Chebli et ses promesses

Entretien accordé par Chebli Msaidie à l’occasion de la sortie de son album Promesses (Next Music). Enfant de la diversité, l’artiste revendique plus que jamais son ouverture au monde. Armé de convictions, il prône la paix et rêve d’une jeunesse plus consciente face aux tribulations du monde politique. Interpellé par la situation actuelle des Comores, il pense que les artistes peuvent user de la place accordée par les médias pour faire avancer le débat. Promesses confirme la pluralité de ton contenue dans le précédent. Le mélomane comorien sera probablement surpris à l’écoute des morceau Shaya na m’bere et Sambe, clin d’oeil inattendu au patrimoine. Il sera également surpris par la dimension expérimentale d’un artiste pourtant classé sous influence twarabu. Ayant bénéficié de plus de moyens cette fois-ci, Chebli semble avoir voulu élargir un peu plus son audience. Citons au passage sa collaboration avec Jacob Desvarieux et Sam Mangwana sur deux titres. Un album à découvrir. Publié une première fois le 15 avril  par feu Komornet – premier site comorien d’information culturelle et citoyenne, aujourd’hui disparu – cet entretien garde toute son acuité.

A l’écoute du premier et du second album, on peut affirmer sans crainte de se tromper que vous vous inscrivez totalement dans la mouvance world 

Même si je n’aime pas ce terme de world music, je peux dire que je m’inscris effectivement dans cette mouvance. Je préfère plutôt l’expression « musiques métisses », du fait que je viens d’un pays très métissé. Ma musique se situe entre l’Afrique et l’Occident, grâce notamment à mes rencontres. Puis, il y a le fait que je vis entre l’Europe et le Continent, entre Paris et les Comores, entre ici et là-bas. 

Venir des Comores, c’est aussi se revendiquer d’une diversité sonore assez complexe, qui se situe au-delà de l’Afrique et de l’Europe. Est-ce que cela influe sur votre façon d’écrire la musique? 

Enormément ! Parce que le fait d’écouter autant de musiques différentes, dès son plus jeune âge, vous marque, indiscutablement. J’ai commencé par l’école coranique, où je chantais les qaswa-ides[1] tous les jeudis. J’attendais avec impatience le retour de mon père tous les vendredis soirs pour savoir avec quel style ou quel nouveauté de sons il allait revenir. Car il avait toujours une musique à faire découvrir. Chez moi, on écoutait du twarabu, de la rumba congolaise, de la musique noire américaine et tout un tas d’autres musiques. Tout ce que mon père écoutait pour son inspiration sur le plan musical. Car il composait beaucoup. Ma musique vient de ce que j’ai et de ce que j’écoute, en ce moment. Je dis souvent que j’inscris mon passé, mon présent et mon futur à travers mes compositions. Donc d’avoir baigné dans cette diversité joue certainement dans ma façon d’écrire.

En parlant du patrimoine musical comorien, est-ce qu’on en retrouve des traces dans votre répertoire actuel ? 

Ceux qui connaissent bien les Comores comprennent ma vision artistique. Les rythmes joués au pays sur du tari[2], par exemple, je les rejoue sur une batterie. Je peux faire un son de twarabuavec une simple guitare acoustique. Alors que traditionnellement, on le joue avec du luth, du violon, de l’accordéon et beaucoup de percussions que l’on retrouve en Afrique de l’Est. Si je reprends une chanson traditionnelle, je le fais avec une vision plus personnelle, liée à mon expérience de la pratique musicale. Les Comores ne sont pas très connues, mais quand je chante, mes mélodies ramènent les gens à l’histoire du pays.

Pourtant, nombre d’artistes comoriens préfèrent bien souvent composer du zouk ou jouer du reggae, plutôt que de s’inspirer de la tradition. A quoi attribuez-vous ce phénomène? 

Je pense qu’ils font ça, parce qu’ils aiment ces musiques. Maintenant, je crois qu’ils n’imaginent pas du tout la façon de fonctionner du monde musical à l’extérieur du pays. Il est plus facile de réussir quand on défend sa propre culture que lorsqu’on copie les autres. On ne me posera jamais la question de savoir pourquoi je fais de la musique comorienne. Par contre, on voudra toujours savoir pourquoi je fais du reggae ou du zouk. En faisant une musique très proche du pays, je fais découvrir un nouveau son au public. Alors qu’en imitant ce qui se fait ailleurs, je ne fais pas avancer les choses. Je pense que l’artiste est là pour apporter un message. Et pour que ce message reste, il est important que la forme choisie rejoigne le fond. En musique, il y a la mélodie et le rythme, qui permettent d’embellir les paroles. C’est un tout. C’est donc important d’innover et d’inventer quelque chose d’inédit.

