Aux Comores, toute activité donne lieu à des chansons. La pêche aussi. Chronique parue dans le n° 2 du journal Kashkazi en août 2005.
La mélodie est saccadée comme emportée par le tourbillon des eaux. Le texte est noir, respire la mort, une mort quasi permanente, maîtresse de la vie, leur vie. C’est cet univers, cet océan des piroguiers, que chantent les pêcheurs comoriens. Une poésie au fil de l’eau qui relate les peurs et les angoisses, de ceux « qui ne rentrent que la nuit » comme le décrit un des multiples textes que Damir Ben Ali a compilés dans son ouvrage Musique et société dans l’archipel des Comores. Des chansons sans auteurs, produits du labeur. Du Blues. Véritable mémoire d’une vie qui ne se résume pas seulement aux affres de l’océan.
Ces chants racontent aussi le hiko (port de pêche), aire de vie entre la terre et la mer. Où les pêcheurs se rassemblent pour fabriquer les pirogues, tisser les filets et échanger leurs histoires, les mêmes pour tous finalement. Chants de la solitude aussi. Car les pêcheurs sont des gens seuls. Éloignés de leur famille. Chants du désespoir, car aucun pêcheur ne conseille aux siens de lui succéder dans ce métier. Des chants qu’ils chantent eux-mêmes. Des poésies qu’ils se racontent entre eux, là-bas au large. Quand la nuit est froide, quand la mer est capricieuse ou que les éléments se déchaînent et les prennent dans leur piège.

Sur le littoral d’Itsandra.
Des chants pour se soutenir, pour prier, se réconforter. « Ce sont ces rythmes, le contenu de ces textes qui font l’authenticité » des chants de pêcheurs, note Damir.
Une tradition qui tend à disparaître. Dans le célèbre hiko de Iconi, un des villages de Ngazidja réputés pour la témérité de ses pêcheurs, personne n’évoque plus ces temps passés. « Les vieux ne sont plus » explique-t-on à la place Bichioni. À Sha Befouni, un autre célèbre port de pêche d’Itsandra, les pirogues sont là. « Ils ne sortent que pour pêcher les petits poissons qui vont servir d’appât pour les gros » regrette Barouf. « Les jeunes travaillent sur les bateaux » ajoute le voisin de Barouf, désignant d’un doigt les embarcations motorisés qui disputent la plage aux pirogues traditionnelles à deux balanciers.
Les chants des pêcheurs sont-ils voués à devenir des objets de musées ? On ne les entend plus sur les ondes des radios, comme auparavant. « Les anciens ne sont plus là » fait remarquer Barouf. Un tour dans les villages côtiers de l’île confirme l’arrivée d’une nouvelle génération de pêcheurs motorisés. Avec eux, c’est toute la relation avec l’océan qui change.
Saindou Kamal’Eddine
EXTRAIT DE HWIMƁIA MISI, CHANSON DE LA LIGNE. Extrait de Musique et socité dans l’archipel de Damir Ben Ali, éditions Komedit.
He ! Maze ka shambo. Ɓadi ngazintsitsawao / Sha mdzima n’ounatrotro / Ɓadi sha mdzima n’ounatrotro / Nlo galawa la mdzima kalishinde / Ɓadi mlozi ngwe le djua lepara ntsi / No zemisi kazilishwa owatrotro / No mlozi ngwe le djua lepara ntsi / Zemisi kazilishwa owatrotro / Zo ulishwa mɗuhazi dja Mwinyiwashe / Ɓadi mndru dja Mna Selo Ikoni / Mndru dja Mbambamba Iitswasohe / No mndru dja Mɓelizi wa Mrasoha / No ɓa pvanu ngwe wa mwani ngilo nɗapvi / No ngilo Shadudja na ha mlendza nkori / Ɓadi ngilo emaze ya mdja na hari / No ngilo ha mdirifu na Ɗahodjuwu / No ngilo ha mdirifu na Ɗahodjuwu / No ngilo emaze ya mdja na hari / Ngilo iho ngalitsindzo wine / Na hutsindza ze ndruhu misidjuu / No na mtsoɗoishia Pvoɗahodjuu / No tsipvenɗe tsirume mndru umwandzao / No tsipvenɗe na kunguru lidja zipanɗe / Na tsipvenɗe na misi djana irudi mbima / No nɗimwe emagora yelelao / No nɗimo wana warumiz’owaɓaɓa…


Sur le littoral. L’ouvrage de Damir Ben Ali.
La traduction : « Au large, sans appât, que cela me torture / Vivre dans la solitude et tout jeune / Mais vivre dans la solitude et tout jeune / Avec une grosse pirogue qu’on ne peut manœuvrer / Pour un pêcheur, quand le soleil rejoint l’horizon / Les lignes ne sont pas laissées entre les mains des enfants / Pour un pêcheur, quand le soleil rejoint l’horizon / Les lignes ne sont pas laissées entre les mains des enfants / Elles sont entre les mains d’un vieux comme Mwinyiwashe / Celles d’un homme comme Mna Selo d’Iconi / Un homme comme Mbambamba Itswasoha / Un homme comme Mɓelizi wa Mrasoha / Mais maintenant où se trouve le grand lutteur / Il est à Shadudja[1] où s’agite les immenses nageoires / Il est au large où vont ceux qui ne rentrent qu’au milieu de la nuit / Il est chez le téméraire qui fréquente le lieudit Ɗahodjuwu[2] / Il est chez le téméraire qui fréquente le lieudit Ɗahodjuwu / Il est au large où vont ceux qui ne rentrent qu’au milieu de la nuit / Il est là-bas, il fend l’onde / Il coupe en petits morceaux les lignes à la surface de l’eau / Mais contenez-vous d’entendre parler de Dahodjuwu / N’y allez pas et n’y envoyez personne parmi ceux que vous aimez / N’y allez pas, car un pagne en tissu rayé est revenu en petits morceaux / N’y allez pas, car de deux cents mètres de ligne, il ne reste qu’une brasse / C’est en ces lieux que les chapeaux flottent/ Mais c’est en ces lieux que les enfants appellent leur père…
[1] Lieu de pêche de gros poissons.
[2] Idem.