéologie mortifère »[17], l’équation est claire : « Cette loi [d’urgence] devra traiter la nécessaire maîtrise de l’immigration car il ne peut y avoir de reconstruction de Mayotte sans traiter le nœud gordien de nos difficultés [qu’il se propose sans doute de trancher…], origine également de l’effroyable situation humanitaire consécutive au passage du cyclone Chido »[18]. Quant au préfet Bieuville, il se glorifie quant à lui du fait que « radars, drones et intercepteurs » fonctionnent à plein, après seulement quelques jours « en mode dégradé » – alors que des problèmes d’électricité, d’alimentation en eau et d’acheminement de denrées alimentaires subsistent encore – question de priorité… Retailleau, pour sa part, n’annonce rien de moins que la mobilisation d’une frégate de la Marine nationale, afin de sillonner les eaux « mahoraises » à la recherche de bateaux clandestins[19].

On n’est pas loin du « blocus naval de Mayotte » proposé par James Gorges, le suppléant de Manon Moreno, chauffeure de bus ayant suivi son policier de mari muté à Mayotte, et candidate de Reconquête dans la 2ème circonscription de l’île aux élections législatives anticipées de juin 2024[20]. Cinquante nuances de brun, auxquelles vient s’ajouter le projet gouvernemental d’implantation d’une base navale à Longoni, que l’Union des Comores conteste[21], un communiqué du Collectif des Citoyens de Mayotte accusant cette dernière, à l’instar des députées LIOT Estelle Youssouffa et RN Anchya Bamana, de vouloir « déstabiliser Mayotte. Parce qu’après tout, depuis des siècles [sic], ils ne savent faire que ça », et appelant ainsi les « Mahorais.e.s » à « ne [pas] céde[r] à la sirène de l’exploitation de la misère humaine en accueillant ces migrants… qui, par leur invasion, menacent la stabilité et le développement de Mayotte »[22]. Faut-il aux thuriféraires de Mayotte la française soulager à ce point la blessure narcissique que Chido vient d’infliger à leur Département par le sacrifice obsessionnellement réitéré du/de la « Comorien.ne » ?

Gamal Oya, 27 mai 2025.


[1] Une « xénophobie paradoxale s’exerçant d’abord sur les membres de la fratrie », comme l’écrit à juste titre Dénètem Touam Bona à propos du rapport que Mayotte entretient avec les trois autres îles de l’archipel des Comores (Uropve, n°3, mars 2016).

[2] Habarizacomores.com, 20 déc. 24.

[3] Mayotte la 1ère, 25 déc. 24.

[4] Lejournaldemayotte.yt, 11 mars et 28 mars 2024.

[5] Liberation.fr, 25 déc. 24.

[6] Mayotte la 1ère, 25 déc. 24.

[7] Linfokwezi.fr, 19 mars 24.

[8] Lejdd.fr, 25 fév. 24.

[9] Communiqué du 20 février 2024.

[10] Mayotte la 1ère, avril 2023.

[11] Lemonde.fr, 19 déc. 24.

[12] Mayotte la 1ère, 3 janv. 24.

[13] Valeursactuelles.com, 9 janv. 24.

[14] CNews, 14 janv. 24.

[15] Outremers360, 17 janv. 24.

[16] Lemonde.fr, 26 déc. 24.

[17] Causeur.fr, 20 déc. 24.

[18] Mayottehebdo.com, 26 déc. 24.

[19] Lejournaldemayotte.yt, 23 janv. 24.

[20] Mayotte la 1ère, 24 juin 24.

[21] Alwatwan.net, 24 mars 24.

[22] linfokwezi.fr, 24 mars 24.