Poésie comorienne sur billets de banque une histoire…

L’un des marqueurs de monnaie comorienne les plus inattendus reste un emprunt à la poésie passée et contemporaine. Des vers retranscrits sur les biffetons. Un hommage rare fait à la littérature par les décideurs économiques[1].

Un fait qui distingue le paysage littéraire de cet archipel. L’apparition de phrases poétiques sur les billets de banque émis par l’Etat comorien. Des pensées et des maximes de Mbae Trambwe, le sultan-poète. Des vers extraits de Kaulu la mwando, recueil de Mab Elhad paru aux éditions Komedit en 2006. Ce dernier raconte : « Lorsque la Banque centrale a sollicité l’autorisation d’utiliser mes textes sur les billets à paraître, je n’ai pas hésité ». Le concept phare était que la poésie devait servir à renforcer la sécurité fiduciaire. Une sorte de talisman littéraire contre la falsification des billets.

Un événement de taille ! La scène littéraire locale aurait même pu s’en enorgueillir, si ce n’est que l’opération s’est effectuée sans tambour, ni trompette, dans un pays où une actualité aussi insolite exigerait de suite rituels publics et bêtes sacrifiées, en d’autres temps. « Je rappelle que j’avais émis des réserves à l’idée que la banque le fasse sans l’autorisation de l’éditeur. Pour moi, c’était un préalable ». Chamanga, l’éditeur, justement, semble n’avoir pas été consulté. Du moins, l’affirme-t-il. Ce qui est sûr, c’est que peu de gens savent en réalité que le bleu coelacanthe et pirogue des billets de 1.000 francs porte en lui une double déclaration d’amour, à l’aimée, à la muse du poète, et à la terre comorienne, à son identité, coincée en mer indianocéane. Il a obtenu « le prix du billet de l’année 2006, décerné par l’Institut IBNS (International Bank Note Society). Ce billet a impressionné les juges pour son design innovant et l’utilisation des techniques modernes de sécurité » selon les services de la Banque centrale.

Trois extraits de billet. La couverture du recueil dont la banque a tiré les fragments de textes de Mab Elhad.

Selon Mab Elhad, le choix du gouverneur de la Banque centrale, Ibrahim Ben Ali, se portait, à l’époque, sur certains de ses textes, parce qu’il était le poète le plus récemment publié sur le marché, et aussi parce que son travail commençait à interpeller l’opinion. « Il n’y a pas eu d’appel à projet ou d’autres sélections de textes. J’estime que c’était pour gagner du temps puisque les billets devaient être publiés en décembre 2006, alors que nous nous trouvions à la fin du mois de novembre ». La faute, donc, à l’esprit de précipitation des commanditaires de la banque. En effet, la Banque n’a retenu en définitive que les fragments de Mab Elhad et de Mbae Trambwe. Sans doute que si le projet avait concerné plus de monde, il y aurait discussion autour du corpus choisi. Sur un plan strictement littéraire, certaines traductions des maximes de Mbae Trambwe auraient gagné  à être reprises, en tenant compte des dernières avancées sur l’écriture du shikomori. Il est vrai cependant que les vers de Mab Elhad contre l’arbitraire et la pauvreté, frappés sur le billet de 2.000 fc, sont aussi une belle leçon de morale politique dans ce monde néolibéral.

De quoi réconcilier les pour et les contre par rapport à l’intérêt du projet. Il n’empêche que d’autres auteurs du pays auraient apprécié d’avoir leur place en cette histoire. « Je reconnais, dit-il, que notre pays a des poètes et des artistes de talent, mais peut-être qu’il n’était simple pour la Banque de trouver un poète et artiste disposé à offrir gracieusement ses œuvres pour faire honneur à son pays. D’ailleurs, bien des personnes m’ont trouvé un peu fou et naïf dans le fait de céder mes écrits sans demander de rétributions en retour ». La générosité du poète [la Banque a trouvé un moyen, depuis,  de le récompenser en retour] fut son principal atout dans cette affaire, menée à l’ombre de la Place des banques à Moroni. Pour sa part, Mab Elhad reste fier d’avoir contribué à cet épisode du biffeton trempé dans la poésie. Il se rapproche ainsi d’un artiste qui le fascine, Rakoto Frah, le roi de la sodina malgache, qui est peut-être le seul artiste au monde dont l’image honore les billets de banque de son pays.

Irchad Ousseine


[1] Article initialement paru dans le spécial « littérature comorienne » d’Al-Watwan Mag en décembre 2013.