Le verbe de Sadani Tsindami

Hamouro, Moroni et… lui. Ou quand le maire d’un village à Maore brûle des cases de comoriens, étiquettés « clandestins. Originaires d’Anjouan, ces derniers faisaient tous partie de l’horrible manipulation, qui tente de faire de Mayotte un paradis français menacé par les ex-îles soeurs. Dans la même période, les treillis ouvraient le feu à Moroni sur la population en marche vers la présidence avec Abdou Soule Elbak à sa tête, sur l’île de Ngazidja. Droit piétiné, respect de la personne inexistante, la haine des « comoriens » qui passent en fraude sur l’autre île et les querelles mdjidjengo/union tournent au massacre… Histoire d’îles. L’auteur, poète, racontait là un pan de vie de l’archipel. Publié le le 23 janvier 2004 sur le site komornet, son texte est écrit peu de temps après cette tragédie de Hamouro et la fusillade de Moroni. Pour en savoir plus, lire les archives de la presse, à commencer par celles de feu mwezinet et masiwanet, aujourd’hui rangés dans des grottes inaccessibles. En attendant, savourez la salve du poète…

Selon la théorie aristotélicienne, l’expulsion des avatars de soi, le rejet d’une partie du moi indésirable, se traduit par une catharsis. Le drame se dénoue doublement par « la purgation » du héros tragique et par la compassion du spectateur, préparé à exprimer ses émotions ainsi. C’est-à-dire qu’à un moment la trame s’arrête, la trajectoire aussi. On est au théâtre. La psychanalyse a adopté le même modus operandi, pour exterminer les lourdeurs mentales, en faisant bavarder l’aliéné jusqu’à la remontée totale des merdes qui obstruent l’esprit.

Une autre méthode eut cours au moyen-âge occidental, où l’on brûlait les « sorcières », celles à qui l’on attribuait des pouvoirs occultes, irrationnels, mais qui, surtout, dérangeaient la platitude d’un parchemin quasi définitif. Brûlées, ces femmes fatales, pas étranglées, noyées, écartelées ou garrottées, pendues, non, brûlées brûlées, comme à Hamouro…. un matin de ramadan!

Sur une autre scène du monde, plus modeste et néanmoins pareillement douloureuse, la catharsis se fait au travers d’une cérémonie éthnopsychanalytique, qui verra « le malade du corps », le possédé des djinns, subir l’extraction du venin mental en des contorsions et des langues nouvelles, les langues usitées par l’invisible nous-mêmes qui nous habite. Lorsqu’il est malgache ou d’origine d’outre-mer, c’est Djinn bahari et il craint le rumbu. Lorsqu’il est de l’espèce d’un cannibale africain, sorti de ses forêts malfaisantes et des jungles méconnues, Ngoma Madjini, chants de dénonciation et de supplication, pour le chasser de nos soucis domestiques et de nos rémanences paganistes ; Qu’il rejoigne ses broussailles et bouffent plutôt les bêtes sauvages, au lieu de nous faire iech, maigrir, chourave notre sommeil et nous priver de notre quota de chance, écrit sur le même parchemin…

Caméra 1 / Zoom et plan large sur site / tentative d’analyse.

À Hamouro, seules les cases ont cramé certes, mais ce sont des cases symboliques. C’est l’architecture qui nous lie entre nous, Comoriens. Nous nous reconnaissons non pas par la langue, les rites, les us et coutumes, la religion et les joies simples de nos danses, mais par ces cases en bord de mer, ces rudimentaires architectures d’une culture sans territoire, ouverte à la mer, rangu Ngazidja hata Maore et ce… rangu djana hata leo.

À Hamouro, les maorais ont honni la langue, les rites et les festivités bantoues, pour se couler dans le moule putride de leurs usurpateurs gaulois (« Nos ancêtres… les menteurs» dixit l’un d’eux).

Hamouro en feu à l’époque. Une émission à Moroni sur le drame.

Les gens de Bandrele sont français, ils le claironnent, le démontrent et en sont fiers. Ils accueillent des petits bruns de Carcassonne, des petites chipies de Mayenne et des gros et fades colons d’île-de-de France, comme des messies distribuant RMI-RMA et coups de trique à la conscience nationale. Ils malmènent leurs frères et sœurs, au nom de la République et de ses lois, au nom de la France dont ils sont fiers, comme quoi, dans l’Archipel, on a tout intérêt à sentir le cabri mort et à arborer l’onomastique des Dupont-la-joie !!!

Hamouro, le lieu du feu ! Moro ! Hamouro a oublié les joies simples de nos danses de dénonciation, et c’est pourquoi le vieux pagne d’un vieux monsieur s’en va, crépitement de feu, vers une mer en déroute, une mer grillagée, gorgée de sang et de cendres, direction Anjouan.

Moro ! Mdro ! On attise donc le feu…

Sur une scène du monde, rikiki et pas encore complètement noyée, lorsqu’un feu, qui n’a pas odeur de foyer à trépied, dépasse le toit de chaume de nos cases multiséculaires, une voix s’élève dans le voisinage et comme un cri de ralliement, l’on entend de par les villages le brouhaha frénétique des hommes dans l’urgence, car le feu a pris quelque part et avec nos seaux et nos bras, sus à l’incendie ! En communion et dans une pagaille providentiellement efficace, les larmes de Satan ne font pas un pli. En moins de deux, nous éteignons le feu, puis nous nous demandons : « ‘Kapva djapva Mdru ? ‘Kapva djafa Mdru ? Inna’li’llah ! »

