Les histoires de Mfalume Mtsambu

Paru dans le n°3 de Mwezi Mag, cet article dresse un constat. Depuis bientôt un an, l’Union se vit dans la tourmente. Pas la période 
la plus exceptionnelle que le pays ait jamais vécue, mais une période sombre, durant laquelle les partisans du droit s’inquiètent du pire. L’avenir nous le dira ou pas, mais les témoignages abondent sur les réseaux sociaux, où le débat se focalise notamment sur la légitimité ou non des élus de la nation.

Un constat que personne n’avance, et qui, pourtant, résume la situation : celui de la démocratie en crise dans une société jalouse de son passé consanguin et autocentré en matière de pouvoir. Les Comoriens se montrent méfiants à l’égard de leurs élus. Intrigues, suspicions, indignations et confusions génèrent des tensions. Où l’on se rappelle le temps de Mfalume Mtsambu. Une institution populaire, à une époque où le sultanat n’existait pas encore sur la petite île. Un autre mode de gestion politique que l’avènement de Ramanetaka sur le trône fera disparaître…

« Les habitants de Mwali se rassemblaient à l’ombre d’un sagoutier pour régler leurs a aires. Des gens issus des cinq composantes de l’île », confie Salim Djabir, sociologue. Les habitants de Mwali se réclamaient ainsi d’un système rassembleur, évitant les querelles  en politique, dans la mesure où les décisions, prises au sommet par les représentants de la communauté, étaient attribuées à ce personnage rendu emblématique. Le sagoutier, connu sous le nom fameux de Mfalume Mtsambu. Une sorte de totem politique, solidement ancré dans l’imaginaire de l’archipel. Un arbre dont la culture exige de la patience et de la sagesse. Le sagoutier incarne par sa solidité la force et la longévité.

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Le schéma était on ne peut plus simple. Il se produisait un regroupement de toutes les couches sociales, associant les personnes d’influence (régionaux, coutumiers, magico-religieux, etc.) à un même niveau d’égalité, dans un endroit secret, où les intérêts de la communauté étaient exposés dans leur complexité, sans retenue. Dans le cercle convié, explique Djabir, « il y avait trois catégories principales. Il y avait là des gens de la coutume (wandru wa mila na ntsi). Des sorciers, des gens maîtrisant le savoir de la nature (îlimu dunia). Des chefs religieux (mazehu ya dini). Issus des cinq composantes régionales (djera) de la communauté d’île. Ces gens allaient s’asseoir à l’ombre du sagoutier pour discuter du Mwali dans son ensemble ».

« Quand ils terminaient leur conciliabule, ils retournaient dans leurs cercles communautaires et s’engageaient surtout à dire que c’est le mtsambu qui leur avait dicté de faire telle chose ou pas, au nom de tous, et pour éviter les mésententes. Car la question était de savoir pourquoi ceux de Djando nous obligeraient à aller dans un sens et pas ceux de Niumashua. On disait que c’était la volonté du Mtsambu. C’était comme ça que se vivait Mwali à l’époque », souligne Djabir. « Le règne de mfalume Mtsambu était effectif, parce qu’il était synonyme de démocratie. Entre les cinq composantes communautaires de l’île, il y avait une entente réelle, et les décisions étaient collégiales ». Nul au sortir de l’assemblée ne devait dire de qui émanait la ou les propositions débouchant sur une action. Cela, afin d’empêcher intrigues et suspicions de défaire les groupes constitués, au nom du destin commun.

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Salim Djabir.

