La jeune réalisatrice franco comorienne tournait son film à Ivembeni. Un événement aujourd’hui oublié. Le film a depuis fait sa carrière dans les festivals. Rappel avec cet article paru dans le n°56 du journal Kashkazi.
Les habitants d’Ivembeni n’en perdaient pas une miette. En ce mois de janvier, ce village d’agriculteurs niché contre les collines de la Grille, à Ngazidja, accueillait l’équipe de l’un des premiers films de fiction tournés aux Comores. « Je crois qu’un Belge a filmé une histoire qui est finalement restée dans des malles. Et puis il y a eu “Baco”, tourné à Anjouan », résume Hachimiya Ahamada, la réalisatrice.
Entre Domoni, Mitsamihuli et Ivembeni, cette jeune Comorienne qui a grandi à Dunkerque, dans le nord de la France, a fabriqué un village comorien imaginaire pour y installer l’histoire de Djibril. « C’est un homme dont le frère vit en France et lui a confié la garde de sa grande maison, tandis que lui habite dans une petite case en tôle. L’incendie de sa case suscitera tout un questionnement : va-t-il en construire une autre, vivre dans la maison de son frère ? C’est un film court, vingt minutes, il fallait donc une histoire simple. »



Des images du film.
« C’est une bonne histoire car elle englobe la vie des Comoriens du pays » estime Ali Hassani, l’acteur principal. « Elle nous fait réfléchir sur beaucoup de problèmes avec nos frères qui vont à l’extérieur, construisent des maisons et nous laissent les gérer. » De la mosquée à la place publique, les huit membres de l’équipe de tournage, dont cinq sont venus de France, ont fait appel aux villageois pour les seconds rôles et la figuration.
Des conditions de tournage inhabituelles puisque les dialogues seront en comorien sous-titré alors que la réalisatrice, son assistant, la cameraman et la preneuse de son maîtrisent peu ou pas cette langue… C’est Ali Hassani, instituteur de métier, qui a assuré la traduction. « Nous n’avons travaillé avec aucun acteur », indique Hachimiya. « Les comédiens de théâtre avec lesquels nous avons fait des essais avaient tendance à surjouer. Seule Ma Ahiriya est une chanteuse de mariage connue. »
Financé en partie par le Centre national cinématographique français, produit par Aurora Films, le projet est réalisé en collaboration avec la structure comorienne Washko Ink. À sa sortie, Hachimiya espère pouvoir le montrer aux Comores « en organisant une sorte de cinéma ambulant ». Son film de fin d’études tournait également autour des maisons construites au pays par les émigrés comoriens, mais vues cette fois par la diaspora. « Mes parents rêvaient du moment où l’on s’installerait en famille dans une maison construite dans le village de mon père. Les aléas de la vie ont fait que ce rêve ne s’est pas achevé », expliquait-elle en septembre 2006[1].
[1] Cf. Kashkazi n°53, 14/09/06, sur le cinéma comorien.
PARU DANS LE N°1 DU JOURNAL KASHAKAZI EN 2005, DANS UNE CHRONIQUE (Utamâ duniya) DE SOEUF ELBADAWI, AVEC CE TITRE : « ET S’IL ETAIT NE BIEN AVANT ? » Une bonne nouvelle en ces temps de disette intellectuelle. Le cinéma comorien a vu le jour. Les parents se portent plus ou moins bien malgré des questionnements identitaires d’un type nouveau. Néanmoins, l’enfant balbutie encore dans son berceau comme une sorte de prématuré en manque d’amour. Il va probablement nous falloir de l’argent, un public et des critiques assez avisés pour comprendre dans quelle langue il s’exprime réellement. Il faut dire qu’il a mis du temps avant de naître. Ce qui joue forcément sur son moral. Par ailleurs, il est sorti par petits bouts du ventre de la mère. Disons – pour résumer – qu’il est sorti sous de multiples identités. Des noms de » réa » au passage ? On peut citer le duo Kabire Fidaali/ Ouméma Mamadali avec leur surprenant Baco, Ahmed Mze Boina et son fameux Litres, Djoumoi Saïd et son expérimental Baruwa Super 8 ou encore la petite surdouée qui monte… Hachimiya Saïd. Ses deux premiers films, Destin tracé et Feu leur rêve, des exercices d’école à dire vrai, annoncent toute une réflexion à venir sur notre rapport à l’image. Mais sans doute que j’oublie dans cette liste (non-exhaustive) des Mounir Allaoui ou des figures humbles d’un cinéma populaire, initié par le comédien Djimba en France par exemple. Si je tiens à dresser le faire-part de naissance, c’est parce qu’il y a une histoire qui se raconte actuellement en Europe, à l’issue d’un projet récent, quelque peu hybride, intitulé La maison de Mariata, co-signé par deux françaises, l’une d’origine vietnamienne et l’autre comorienne. L’une s’appelle Gaëlle Vu, l’autre Mariata Abdallah. Un objet déroutant par sa forme mais qui amène à s’interroger sur la notion même d’auteur. Un objet anthropologique d’une valeur rare face auquel des critiques français et belge se sont (étrangement) extasiés. Parmi eux, Patrick Leboutte, qui, dans son élan, n’a pu s’empêcher de voir là la « naissance cinématographique d’une nation », comme si c’était le premier événement du genre dans l’espace culturel comorien. Une affirmation un peu rapide à mon goût…