Ni jugement, ni déni des origines, ni portrait exhaustif, non plus, de la vie d’un créole aux Comores. Juste l’amorce d’un récit, nécessaire à la fabrique des communs. Un questionnement dans la volonté de mieux connaître ce qui lie au présent, lorsque s’effacent, une à une, les traces du passé. Que sont les créoles devenus ? Un texte de Jocelyne Fontaine.
On se rend facilement compte, en observant ce qui se passe dans le monde, que priver un peuple de son passé revient à l’amputer et à l’empêcher de construire son avenir. Afin de comprendre qui nous sommes, de nous construire avec nos particularités et aussi de nous faire accepter par les autres, il est important de connaître notre histoire. C’est avec tristesse que le constat est fait du manque de connaissances que nous avons aux Comores de cette histoire. Peu d’ouvrages existentL L’histoire des Comores est absente des programmes scolaires. Et la transmission orale traditionnelle disparaît peu à peu.
Qu’est-ce qu’un comorien ? Un africain avec des ancêtres arabes, parlant une langue bantoue, ayant grandi dans un environnement où la culture musulmane est prédominante ? Caricatural, non ? Après avoir lu avec amusement quelques commentaires sur les réseaux sociaux – « ptdrr un comorien qui s’appelle Alexandre », « Alors lui, il est pas comorien c’est impossible il est blanc », « t’es comorien donc t’es musulman » – il semble nécessaire de faire une petite mise à jour sur la question.
Mr Toinette, Henri Humblot, Léa Hublot (Coll. privée)
Je vais parler là de ce qui me concerne : les créoles. Oui ! Il y a des créoles aux Comores ! Tout comme nos voisins de Maurice, de la Réunion ou de Madagascar, la colonisation a ramené avec elle son lot… de colons ! Sans rentrer dans l’origine même du terme de « créole » qui fait encore débat, je parle ici de toutes les personnes nées aux Comores de l’union d’un colon avec un local, puis de toute leur descendance.
Allez ! Un peu d’histoire. Promis ! Ce sera rapide. Toutes les personnes nées avec la peau claire ne sont pas forcément d’ascendance arabe. Les Portugais ont engendré des métisses, puis certainement de nombreux autres Européens, qui ne se sont pas établis de façon permanente aux Comores. Ceci changea au 19èmesiècle, lorsque la France établit un protectorat sur l’archipel. Mayotte fut la première des îles à voir s’installer des colons français en 1841. Puis ce fut au tour de la Grande-Comore en 1884. En 1886, le protectorat s’applique aux îles de Mohéli et d’Anjouan. De nombreux colons français s’installèrent à partir de là, originaires de la métropole française ou des colonies voisines, parfois en famille, et parfois seuls.
Parmi eux, deux catégories de colons. Il y a d’abord les employés administratifs ou agricoles, qui ne restaient pas longtemps aux Comores. Ils s’assuraient des intérêts de la France et partaient à la fin de leur mission. Ils travaillaient pour les grandes exploitations agricoles françaises, exploitant alors la majeure partie des terres cultivables, afin de fournir de façon régulière la France en épices de qualité. La culture de la vanille, de la canne à sucre, du cacao, de l’ylang-ylang et autres variétés prit son essor. La deuxième catégorie de colons est celle des travailleurs indépendants, souvent plus pauvres. Venus majoritairement de la Réunion, ils essayaient de démarrer une nouvelle vie, avec leur petit bout de terre et de s’installer durablement dans l’archipel, afin de générer des revenus. Ils apprenaient le comorien et étaient bien acceptés par la population, malgré leurs habitudes très occidentales.
