Cinéma ou argument de vente pour la fibre optique ?

Le septième art accouche d’un deuxième rendez-vous à Moroni, après celui du Comoros International Film Festival (CIFF), aujourd’hui disparu des écrans. Du 31 janvier au 27 février dernier s’est tenu le festival de l’UCC. L’occasion pour nous d’articuler un certain nombre de questions sur les limites ou les opportunités offertes par ce type d’événement.

Dans les années 1960, il fallait compter sur le regard biaisé des coloniaux pour voir des images comoriennes à l’écran. Aujourd’hui, le pays est plutôt représenté par ses propres enfants. Dernièrement, il y a eu le film Amani, acclamé par tous, salué tel un miracle dans le désert. Ahmed Toiouil, son réalisateur, n’est pourtant pas le premier, d’autres l’ont précédé : « Ils se nomment Mamadali, Allaoui, Said-Ouma ou encore Ahamada. Ils sont pratiquement inconnus du circuit établi. Ils incarnent la première génération de réalisateurs comoriens »[1]. Mamadali et Fidaali ont été les premiers. Baco, leur film, est apparu en 1997. Il s’agit d’une fable contre l’autocratie. Le film a néanmoins peu circulé dans l’archipel, faute de salles. Depuis, les cinéastes de la diaspora s’affirment de plus en plus. Leurs réalisations interpellent le public des grands festivals : Cannes, Namur, Carthage ou le Fifai à l’île de la Réunion.

Pourquoi citer les années 1960 en référence ? Sans doute pour rendre un ultime hommage aux pionniers de Cineco, la première entreprise de diffusion de film aux Comores que tout le monde a aujourd’hui oublié. La jeunesse actuelle n’a aucune idée de ce que représentait le cinéma à Moroni, Mutsamudu ou Mamudzu, ces années-là il y avait trois salles emblématiques : Al-Camar, Al-Qitoir, Al-Pajo. Mais elles ont fermé dans les années 1980. Ceux qui les fréquentent de nos jours pensent qu’elles ont été bâties pour accueillir des concerts ou pour servir d’entrepôt commercial[2]. La scène culturelle a besoin de mémoire. Le cinéma, aussi. En 2012, eut lieu la première édition du Comoros International Film Festival (CIFF). Acteurs, producteurs, réalisateurs de l’Océan Indien, de l’Egypte, de l’Inde, du Canada et de France : ils étaient un certain nombre à se retrouver dans la capitale. Mais l’expérience ne fit plus parler d’elle – à cause d’histoires de financement, entre autres – alors même que la génération actuelle de cinéastes lui doit énormément[3].

Cette année a eu lieu le deuxième festival du genre aux Comores, organisé par l’UCC, en partenariat avec Comores Télécom. Intissam Dahilou : « Nous avons crée l’Union des Cinéastes de Comores (UCC) en 2022. Pour que nous puissions aller loin, développer des projets ambitieux, nous soutenir les uns les autres ». On peut compter les entreprises de production de film du bout des doigts – Nextez ou Pic-Celle – alors que la boulimie du cinéma s’exprime, elle, au quotidien, et ce, malgré le manque de moyens, financiers et logistiques.

Lauréats du festival de l’UCC.

« Pour réaliser ce festival, affirme Dahilou,  l’UCC s’est orientée vers Comores Télécom, qui nous a accueilli à bras ouverts ». Le partenaire disposait des moyens de médiatiser les films sur les réseaux. Un élément incontournable pour l’époque, mais qui ne remplace pas le manque de salles. Le cinéma est fait pour être vu sur grand écran et pour générer du partage et des échanges en live. Comores Télécom (CT) s’est bien sûr réjoui de l’opportunité offerte. Elle a ainsi pu nourrir sa chaîne Huri TV avec du contenu artistique.

Le festival a servi de produit d’appel pour les abonnés du bouquet Nafasi. Avec Nyora, produit par Tartib, et Tilawa, programme religieux consacré au mois de ramadan, Huri TV était un peu limité dans son offre. La chaîne avait besoin de diversifier son offre. « Pour satisfaire notre clientèle, il était nécessaire de produire un contenu non seulement de bonne qualité, mais aussi local, notamment dans le cinéma. Raison pour laquelle nous avons accepté de parrainer le festival de l’UCC. Ça valait le coup. Pour permettre aux comoriens de découvrir les talents de ce pays » résume Natoif Mohamed, responsable du département marketing de CT. Un partenariat « gagnant-gagnant ». Une expression à la mode. « Huri TV, dit-il, n’est pas une chaîne de production de contenu ». Elle s’arrange avec l’ORTC et d’autres chaines – environ 27à l’international » – pour diffuser leurs programmes via la Fibre To The Home (FTTH), qui ne fonctionne néanmoins que dans quelques localités de l’Union des Comores. Le festival est donc du pain béni pour Comores Télécom, qui devient de fait moteur dans une entreprise de divertissement.

