Affaire Titi : Que nous dit le verdict ?

La mise au cachot de Titi le Fourbe a interpellé une jeunesse jusqu’ici peu encline à se mobiliser, notamment face aux multiples dérives de l’État. Elle vient de montrer qu’elle pouvait se rassembler et exiger. L’artiste se retrouve investi d’un pouvoir qu’il ne s’imaginait sans doute pas.

Titi le Fourbe est son nom de scène, obtenu grâce à un savant mélange entre Thierry Henri le footballeur et Les Fourberies de Scapin de Molière, dont le personnage l’a profondément marqué par ses capacités à ruser. Intelligent, audacieux et drôle, autant de traits de caractère qui le ramènent à ces figures. On lui rajoute à Titi son côté énigmatique. En effet, il suffit de le suivre un matin pour le voir parler plus aux choses qu’aux humains. Il devise avec les poules, prend langue auprès des vagues, murmure aux végétaux.

Il nourrit à souhait l’étrangeté, qui lui est accolée au visage, et emporte, dans sa manière d’être, ses fameux zilatso _ une volonté d’échapper à tout contrôle. Chercher dans la provocation la matière de sa poétique a d’abord choqué avant de trouver un écho auprès des jeunes, qui l’adulent, désormais. Il sait s’avancer avec subtilité dans des limites qu’il désamorce ensuite. C’est ainsi qu’il s’est imposé sur la scène rap du pays, assumant, au passage, une langue et un accent de l’arrière-pays, qui tranchent avec les usages urbains du genre. Une sincérité qui fait mouche…

Titi le Fourbe.

Quiconque connait le personnage ne s’étonne pas de le voir s’amuser dans son dernier clip, fusil à la main, mimant un terroriste du petit écran : Abdul Rifi vu dans The Delta Force (1986). Avec une pointe d’humour. Ou encore lorsqu’il se filme, avec le même fusil, dans la zone de l’aéroport Prince Said Ibrahim, à quelques mètres du tarmac où était stationné un appareil de la compagnie Ethiopian. Un geste qui, indépendamment de l’intention de Titi, peut résonner avec une actualité passée du pays : celle de Fazul personnage, autrement plus complexe, lié au réseau Al Qaïda.

Par contre, on se laisse quelque peu surprendre lorsque l’on apprend, quelques jours plus tard, son arrestation par les autorités. Il s’apprêtait à voyager pour Dakar où on l’attendait son acolyte Bilwizz pour un show. Une chose interpelle plus, c’est la rapidité avec laquelle les publications se sont alignées sur Facebook, réclamant non pas justice en son nom, comme ce fut le cas par le passé avec les slogans « Justice pour Sitty » ou « Justice pour Sast », mais sa libération. Tout simplement. « On ne veut rien nous, juste sa libération » Une mobilisation qui menaçait de déborder, ces derniers jours. Faut-il craindre l’embrasement, à l’heure où les vagues insurrectionnelles ravagent la voisine Madagascar. Pour un simple clip ?

L’artiste en plein vol…

On a en tête les images du Népal qui s’enflamme, il y avait encore deux semaines. Les Comores se veulent connectées au monde. Les slogans sont légion. Ils vont de « libérez Titi et prenez Kiki » à « Titi Président ». On observe rapidement une politisation du discours dans la revendication devenue populaire. L’incarcération du rappeur devient le prétexte pour pointer les milles et une défaillances de l’État, à commencer par le système judiciaire lui-même. On semble oublier que l’artiste a commis un geste subversif, possiblement condamnable. N’y a-t-il pas action plus grave ? « Tu seras jugé par des magistrats corrompus et mafieux, ce régime sanguinaire et arbitraire ne peut pas nommer ses sbires à la tête de la justice ».

Comment ne pas faire le lien avec les scandales diffusés récemment sur le réseau : des notes vocales imbriquant un procureur de la République, un commandant de gendarmerie, un chef d’État-major… Certains voudraient nous faire croire que les jeunes sont déconnectés de la marche du pays ! La vérité est qu’ils ont perdu foi en la justice, raison pour laquelle ils tentent d’enjamber ici les lois du tribunal avec le slogan FreeTiti. Ils sont nombreux les commentaires à aller dans le même sens : « Ceux qui violent et ceux qui détournent les fonds publics sont chez eux mais Titi, pour un clip vidéo, se retrouve en prison ». Toujours en partant du célèbre punchlineur, certains évoquent d’autres dysfonctionnements : « Au lieu de nous donner de l’eau, vous nous prenez Titi ».

Sur ACMC.

