Un cours d’écriture de la part du premier romancier comorien publié de langue française. Mohamed Toihiri est allé écumer la langue française telle qu’elle se parle au travers du shikomori. Un jeu qui peut mener à la dérive quiconque manque de prudence dans les jeux d’interprétation. L’article est paru dans le n° 24 du journal Kashkazi en janvier 2006.
Contrairement aux jeux de mains censés être des jeux de vilains, les jeux langagiers sont autrement plus délicieux, surtout si ces jeux de langue et ces perversions textuelles sont pratiqués par les Comoriens sur la française. Admirez ces merveilleux coquins dans leur détournement de mots mineurs et de sens. Pour prendre leur pleine mesure, essayez surtout de les surprendre, ces chauds insulaires, pendant qu’ils sont en train de planer[1]. Ne croyez surtout pas que cette planète[2] a un but métaphysique ou spirituel. Non, leur seul but, surtout si ce sont des hommes, c’est de zieuter des jus[3]. Mais ces jus ne sont pas à boire, quoique…
Non c’est pour y laisser peser des yeux admiratifs et concupiscents, rêvant de s’y adonner à des jeux latins, des voluptés grecques ou des extases mutsamudiennes. Vous pouvez satisfaire ces fantasmes si par chance vous êtes nommé[4]. Si cette nomination se fait en plus à la Primature[5], vous êtes assuré d’avoir suffisamment de flouze pour envoyer votre fille Harousi au privé[6]. Ce privé n’est ni un collège, ni un lycée, non c’est un privé. Et ce n’est pas non plus un Nestor Burma, ni une Agence, ni une Société, non c’est un privé. Votre fille, ayant fréquenté cette institution huppée, est assurée de n’être ni trahie[7] ni victime d’un coup d’État[8]. Et si par ailleurs votre fille a plein de bêtises[9], elle est ainsi assurée de se marier à un beau parti.


Série Rose Noire (© S.E I Fonds W.I)
Le lendemain de la nuit de noces, le poumon gauche[10] de votre fille viendra la voir en l’absence du mari et s’écriera : – Bo Harou, dossier[11] ! Ce cri de ralliement, propre aux jeunes filles, fera battre la chamade au cœur de la fraîche épousée qui, toute excitée, et curieuse comme l’ensemble de la gent féminine, demandera :
– C’est quoi ?
– Non, non, non, dis-moi d’abord comment s’est passée ta nuit de noces.
Après qu’elle lui eût dévoilé, ce qui est dévoilable, sur sa nuit de noces, son amie reprendra :
– Tu ne peux pas en croire tes oreilles : hier j’ai eu une vision[12]!
– Je connais ?
– Je ne crois pas.
– Et tu l’as vraiment eue ? Eue, eue, eue[13]?
– Oui, comme tu as eu ton mari hier soir, comme toi tu as été eue par lui.
– Il est vraiment D.J[14]?
– Plus que ça. Il est proprement M.C[15].
– C’est un JeViens[16]?
– Non c’est un JeReste[17].
– Quelle chance ! Ainsi vous vous verrez souvent.
– Et oui, et en plus il m’a promis de me marier[18]. Et ceci n’a certes rien à voir avec cela mais ainsi nous serons comme un homme et une femme, et nos nuits seront plus belles que vos jours, et nous apprendrons la meilleure façon de marcher sous 37°2 le matin, et nous danserons sous la pluie, et peut-être que nous ramasserons les feuilles mortes à la pelle, et vieillirons ensemble tout en nous disant que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.
Mohamed Toihiri,
Écrivain, professeur de littérature à l’Université des Comores.
N.B : Les mots notés de 11 à 17 (lire les définitions ci-contre) m’ont été soufflés par Bébé la vision, je veux parler de celle de Mitsudje.
[1] Se promener, se distraire, se payer de beau temps, en général entre amis ou en amoureux.
[2] Promenade, distraction, plaisir, prendre du bon temps.
[3] Des fesses redondantes, des croupes insolentes et frétillantes.
[4] Être affecté à un poste important de la haute Administration, ou d’une société d’État.
[5] Ministère où officie le premier ministre, le Matignon ou le 10, Down Street comorien.
[6] Ecole Privée.
[7] Aux Comores, quand on dit d’une fille ou d’un garçon qu’elle ou qu’il est trahi(e), cela veut dire automatiquement que le garçon ou la fille avec qui elle ou il était fiancé(e), l’a quitté(e) pour un ou une autre.
[8] Être victime d’un coup d’État c’est quand une fille ou un garçon vient vous prendre votre fiancé(e).
[9] Avoir de l’esprit, de l’humour, de l’ironie, bref de la répartie.
[10] Sa main droite, sa meilleure amie, son lieutenant, son homme ou sa femme de confiance.
[11] Un secret à te dire, une révélation à te faire.
[12] Un beau gosse.
[13] Ici avoir a un double sens : le premier sens c’est vraiment avoir, donc avoir couché avec la Vision, qui est le beau garçon, mais quand on dit qu’une fille a été eue par son mari, cela veut dire qu’elle était vierge à sa nuit de noces, sinon on dit qu’elle n’a pas été eue.
[14] Très beau et très branché.
[15] Plus que beau, plus que branché.
[16] Un Comorien de la diaspora, surtout de celle vivant en France.
[17] Un Comorien qui habite le pays.
[18] M’épouser, se marier avec moi.