Femmes créoles à Maore (Coll. privée)
On pourrait tout aussi bien évoquer leur rapport au politique, au moment de l’indépendance. Parler des créoles venus de Sainte Marie pour s’installer à Mayotte, principalement. Critiqués pour leur proximité avec les Français d’un côté ou pour leur manque de soutien aux intérêts de la France de l’autre, les créoles on dû prendre parti dans les débats liés à l’indépendance. A Mayotte, ils ont énormément appuyé le maintien de la France sur place. Ils furent d’ailleurs à l’origine de l’UDIM (Union de Défense des Intérêts des Mahorais), au début de la lutte pour le maintien de l’île sous giron français. Le fondateur de ce parti, Georges Nahouda, était originaire de Sainte Marie. A sa mort, c’est son neveu Marcel Henri, élu député de Mayotte plus tard, qui reprit le flambeau. A l’inverse, à Anjouan et en Grande Comore, de nombreux créoles rallièrent la cause des indépendantistes. Bruno Humblot, pour n’en citer qu’un, fut un membre actif du parti PASOCO (parti socialiste comorien), créé en 1970.
Travailleurs, bons vivants…
Il était fréquent pour les créoles de se retrouver, de pratiquer la chasse, de faire des fêtes mémorables, de s’entraider et, parfois aussi, de se marier entre eux. Il en fût de même pour leur descendance. Ils entretenaient de bons rapports avec les Français installés sur l’archipel, eux-mêmes français. Implantées sur les quatre îles, de nombreuses familles créoles y ont aussi vu le jour. A Ngazidja, par exemple, les familles Humblot, Rivière, Toinette, Fontaine, Delapeyre, sont connues. A Mayotte il y a les Montchery, les Giraud, les Henri. Les familles Plaideau et Macluckie à Anjouan… Elles se fréquentaient sur les quatre îles. Très souvent, la langue parlée à la maison était le français et le créole de la Réunion. Le comorien était parlé à l’extérieur. D’origine chrétienne, les enfants de la famille héritaient souvent d’un prénom du calendrier et nombre d’entre eux étaient scolarisés à la mission catholique.
Le métissage pour soigner les maux de la société et apaiser les tensions raciales ? Aux Comores, le « vivre-ensemble » n’étouffe guère les clivages entre les cultures, jadis, rapportées de l’ailleurs, et ce, malgré une cohabitation (en apparence saine) des éléments fondateurs de ce métissage. L’acceptation des créoles par la majorité de leurs concitoyens n’a par exemple pas été facile. Ni blancs, ni noirs, ils ont pour beaucoup été victimes de brimades, de moqueries et d’insultes et ont très tôt dû quitter le chemin de la scolarisation. C’est parfois encore le cas, aujourd’hui. L’union d’un comorien avec un créole a trop souvent révélé l’ampleur des différences subsistantes. Beaucoup de femmes comoriennes, qui, par amour, ont défié leurs familles, en épousant un créole, ont été déshéritées. On ne leur a jamais pardonné d’avoir bafoué des règles et des valeurs culturelles établies.
Bruno Humblot.
Une vraie communauté créole a ainsi perduré aux Comores jusqu’en 1975, date de l’indépendance pour Ngazidja, Mwali et Ndzuani. La majorité de ces familles sont venus s’installer en France après 1975 dans un pays qu’elles ne connaissaient pas ou très peu, redoutant la période post-coloniale. Nombreux sont ceux qui ne sont jamais retournés au pays. Par appréhension ou par peur du jugement. Ils se sentent cependant tous Comoriens et fiers de leurs origines. Pour ceux restés aux Comores, ils vivent leur vie, souvent de manière réservée, avec comme n’importe quel autre Comorien des rêves de développement et de croissance pour les leurs.
Par habitude ou par volonté de se démarquer, l’utilisation de prénoms français a continué de se généraliser dans ces familles, même après la conversion à l’islam de bon nombre d’entre eux. De même, ils ont gardé certaines pratiques, très occidentales, au quotidien. Cependant, la culture créole aux Comores tend à disparaitre sur les trois îles devenues indépendantes, en se mêlant aux autres pratiques culturelles courantes. Avec pour certains les yeux bleus, pour d’autres la peau foncée, parfois catholique, parfois musulmans, éparpillés entre la France et les Comores, les créoles, souvent incompris, ne savent, parfois, pas eux-mêmes se définir. Il arrive que l’on se demande pourquoi on s’appelle Sébastien ou Patrick, pourquoi personne n’a fait le grand-mariage dans sa famille, pourquoi les grands-parents étaient chrétiens…
Jocelyne Fontaine