L’artiste se retrouve investi malgré lui d’un pouvoir qu’il n’imaginait point. Désormais, on parle de Titi comme d’une légende, placée au-dessus de toutes les privations. Vous pillez dans les caisses publiques, vous nous volez notre avenir, on ne dit rien, par contre, ne touchez pas à notre artiste. Sur cette capacité à rassembler, le rappeur Jeez MBK écrit : « Si j’étais dans l’opposition, j’irais discuter sérieusement avec She Yilaso ». Mais comme en écho à ses mots, le président du parti Ridja, Said Larifou a posté : « Il arrive que la jeunesse fasse des erreurs, mais cela ne doit jamais ôter à personne son droit d’expression. Le rappeur comorien Titi le Fourbe a été injustement arrêté par la dictature dans des conditions douteuses qui interrogent. Sa voix, comme celle de tout artiste, mérite d’être entendue et respectée. La liberté d’expression n’est pas négociable. En tant que Président du RIDJA-PCTEF, je soutiens Titi le Fourbe ».

Une telle récupération politicienne viendrait aggraver le sort du jeune artiste. Mais il n’y a pas que la publication de cette figure de l’opposition qui sous-entend l’instrumentalisation manifeste. Nombreux sont ceux qui projettent sur Titi leur propres fantasmes, sans réel rapport avec son geste. On peut lire que « Titi Le Fourbe est devenu le porte-voix des sans-voix. En l’arrêtant, c’est une tentative claire de faire taire non pas un homme, mais une conscience collective ». Ou encore : « Titi est connu pour son style audacieux, mais ses critiques ouvertes envers la religion choquent profondément. Certains de ses propos vont jusqu’à manquer de respect à Dieu, le Très-Puissant » selon Mohamed Elfathy Djamalylayl, un intellectuel arabophone. D’autres encore disent de lui qu’il est persécuté en tant que penseur par le régime en place. Peut-on être objectif face à l’acte de l’artiste, sans lui ôter son talent, ou régler des comptes à travers sa situation ? Hélas, Titi se retrouve victime d’un phénomène d’opportunisme médiatique.

Dans l’émission Culture & Créativité sur les réseaux.

Pour l’avocat Me Moudjahidi, reconnaître le talent de Titi n’est pas lui accorder tous les droits : « Le respect [de l’artiste] n’exclut pas la lucidité, il faut aussi dire que la dernière vidéo avec une arme (même factice), en arrière-plan un avion de la compagnie Ethiopian Airlines… C’est une belle connerie. Une image irresponsable ». Les fans de l’artiste, eux, semblent en dehors de toutes ces considérations, quand ils demandent sa libération. Traduit en justice ce samedi 27 septembre, l’artiste, qui risquait une condamnation de cinq ans et une amende de cinq millions, s’en est sorti avec une peine d’un mois avec sursis, assortie d’une amende de 500.000 kmf, et la levée immédiate du mandat de dépôt. « L’intention de nuire qui viendrait constituer pleinement l’infraction est manquante », selon son avocat, qui évoque une touche d’humour et la nature même du fusil mis en scène par le rappeur. Il est donc condamné pour troubles publics. Mais pourrait-on imaginer un autre sort à Titi, s’il n’y avait pas eu cette mobilisation humaine, qui, des réseaux sociaux, a fini par déboucher dans la rue.

Pour crier liberté en direct du palais de justice. Après l’audience, le rappeur a été porté par ses fans excités au stade Ajao, où il a formulé ses remerciements : « je remercie chaque personne qui est partie de chez elle jusqu’à Moroni pour être auprès de moi. Sans vous, je ne suis rien ». Il ne passera pas une nuit de plus en cellule, Titi est rentré chez lui à Hahaya et la foule s’est dispersée, repartant d’où elle est venue avec un gout de victoire face à la machine judiciaire. Cette mobilisation a-t-elle eu un impact comme on voudrait le croire quant au verdict rendu ? Ce qui est sûr, c’est que la jeunesse a pris conscience de ce qu’elle peut se rassembler et exiger. Reste à savoir quoi ? Le clip 2Pac, à l’origine de cette affaire, a accumulé 47.416 vues en deux semaines et n’est pas interdite. Si l’arme utilisée était factice, la musique de Titi, elle, est bien réelle. Et on mesure davantage sa puissance. Le rappeur saura-t-il en faire bon usage ? Il y a longtemps que les artistes ont cessé de se mêler de politique sur cette scène au sens offensif du terme. Pour Titi, ce sont les images qui ont parlé. Mais maintenant que dit l’artiste ?

                                                                                                      Fouad Ahamada Tadjiri

Image à la Une, Titi à la sortie du tribunal. Toutes les images ne sont pas libres de droit. Elles ont été empruntées aux réseaux sociaux.

Titi le Fourbe est en concert avec BilWizz, mardi 06.10.25 à la Maison de la Culture Douta Seck à Dakar (Sénégal).