De quoi parle cet album?

Je parle de la vie en général. Mais je parle surtout de la jeunesse. Dans nos pays, 60% de la population sont des jeunes de moins de 25 ans. C’est avec eux que l’on devrait construire l’avenir. Mais c’est à eux qu’on prive de parole. On ne les écoute pas. On ne leur donne pas les moyens d’exister. Ils subissent toutes les injustices du monde. Les pseudo-démocrates africains ont d’ailleurs intégré cette donnée. Ils promettent plein de choses aux jeunes, les manipulent. Ce qui m’énerve, c’est lorsqu’ils vont jusqu’à utiliser la religion et le discours ethnique pour arriver à leurs fins. Donc on retrouve dans mes textes tous ces sujets, qui, aujourd’hui, font l’actualité en Afrique et dans l’Océan Indien.

Y a-t-il des compositions qui parlent beaucoup plus de la réalité comorienne sur cet album? 

Il y a Shababi. Une chanson qui s’adresse à la jeunesse comorienne par rapport à ce qui se passe actuellement dans le pays. Mais il n’y a pas que les Comores, il y a aussi une chanson qui s’appelle Salam, qui signifie « Paix », dans laquelle je dis qu’on peut arriver à la paix par le dialogue. En donnant les exemples de Mandela, de Gandhi et de bien d’autres qui ont privilégié la parole aux armes. De toutes façons, ce qui se passe aux Comores, se retrouve aussi ailleurs. Ce sont les mêmes problèmes qu’on retrouve aux Balkans, en Afrique centrale ou en Amérique latine. C’est l’histoire de gens assoiffés de pouvoir, qui sont prêt à tout pour arriver à leurs fins. Je parlerais d’universalité dans les sujets choisis.

Le pays se situe justement à un tournant important de son histoire. Il doit se choisir une nouvelle destinée, à travers laquelle le risque d’un séparatisme définitif entre les îles demeure. Qu’en pensez-vous? 

Je ne connais pas assez le projet constitutionnel de l’Union des Comores pour avoir un avis définitif. A la première lecture, je le trouve un peu compliqué. Mais je pense que la République Fédérale Islamique des Comores a fait son temps. Parce qu’il n’y a jamais eu de fédéralisme et qu’on avait besoin de porter le drapeau de l’islam pour montrer qu’on est vraiment musulman.

On a l’impression que les artistes comoriens se désintéressent souvent du politique. Comme si ce n’était pas si important… 

Personnellement, je ne fais pas de politique. Je ne suis ni partisan, ni opposant. Je ne fais confiance à aucun de nos hommes politiques. Et je ne m’interdis aucune prise de position. Je me sens libre. Maintenant, nous avons un avantage en tant qu’artiste. C’est l’accès aux médias. Ce serait bête de ne pas s’en servir pour faire avancer le débat.

Vous vivez depuis 17 ans en France. N’êtes-vous pas un peu déconnecté de la réalité de l’archipel ? 

Vous savez… Je m’intéresse beaucoup à mon pays, parce que ma famille est là-bas. Mon album s’appelle Promesses. C’est surtout la promesse de ne pas oublier d’où je viens. Donc je me tiens courant de ce qui se passe là-bas, régulièrement. Et je ne suis pas du tout déconnecté.

Que peut un artiste face au délitement d’un minuscule archipel perdu dans l’Océan des mers du Sud? 

C’est d’aller vers l’avant et d’être un exemple pour ceux qui l’entourent ou pour les plus jeunes. Je prends l’exemple de ma musique, je sais que ce n’est pas ce que l’on écoute tous les jours aux Comores. Mais les Comoriens sont très fiers de savoir que ça marche pour moi à l’extérieur. Quand on est nominé aux Kora[3] ou quand je joue dans de grands festivals, c’est une occasion de montrer les Comores positivement.

Vous avez choisi de chanter dans votre langue. N’y a-t-il pas le risque de se fermer à un public plus large?

Je me considère comme un jeune artiste qui doit défendre sa culture. J’ai un objectif pour l’instant, c’est de mettre en valeur ma langue maternelle. D’aller jusqu’au swahili, dont je me sens très proche, en tant que comorien.

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi


[1] Répertoire de chants religieux.

[2] Percussions.

[3] Victoires de la musique en Afrique.