Portrait-express d’un homme qui scrute et fige les siens avec son cellulaire débridé. Nabah-Eddine Djalim (NED) veille sur sa communauté et alentour avec son oeil aiguisé, qui rapporte des souvenirs en image pour le commun et pour ceux qui, plus tard, viendront, avec le besoin d’analyser la trace…
Affable et bienveillant au premier abord, il commence par vous lâcher un sourire, yeux bien ouverts, avant de se souvenir de son premier cliché en tant que faiseur d’image. Lors du mariage d’un cousin. Il prend plaisir à immortaliser le moment : « J’ai depuis été pris dans un engrenage qui s’auto-entretient ». Il le confie en toute humilité. Des regards bienveillants s’empressent de le conseiller. « Mais ce lien, cette relation à la photo est ancienne. Mon père aimait nous faire photographier pour créer » du lien entre frères, sœur et cousins. Il les emmenait toujours faire un tour au Studio Med, mythique lieu de la photo argentique dans la capitale, s’il en est. L’histoire de ce studio a bercé plus d’un comorien.
NED se rappelle aussi que « la photo était toujours là, avec [son] cousin Ahmed Alyamani, qui avait toujours son objectif lorsqu’il nous rendait visite à la Ciotat ou à Ngazidja en vacances. Enfin, il y a aussi le neveu de mon père, professionnel de la photo, journaliste à Al-Watwan ». Il n’oublie pas le legs dans son énumération. À la disparition de sa mère, il hérite d’albums photos laissés en héritage, le voit comme un privilège certain : « de disposer de photos de moi bébé, de mes parents, de leurs proches, plus jeunes ». Des marqueurs certains sur « leur mode de vie à l’époque qu’il est important de mettre en avant aujourd’hui, afin de faire relativiser ». On vit un temps où les gens ont tendance à effacer les traces du passé. Lui a aimé de mettre en partage l’anniversaire de ses « 1 an » sur facebook. La famille, ses amis, tous ont apprécié, également.





NED en pleine action à Saint-Denis. À Nanterre, à Aubervilliers et sur la street….
Il a forgé un mot pour signifier cette nécessité à tous : l’agnissement. De uwanyisa en shikomori, partager. Manière de faire découvrir, de sensibiliser sur des sujets sociaux, d’interpeller sur le vivre-ensemble (qui rejoint le « namwishiliyane » de sa mère, prononcée avant son décès), sur des médias diffusés en ligne, bien souvent. La photo contribue à dresser le récit collectif à ses yeux. L’origine de sa passion était peut-être le mariage du cousin. Mais par la suite, « cela s’est ouvert à un partage et une sensibilisation plus large sur des monuments, des pratiques culturelles, culturales, artisanales… » Un regard sur le pays d’origine « qui m’habite même dans mes exils », ajoute-t-il encore. « Capturer des moments de vie qui relient au pays, en cherchant toujours à comparer » les mondes représente sa manière de prolonger la trace : « Totalement. J’ai été inspiré et j’espère inspirer également à travers une sensibilité et une perception des choses, avec une grille de lecture propre de nos environnements d’ici et d’ailleurs. Des traces qui tressent ».
« Que mes images puissent susciter des envies de connaître l’archipel et les endroits traversés, ainsi que ceux qui y vivent ». Au-delà, il y a ce besoin de s’accrocher à un monde plus grand. « Je m’intéresse au Tout-Monde ». Comores, France, Réunion, Antilles françaises, Cuba, Angleterre, Ethiopie. « Mais aussi au sens littéral de tout’ moun’ en créole. Essayer de pointer mon objectif sur des personnes, des végétaux ou des sites que l’on n’a pas nécessairement l’habitude de mettre en valeur. Faire renaître une relation qui peut s’estomper entre les êtres et les territoires dans lesquels ils vivent par l’intermédiaire de pratiques mouvantes qui nécessitent de tracer ». Son rapprochement par exemple avec l’association Mym [Mvukisho ye Masiwa] l’a connecté à d’autres que ceux de son milieu à Moroni, plutôt « auto-centré ». S’ouvrir et élargir les horizons…





NED en plein travail à Saint-Denis en région parisienne, lors d’une rencontre littéraire. À Nanterre, lors d’une célébration de l’indépendance comorienne (Barwane, Zayonne). De l’autre côté du Périph. et avec Aimé Césaire, pour finir, dans son bureau à Fort de France.
Un projet d’expo en tête ? Avec toutes ces images emmagasinées ? « Non, confie NED. Mais je peux agnisser – the verbe, son verbe – mes photos pour des assos ou pour des projets de collaboration avec des personnes ayant le verbe et surtout la sensibilité de les illustrer par un texte. Je discute souvent avec un ami féru d’histoire pour constituer une base pour sauvegarder des photos que l’on prend ou que l’on possède et qui s’abîme dans des fonds de tchiranka [malle], mais aussi des vidéos, des audio d’entretiens, qui sont des traces et peuvent être de la matière pouvant être réinterprétée par les plus jeunes avec leur propre grille d’analyse ». En attendant, il court de lieu en lieu, d’un événement à l’autre, se faisant aussi discret que possible pour sublimer les uns et les autres. À peine si on le voit œuvrer…
L’homme travaille avec un cellulaire. « Oui ! Uniquement au cél. Mais parfois je porte un vrai appareil photo sur moi. Car les gens sont moins à l’aise avec un cel. Ils ont la sensation de faire face à un objet intrusif, qui risque de les faire basculer dans le monde des réseaux. Je reste au cel. également pour garder une certaine limite et ne pas rentrer dans les plats de bande des photographes. Mais on voit aujourd’hui notamment avec le magnifique travail inspirant de Farouk [Salami Djoussouf, photographe consacré dans la communauté] que l’on peut faire du travail de pro avec un cellulaire ». Il navigue ainsi entre Samsung ultra et Pixel de Google, un outil « qui excelle notamment dans les vidéos en intérieur, avec une bonne capture du son. Les cel. sont mon petit vice ».
Soeuf Elbadawi