Comorien comme une légende américaine…

Figure du rap à New York, Napoleon Da Legend a le verbe politique et le rythme taillé dans l’ailleurs. L’homme s’est distingué, notamment avec de prestigieuses collaborations, dès son premier album. Il est profondément attaché au Continent et aux îles dont il est originaire.    

C’est en jouant au basket dans le Maryland (Washington DC) qu’il s’est forgé son surnom. Il avait le jeu combatif et ne se laissait pas faire sur les playgrounds. Comme il venait de France, on le raccrochait de fait à Napoléon. Plus tard, il y injectera sa propre légende, en s’inspirant des grands hommes. Ceux qui ont su arracher les choses, sans attendre qu’elles viennent d’elles-mêmes.

Son dernier album est titré Dessalines, en hommage à Jean-Jacques Dessalines, qui est passé d’esclave à officier dans l’armée française, avant de s’insurger et de déclarer l’indépendance d’Haïti en 1804. « Certains noms et personnalités ont du poids et de l’impact ». Les invoquer dans son rap et ses mots lui paraît nécessaire. « Ces grandes personnalités me parlent parce qu’elles représentent l’impact que je compte avoir dans le milieu du rap », explique-t-il.

Né à Paris de parents comoriens, Napoleon Da Legend (NDL) a grandi à Washington. Mais lorsque ses parents décident de quitter les Etats-Unis, ils lui laissent le choix. D’y rester ou de partir. Et lui choisit la seconde option. Le début d’un parcours difficile, dont il se sortira par le haut, tout en demeurant fidèle aux origines. « Beau comme les Comoriens, j’ai souffert aussi », rappe-t-il dans le titre De rien. D’ailleurs, comment parvient-on à garder vivante une part de « comorianité » quand on vit aussi loin de ses origines ?

NDL. L’album Dessalines

« Ce n’est pas quelque chose que je cherche à faire consciemment ». Il s’interroge : « Y a-t-il une définition officielle de la « comorianité » ? Qui décide ? Comment évolue-t-elle ? Forcément, ma « comorianité » est sanguine, et me restera de par certaines affinités musicales et rhythmiques, autant que par mes goûts culinaires. Mais les temps changent et mon instinct de survie fait que je dois m’adapter. Les valeurs inculquées par mes parents ne bougent pas, mais un loup ne survit pas dans un marécage d’alligators », dit-il. Mais quoi de plus comorien, a-t-on envie de lui concéder, que cette capacité à faire souche dans le lointain.

Le choix laissé par ses parents était une leçon de liberté pour la suite de son histoire. « Je cherche à apporter quelque chose d’intéressant, sans me contenter de la validation d’un quelconque groupe. C’est la démarche la plus authentique que je puisse avoir. Ma comorianité vient de mes parents et de mes ancêtres dans un monde envahi de drones, de matérialisme écœurant et de chatgpt. C’est à nous de voir comment préserver notre humanité. J’associe sans doute ma comorianité à mon humanité ». Son discours se rapproche de ce qui fonde le peuple dont il est issu, la volonté de rester humain face à l’adversité.

Il poursuit sur la distance qui, de fait, s’impose entre le pays d’accueil et le sien d’origine : « ça fait des décennies que je n’y suis pas retourné et cela m’a déconnecté de l’évolution actuelle. [Mais] ma comorianité ressort dans ma voix, écoutez bien et vous l’entendrez ».  Quoi qu’on en dise, les Comores sont une société du multiple, où les influences variées ont nourri son imaginaire musical. Il grandit auprès d’un père mélomane, qui écoute Kassav, Bob Marley, Lionel Richie, Koffi Olomidé, etc. « Mon père était lui-même chanteur au sein de la famille à Anjouan ». Il écoutait aussi beaucoup de musique, puisait à toutes les influences. De Jimmy Cliff à Billy Ocean…

NDL.

« Sans le savoir, je m’étais imprégné d’un tas de styles musicaux, mais ce qui m’a touché le plus, c’était l’émotion, qui me faisait voyager et me permettait de me projeter dans un monde plus vif et coloré. J’écoutais de tout quand j’étais jeune et je continue à le faire, aujourd’hui ». Sa liberté commence peut-être là… Rappeur, lyriciste, et véritable génie du flow, Napoleon Da Legend s’impose sur une scène new-yorkaise, extrêmement compétitive. Une ascension qui suppose bien des défis. Il revient sur sonenvie de créer des morceaux novateurs et puissants avec la même combativité que sur un terrain de basket. Il nourrit ainsi sa légende. « Il faut croire en soi dans ce milieu, sinon c’est cuit. Les chances de réussite sont très minces ».

