Journée Maore 2025 Une flamme se consume

Drôle d’atmosphère lors de la célébration de la Journée Maore, ce 12 novembre. D’un côté, il y avait l’espérance d’un changement et trois mille petites voix entonnant l’hymne national. De l’autre, des adultes rongés par la culpabilité d’avoir renoncé au rêve archipélique.

À l’heure du cinquantenaire de l’indépendance de l’archipel, la seule gloire à laquelle peut prétendre le Comité Maore est d’avoir contribué à instaurer une journée de mémoire contre l’occupation française de Mayotte. Unique moment désormais, où l’on parle des masiwa mane, en référence à l’admission des Comores indépendantes aux Nations unies. Pour le reste, le bilan de vingt années de célébration de la Journée Maore vient sanctionner les renoncements de la classe politique, quant à l’idée même de défendre une souveraineté. L’épuisement du Comité Maore se fait sentir. Ses membres se laissent gagner par l’entre-soi, incapables d’envisager la moindre alternative.

Le constant est accablant, reconnaît même Idriss Mohamed Chanfi, l’ancien président du Comité Maore, dans de récentes déclarations. L’orientation stratégique prise par la direction de tendre la main à la nouvelle génération résonne comme un aveu. L’impasse menace. Le besoin de se renouveler l’exige, également. Les trois mille élèves invités à entonner l’hymne national au Palais du peuple ne pouvaient toutefois pas s’imaginer célébrer le pays défait et combler de leurs voix innocentes cinquante année de renoncement de la part des aînés. On aurait pu mesurer l’espoir contenu dans cet élan, si l’étendard tenu entre ces jeunes mains n’arborait pas toutes ces nuances, renvoyant chaque habitant de cet espace à son insularité. Cette Journée Maore a été celle de tous les paradoxes.

Dans la cour du Palais du peuple. À l’intérieur avec le président Azali. La veille sur la Place de France avec l’ambassadeur de France, assis entre la Maire de Moroni et le ministre de l’intérieur.

La tutelle n’a pas seulement aliéné la capacité de l’habitant à résister au démantèlement à l’œuvre. Elle a rendu le Comorien insensible à son propre destin. Il fut un temps où la représentation française à Moroni sacrifiait aux usages du jeu diplomatique, y compris dans les pires moments de déstabilisation de l’archipel. Ses ressortissants et les bi-nationaux pouvaient se retrouver alors dans l’enceinte de la place de Strasbourg (adresse de l’ambassade) pour célébrer des faits d’armes. Mais la coopération officielle honorait toujours le protocole, en passant par les services et organismes, habilités à accompagner leur action. Aujourd’hui, la France affiche un comportement offensif en la matière. Une attitude qu’elle ne pourrait sans doute pas soutenir sur le Continent proche, vu la situation tendue actuelle en Afrique de l’Ouest.

À Moroni, elle agit comme en terrain conquis, sans qu’aucune voix ne s’y oppose. Comme si elle voulait montrer à peu de frais qu’il existait une terre où il était encore possible pour elle de mener sa politique. Les Comores ont toujours été un laboratoire de ce point de vue-là. Le 11 novembre, c’est la fanfare de la gendarmerie comorienne, qui était invitée à interpréter la Marseillaise dans les murs de l’Ambassade de France, en commémoration de l’Armistice. Le lendemain, c’est la Place de France, lieu symbole de la colonisation dans l’archipel, qui accueillait la cérémonie officielle de l’hommage aux soldats tombés pour la France contre l’occupation allemande. Il y a quelques années, sur ce même lieu, un hommage aux morts du Visa Balladur, a été purement et simplement interdite et les organisateurs dispersés de force par le préfet du centre et la gendarmerie comorienne. Le paradoxe veut que ce soient les Comoriens eux-mêmes qui défendent les positions françaises.

Un aperçu de ce phénomène : une conférence avec les étudiants à l’Université des Comores sur l’occupation de Maore, la veille de la Journée Maore, s’est vue déprogrammée ce 10 novembre. Les organisateurs ont été obligés de la déplacer vers le Palais du peuple à Hamramba, au dernier moment. La raison du désistement ? Un manque de salle. Ce qui révèle en creux les effets aliénants du soft power à la française. Les responsables de l’université préfèrent ne pas accueillir une initiative pouvant offusquer le partenaire français. D’aucuns se souviennent pourtant de l’incident provoqué par le député français Said Ahamada, venu défendre auprès des étudiants, au début du bal du cinquantenaire, l’intérêt du démembrement archipélique. Il valorisait de fait l’occupation de Maore. Le rectorat de l’université a su lui ouvrir ses portes, au risque du scandale, avant de rétropédaler, mais n’a pu s’empêcher de renvoyer la rencontre prévue par le Comité Maore pour une simple histoire de salle.

Les intervenants lors de la conférence du 12 novembre au Palais du peuple.

Ce n’est pas la première fois que des établissements publics ou privés renoncent à recevoir des événements, sous prétexte qu’ils mettent en cause la présence française dans l’archipel. L’État français aux Comores n’admet pas de se voir en puissance occupante ! Combien de personnalités publiques évitent d’être aperçus dans des actions questionnant cette présence française ? « Comment condamner la France, lorsqu’elle finance les projets du pays et prend en charge les associations de jeunesse ? » interroge une collégienne, lors d’une conférence sur Maore à Mitsamihuli. La réalité coloniale ainsi ramassée fait réagir Youssouf Moussa, l’invité de cette dernière conférence du Comité Maore. Sa tirade en dit long : « l’influence française est autant présente ici (dans le reste de l’archipel) qu’à Maore » déclare-t-il. De quoi se poser la question : 50 ans d’occupation du territoire auraient-ils suffi à aliéner la conscience d’un pays et à éradiquer toute résistance à la domination coloniale ?

Le Comité Maore, qui a désormais ses entrées à Beit-Salam, semble croire encore à un réveil, sur le plan diplomatique. Il est vrai que concernant la question de Mayotte, le président Azali a appris à souffler le chaud et du froid, au gré des circonstances. À la dernière Assemblée générale des Nations unies, à défaut d’orienter les débats sur l’intégrité du pays, il a trouvé les mots pour condamner les comportements de la police française aux frontières à Maore, suite aux révélations de la presse européenne, documentant les opérations de la PAF contre les barques transportant des Comoriens vers Maore. Où étaient l’opposition face à ces révélations ? Où étaient les défenseurs de la souveraineté ? Où sont passés les avocats de la cause comorienne ? La tentative française d’intégrer Mayotte à la COI lors du dernier sommet à Antananarivo a été in extremis suspendue, à la demande de Moroni. De quoi faire croire au Comité Maore qu’il y a là une opportunité diplomatique à saisir. Et pourtant le président Azali, présent pour la première fois dans une cérémonie de la Journée Maore, ne fait pas mystère de son alignement sur la géopolitique française.

L’offensive française, positionnant Mayotte comme acteur d’une diplomatie économique et culturelle dans la région et dans les pays de l’Afrique de l’Est, n’a pas l’air de déranger de ce côté-ci de la rive. Des partenariats en matière de police maritime ciblant le déplacement des waMasiwa trouve du renfort parmi les services de police et de gendarmerie comoriens. La perspective des prochains jeux des Iles aux Comores préparerait l’édition mahoraise, lit-on dans des documents officiels français. Dans son discours à la Journée Maore, Azali restait, lui, ambivalent. « Narisayidie eziritsanganyao, rirenstsi ezirimanisao », disait-il, en lâchant ces mots âpres : « Ne comptez pas sur moi pour mener la guerre à la France ! »

Kes

Certaines des images nous viennent du site de Hayba.