Hamouro, lui, met le feu à son kandzu (s’étonnera de l’odeur de chair meurtrie, du corps de son propre cœur) pour faire place aux expatriés de l’Education Nationale française, aux légionnaires, aux grosses madames de petite vertu, venus pour un farniente colonial, défier la vertu et leurs comptes en banque, aux escrocs maquillés par la République, à leurs boys washikomori, leurs nounous washingazidja, leurs maîtresses washimaore et aux chiens rachitiques, bien qu’excellement nourris, qui polluent notre île et ses baies, pour un bal au bord de l’eau, comme au bordel, et à l’abri des baobabs. Les dimanches ensoleillés…

VULE ! On pique-niquera désormais, et plus encore si affinités, sur la plage de Hamouro. Et lorsque je dis « on », ne pensez surtout pas à nous, comoriens, à qui cette île appartient et à qui reviennent les couleurs de ce lieu, les douleurs de ce pays, mais, Ô rage, aux blancs d’Europe, de Lettonie, d’Espagne, de Paris ou d’Estonie… à la suffisance SHENGENIENNE.

Nous Comoriens, nous sommes les Palestiniens de l’Océan Indien… à Mayotte !

Petite histoire.

Hamouro avait déjà abandonné – sous la bienfaisance de ses maîtres blancs – la mer et ses murmures réconciliatrices, celles qui apportait des nouvelles d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande île. Hamouro s’était résigné aux hauteurs oncogènes de SIM, leur nouveau village, pompeusement topographié par les experts coloniaux comme une extension du domaine du bonheur… Alors pourquoi, MMadi, maire de Bandrele, a-t-il en plus réveillé les démons des sultans batailleurs ? Ye mfa Mna MMadi, tsi ya riuwa !!!

Zoom 2. Moroni, un matin de Ide’l’Fitr. Le vert des bérets hoplites côtoient les manguiers alourdis de fruits en gestation. Les roussettes aux amours infinies se marrent, chiant des fleurs jaunes sur nos têtes. Les marchands de rue se déplacent comme des éclopés à l’approche de la soldatesque. En face, fringués comme des yémenites, la djambiya en moins et le khat remplacé par le paraki, des hommes marchent tête haute vers l’armée nationale de dévoiement. AND ! Feu ! Un autre cri. Feu ! Oui mon colonel ! Feu !

Lors d’une célébration sur la place de l’indépendance à Moroni.

…Et le feu fut ! …Et des salves, telle une marée de salive, lorsque les querelles se font vives, pleuvent sur les hommes oublieux de leurs obligations de soumission.

Où donc iront panser leurs blessures, ces wandr’waze, ces bakokos ahuris, mitraillés par leurs fils. Où donc se cache Virgile, pour faire porter sur nos épaules, les espoirs d’une nouvelle vie ? Ils iront à Mayotte… Et les pyromanes se feront pompiers ! Ils iront à Paris… Et les miliciens se feront patriotes. À Hamouro comme à Moroni, nous développons le sens grégaire de notre héritage historique, bikoz, nous avons de nos ancêtres la haine facile et le mépris au bout du nez. À Moroni comme à Hamouro, ce sont des parades musclées dans l’affront des suffisances qui déclinent des identités chamboulées par les années de braise…

Zob !

Encore une petite histoire politique…

Hal’a hilele ! Il y eut une époque, pas si lointaine que ça, puisqu’en vous en parlant – démiurge et testimonial – je puis affirmer avoir vécu tout ça, les révolutionnaires des facs avaient pris en grippe un homme de notre île : ils l’ont surnommé Mnamadi. Par ricochet, ces mêmes révolutionnaires, parmi eux nos parents ou nous mêmes – c’est l’invariant de notre schizophrénie insulaire – acquirent le sobriquet de Wana Issa ! À cette époque, pour exorciser le mal, le feu fut mis à la vraie révolution (celle-là) par les pères et frères de nos révolutionnaires à l’accent de Villetaneuse. Au bûcher, Ali Soilihi ! Et Mongozi eut sa tête rasée, scalpée par les amis de nos pères !

Au bûcher, MMad’ Abdallah ! Et nos pères eurent la poitrine déchirée par les protecteurs de nos pères, comme on « ouvre » les tortues ! Au bûcher, waNdzuwani ! Et nos jeunes se décharnent dans le même tissu bleu-blanc-rouge, jadis hissé sur les terrasses de Mutsamudu ! Linceuls errants ! Au bûcher, les ministères ! Et nos frères, à l’ombre de leurs remords, regrettent quand même les incendies qu’ils n’ont pu allumer… Au bûcher les Comoriens ! Et les bouchers aiguisent dans les antichambres de l’antinational les grands coupe-coupe qui ne trancheront qu’eux-mêmes ! Au bûcher ! Au bûcher !

Les amis, nous avons la méthode, mais nous manquent les moyens pour faire de cet archipel, une villégiature, préludant notre arrivée en enfer. Nous brûlons ce que nous n’aimons pas voir pour protéger ce que nous avons pu avoir, de la douane, de la France ou de la magistrature suprême ! Nous sommes les incendiaires de l’Histoire, de nos révoltes, de nos jouissances, sans y mettre les formes, qui seraient, dans une symbolique grandiose, de déterrer le roi Salomon et sa reine Balkis, reine des sables, en creusant des sillons sur les flancs du volcan, et disciplinés comme des zouaves en kaki marocain, nous aligner sur le chemin du Karthala en liberté. Pour une pétrification qui nous ferait devenir terre (tu es né poussière et te voila pierre de lave) !

Moi :

…Que la mer monte et que j’aille mourir où elle m’emporte, loin d’ici, loin de cette terne terre violée !

Sadani Ntsindami,

23 janvier 2004.