Mais l’envie est une chose et le courage d’agir, une autre : « Je n’ai jamais eu peur d’apprendre les choses par moi-même, que ce soit au niveau de l’écriture, de l’enregistrement, de la prod, des clips et de la prestance scénique. J’aime les challenges, ça permet de ne pas sombrer dans l’inertie. J’ai eu le courage de sortir mes propres albums et mixtapes en auto-prod, sans aide, sans budget, et sans qu’il y ait une demande. Je suis monté sur scène et je me suis fait remarquer comme ça ». NDL impose un style, qui tranche avec les us et coutumes du milieu. Il parle même de disruption, sans écarter l’apport que représente New York, cette ville-monde.

À New York, raconte-t-il,il lui est arrivé de faire des shows en présence de ses aînés dans le hip-hop. « Et quand tu les impressionnes et qu’ils veulent collaborer avec toi, tu te dis que ça peut aboutir à quelque chose. Ça m’a permis d’avoir des contacts dans le milieu. New-York a été une école pour moi et a servi à me construire en tant qu’artiste et entrepreneur ». Le hip-hop vient de là, il a pris le risque de s’y aventurer et de vivre là : « le destin te retrouve quand tu le poursuis aussi ». C’est là qu’il se retrouve à collaborer avec Raekwon du Wu-Tang Clan, Sean Price, Capleton, etc. En France, il partage un studio avec Akhenaton, collabore avec Just Music Beats, une maison co dirigée par Buddah Kriss, autre talent discret issu de la diaspora comorienne…

Depuis New York, NDL cherche sans cesse à retrouver la trajectoire du pays d’origine. On le voit dans une émission, munie d’une map sur les Comores, en train de discourir sur les violences postcoloniales. Bob Denard, coup d’État… Une leçon de géopolitique. « Ce qui me touche particulièrement, c’est la problématique Comores-Mayotte, qui semble se compliquer de plus en plus » Sinon, les problèmes étant les mêmes, un peu partout, NDL évite d’isoler les Comores : « Le climat géopolitique dans le monde est tendu en ce moment. On voit à quel point les grandes richesses augmentent, on se dit qu’il y a quelque chose qui cloche ». NDL est de ceux qui rêvent d’un monde plus juste. Avec une politique permettant « l’hébergement décent de tout un chacun, un système de santé qui fonctionne, des emplois et de la nourriture » pour tous.

NDL.

Sur l’axe Comores-Mayotte, on peut imaginer sa difficulté, étant né de père anjouanais et de mère mahoraise. Quoi de plus déchirant pour un enfant de ces îles : « Je trouve ça incroyablement triste. La propagande a empoisonné les cerveaux, attisé la haine et le mépris. On est le même peuple, avec nos différences, qui nous rendent plus fort et plus beaux », constate-t-il, avant de confier plus loin, sur la gestion désastreuse du pays : « les gens réagissent face à une problématique qui leur est imposée. La faute reste chez les politiques ». De son père, NDL ne partage pas que la musique. Ils ont en commun leur vision politique. Il était militant indépendantiste au pays. « Mon père et beaucoup d’autres peu cités se sont battus pour un pays plus égalitaire, plus ouvert et plus libre. L’histoire officielle ne mentionne que les personnalités à qui bénéficient les intérêts du pouvoir »

À tous, il suggère de creuser pour saisir les enjeux. « Dans le hip-hop, on dit « digging in the crates » (creuser dans les bacs) pour trouver des pépites. La violence que l’on voit aujourd’hui n’est que le résultat inévitable d’une flagrante inégalité économique et sociale. Mon père croyait au potentiel de l’archipel gravement impacté par l’exploitation coloniale ». Il en parle beaucoup, mais ne cite pas son nom, comme pour le préserver. Il s’arrête surtout sur les valeurs sur lesquelles se fondait leur relation : « Mon père aimait son pays, il en était fier et aura finalement donné sa vie pour lui. Je pense que beaucoup de gens l’aimaient et le respectaient, bien qu’il n’eût aucune ambition d’accéder au pouvoir ». NDL l’évoque avec tendresse. Sa simplicité, sa bienveillance, l’amour des siens.

« Ses malaises de santé ont commencé quelques jours, après qu’il ait sonné l’alarme sur d’énormes détournements de fonds au sein des îles. Ça restera parmi les nombreuses histoires étouffées par l’histoire officielle. J’espère que les Comoriens n’oublieront pas leurs militants. Paix à son âme. » NDL, qui écrit sur les questions de domination, garde vivante les rêves du père. Ils nourrissent sa musique en profondeur : « On voit bien que la société, même dans un pays riche comme les États-Unis, est divisée entre une classe aristocratique et une classe de prolétaires et de pauvres. Ce schéma semble être le même partout. Il est sûrement plus accentué dans les pays africains. Lumumba et Sankara ont sacrifié leur vie pour apporter du progrès. Les contraintes économiques et sociales sont telles que la masse populaire est écrasée et obligée de subir. Il m’arrive d’en parler sans même faire exprès ». Ses lyrics reviennent toujours à l’histoire : « elle permet d’éviter certains pièges qui nous guettent dans un futur proche ou lointain ».

Fouad Ahamada Tadjiri

Album récent : Dessalines (Legendary music, 2025).