Une manière habile de préserver la cohésion sociale, et l’impartialité des décisions prises lors de cette assemblée. « Appréciez ce principe ! insiste Djabir. A l’ombre du sagoutier, ils faisaient leur affaire, et ils allaient ensuite annoncer la volonté du mtsambu, et non celle d’une personne, importante soit-elle, de la communauté ou d’un village ». Loin d’être dupes, les habitants de Mwali s’imaginaient bien que Mfalume Mtsambu n’était que cet arbre séculaire à l’ombre duquel se nouaient parfois de petits arrangements entre gens de pouvoir et représentants de la plèbe. Mais ils le considéraient comme le moyen ingénieux de s’extirper des querelles d’autorité et de compétence, autorisant les négociations les plus âpres, au sens politique du terme, sans fragiliser les équilibres de pouvoir. Mtçsambu refrénait l’arrogance des uns et le mépris des autres, en forçant les représentants missionnés (les élus) au respect du vivre-ensemble, à une époque où le concept de pouvoir central n’existait pas dans cette partie de l’archipel. « Cette idée à Mwali est venue sur le tard. Fomboni n’a jamais été une cité-Etat, au sens où on l’entend », pense Salim Djabir.

Une victoire certaine pour les habitants de l’île, puisque cette assemblée, représentative de leur diversité, l’emportait sur les velléités de pouvoir de quelques-uns. Mfalume Mtsambu était assurément le lieu d’une utopie collective. Il ne venait à l’idée de personne de contester la mesure et le sentiment d’équité, régnant à l’ombre du sagoutier. Mtsambu était synonyme d’une démocratie à l’horizontale, au sein de laquelle les ambitieux apprenaient à être loyal envers leur communauté et à consolider leur sens du devoir, en étant humble. Evitant l’embrasement et les passions inutiles, Mtsambu figurait une sorte de collège des sages avant l’heure, noyant les egos et les prétentions des représentants élus dans les racines du sagou. Et tout le monde de s’exclamer : « Si Mfalume Mtsambu l’a dit … »

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Dans une sortie datée du 15 mai 2019, le Collège des Sages – institution reconnue d’utilité publique, et dont le rôle est de veiller à la cohésion sociale et au vivre-ensemble – par un texte signé de son président, Damir Ben Ali, insistait sur un moment important de l’histoire contemporaine. Celui du serment prêté à la zawia shadhulii de Moroni en 1956, pour sceller la réconciliation de Saïd Mohamed Cheikh et du prince Saïd Ibrahim, devant tous les représentants politiques de l’archipel. « Lorsque notre communauté nationale, relève Damir Ben Ali, anthropologue et historien, fait face à une crise si violente dans […] nos relations, sociale, culturelle, politique, et même dans nos pratiques cultuelles, nos guides sur la voie de la foi en Dieu, nos intellectuels et nos cadres techniques et politiques se rassemblaient dans les mosquées pour prier ensemble et demander pardon au Créateur […] ils enterraient la hache de guerre et se pardonnaient mutuellement. Ceci permettait d’oublier les propos incontrôlés, les comportements irresponsables et ouvrait la voie vers un dialogue franc et constructif dans l’intérêt du pays ».

Tout en se réclamant du sacré, Mfalume Mtsambu, lui, misait davantage dans une geste humaine, où les habitants de cette île, même s’ils attribuaient leurs décisions – situation qui peut paraître absurde de nos jours – à un arbre, reconnaissaient pertinemment leur responsabilité collective dans la gestion de ce monde. Mais il est un point défendu dans la déclaration du Collège des Sages que Mtsambu n’aurait certainement pas renié : « Notre histoire sociale et politique nous a appris que tout conflit, quel que soit sa nature, se règle par la mobilisation, la concertation et le dialogue ». Ainsi se surprend-on à imaginer, contre « l’anarchie » et le « chaos » que redoutent les Sages de l’année 2019, l’avènement d’un sultan Mtsambu new-âge, dont la grandeur ne ferait pas oublier la responsabilité du citoyen dans le naufrage que d’aucuns se contentent d’énoncer, aujourd’hui. Car comme le signifiait un jour ce fou du Sud-Bambao : « mnyezi mngu woi/ mtsitso mriha/ hata mum’sisi idjongo ». Force est de reconnaître que la petite île était en avance sur ces questions de démocratie représentative…

Soeuf Elbadawi

Pour télécharger le n° 3 du Mwezi Mag d’AB Aviation, d’où est extrait cet article, cliquer ici: MWEZIMAG#03.