« Soutenir l’UCCest un moyen de valoriser le cinéma comorien », poursuit Natoif Mohamed. Vraiment ? Ne s’agit-il pas d’une vulgaire stratégie markéting plutôt ? N’est-ce pas une opération faite pour attirer de la clientèle pour la fibre ? La proposition est venue de l’UCC, mais a-t-elle été vraiment comprise par le partenaire ? Pour ce dernier, il est absolument nécessaire que la FTTH élargisse son public. Le Directeur Général de CT a récemment fixé un objectif de trois nouveaux clients à chacun de ses agents. Une prime  de 20.000, 30.000 et 50.000KMF leur est promise, s’ils ramènent respectivement 5, 8 et 10 clients pour la fibre, jusqu’au 31 mars 2023. Le festival est donc venu rejoindre cette stratégie de communication, en ramenant du contenu dans les localités où la fibre optique est installée. On est loin du débat sur l’avenir du cinéma. Regarder un film comorien sur Huri TV suppose de lâcher des sous à Comores Télécom. Mais quid de tous ces jeunes qui attendent de la toile un moyen d’exister ?

L’UCC en pôle position.

Le festival a cependant été l’occasion d’initier des ateliers et des projections à plusieurs endroits du territoire. Mais l’UCC n’a guère eu son mot à dire sur ce point. Or, c’est elle qui ramène le contenu. Les décisions sont revenues à son seul bailleur. Normal ! Qui paie le spectacle, choisit le répertoire. Pis ! Les organisateurs ne sont mêmes pas capables de chiffrer leur public. « A Iconi, Mitsudje, Fumbuni,  par exemple, le public a atteint une soixantaine de spectateurs, jeunes et vieux » souffle timidement la secrétaire de l’UCC. Sur le net, Comores Télécom a engrangé de l’audience, sans pouvoir l’estimer en chiffres, non plus.

« Nous ne sommes pas en mesure de donner des chiffres pour le moment, parce qu’on vient à peine de lancer cette chaîne » explique le responsable markéting de l’entreprise publique. On frôle une forme d’amateurisme dans cette manière de procéder de la compagnie. Il n’est quand même pas difficile de relever le nombre de clics sur un site, encore moins de suivre l’intérêt grandissant ou pas du public sur les contenus. On ne sait donc pas quel public en définitive a été touché par cette édition, sauf à se contenter du public de la cérémonie officielle de clôture à l’Alliance.

Reste à s’interroger sur le rôle d’un festival dans ce type de partenariat. Quelles perspectives l’UCC réserve-t-elle à ses associés, au-delà des quelques prix décernés ? Comores Télécom va-t-elle offrir un début d’histoire aux concernés ? A noter que le prix du meilleur film (1.000.000 KMF) équivaut au budget du clip « Ahe » de Cheick MC. Ce qui ne rassure personne. Comores Télécom ira-t-elle jusqu’à soutenir leurs prochaines productions ? A la rigueur, il aurait été plus avisé d’offrir une ou des formations aux lauréats pour les accompagner vers de nouveaux projets. Une telle initiative aurait permis à Huri TV – devenu promoteur de divertissement – de miser davantage vers l’avenir pour ses contenus. Se pose aussi une autre question, délicate, celle-là. Celle des droits d’auteurs. Ou plutôt, une non-question : «  Droit d’auteur ? Non. Le pays n’est pas encore arrivé à ce stade. Nous sommes les producteurs, alors les droits nous reviennent » s’autorise à dire Natoif Mohamed. A-t-il raison de le croire ? Les droits du créateur ne sont-ils pas incessibles ? A qui appartiennent les films ? Les artistes comoriens pourront-ils un jour vivre de leur talent ?  Autant de questions qui se posent…

Ansoir Ahmed Abdou


[1] Soeuf Elbadawi, Africultures, 22 septembre 2008.

[2] Cf. Muzdalifa House : «  Il était une fois fée Al-camar à Moroni ». Article paru en 2O17.

[3] En réponse à un post de Wadjih Abderemane sur l’avènement du cinéma aux Comores, ce commentaire de Yakina Al Imani : « Eh oui ! Il y a 10 ans nous avons mis en place un premier festival pour promouvoir les films comoriens et encourager l’écriture cinématographique. Nous avons planté une graine. Et voilà , 10 ans après beaucoup de nos apprenants ont réalisé des films, la lauréate 2023 Intissam Dahilou en fait partie. L’histoire du cinéma comorien continue de s’écrire…»