Le patrimoine vecteur de développement durable

La question du patrimoine évolue encore à l’ombre des priorités de ce pays. Beaucoup de professions de foi et très peu de réalisations. Dans les faits, l’Ujumbe reste à Mutsamudu le seul chantier susceptible d’interpeller l’opinion des trois îles, dépendant de l’autorité comorienne. Sans doute, par sa capacité à faire appel aux soutiens extérieurs. Nous nous sommes entretenus avec Fatima Boyer, la présidente du Collectif du Patrimoine des Comores, qui, plus que jamais, insiste sur les faiblesses de l’Etat, en la matière. Entretien paru dans le n°18 du journal Uropve (novembre 21).

Vous vous inquiétez de la place marginale réservée à la préservation des sites historiques dans les politiques gouvernementales, contrairement au sport, qui, selon vous, préoccupe plus les décideurs. Comment expliquez-vous le fait que ce pays ait encore du mal à s’approprier les symboles de son passé ?

Cela s’explique probablement par l’absence d’un vrai projet de développement. L’enseignement de l’histoire de nos îles, ainsi que celle de l’espace d’appartenance géographique, reste absente de nos programmes scolaires. Actuellement, l’antenne du Collectif du Patrimoine des Comores mène une campagne de sensibilisation à Ndzuani. A Mutsamudu, Bambao, Ouani, Sima, Pomoni et Nyumakele. Ils insistent sur ce fait. Les Comores, comme tous les pays en voie de développement, sont confrontés à une crise identitaire. Mais chez les Comoriens, cette situation est beaucoup plus ressentie, à cause de l’absence d’un vrai projet de société.

Que dites-vous de ceux qui parlent de décalage entre les difficultés vécues au quotidien par les Comoriens et l’intérêt porté à ces vestiges par les défenseurs du patrimoine ?

Ce décalage se fonde sur une fausse idée. Certes, la difficulté d’assurer le quotidien immédiat est une réalité, mais le patrimoine étant vecteur de développement, nous pourrions aider les Comoriens à satisfaire leurs besoins. En encourageant, par exemple, à des activités de sauvegarde du patrimoine, en lien avec le développement durable.

Sur le chantier de l’Ujumbe à Mutsamudu.

Il semble que ce débat soit également pris en otage par des personnes n’ayant pas forcément d’ancrage dans la vie locale.

Je ne partage pas votre point de vue ! On compte un nombre important d’associations, comme ceux des Jeunes du Patrimoine à Mutsamudu ou ceux de l’association Twamaya à Itsandra, qui se mobilisent pour le patrimoine. Mais ces derniers n’arrivent pas à mettre en place des projets de gestion du patrimoine. Car ils n’ont pas de formation dans ce domaine. Leurs difficultés au niveau de la visibilité sont dues au fait que la sauvegarde du patrimoine des Comores ne bénéficie d’aucun soutien gouvernemental. Ils souffrent de l’absence d’une volonté politique. Et heureusement que des institutions telles que le Ministère de la Culture et de la Communication à Paris, l’ambassade de France en Union des Comores, des fondations comme Gerda Henkel, disposent de fonds pour appuyer les associations locales. Ce qui permet de programmer des travaux de restauration, comme c’est le cas, actuellement, pour l’Ujumbe, à Mutsamudu. Les missions du Collectif du Patrimoine sont des missions généralement portées par un gouvernement. Or, l’État comorien n’a pas encore pris la mesure de sa responsabilité dans l’accompagnement des associations en vue de réaliser leurs objectifs. Depuis 17 ans, nous attendons toujours la reconnaissance de l’État pour ce que nous réalisons, au profit de la préservation du patrimoine et de l’histoire du pays.

Vous avez quelques motifs de satisfaction depuis 17 ans ?

La première satisfaction concerne le dossier de nomination des Sultanats Historiques des Comores. Les membres de certaines associations et la population reconnaissent notre travail, ainsi que notre engagement, pour que la nomination de nos sites soit une réalité au Patrimoine Mondial. Ils nous soutiennent. Nous avons pu vérifier cette reconnaissance, lors de la campagne de mobilisation des fonds sur Dartagnan en 2019. Certaines associations aux Comores, ainsi que les membres du Comité scientifique, se sont appropriés la problématique. Reste à trouver cet engagement fort de la part du Gouvernement. S’il y a un domaine dans lequel on peut répondre aux exigences de l’émergence, tant promue par le Chef de l’État, c’est bien celui de la sauvegarde du Patrimoine, en tant que vecteur de développement et ciment pour le renforcement de l’identité.

une nouvelle perspective du chantier.

La réalité de votre combat se rétrécit au sauvetage de l’Ujumbe à Mutsamudu, pendant que les autres sites de l’archipel s’effondrent dans l’indifférence.

Effectivement ! C’est une triste réalité et rien n’y changera. L’État, les Gouverneurs et les Maires devraient se rendre compte de la chance que nous avons. Nous habitons le seul pays de la sous-région, disposant d’un patrimoine culturel aussi riche et unique. Il est donc urgent d’agir ! Les habitants, la société civile, ont le devoir d’interpeller les gouvernants et de leur rappeler leur responsabilité, telle qu’elle est énoncée par l’UNESCO : « Le patrimoine ne nous appartient pas. Nous devons le protéger et le transmettre aux jeunes générations dans l’État initial dans lequel il nous a été confié ».

A ceux qui vous reprochent de vous consacrer à votre ville natale, vous rétorquez que cette concentration sur l’Ujumbe est le résultat d’un concours de circonstances. A commencer par le soutien apporté par la gouvernance de la commune et aussi par ses habitants…

C’est la réalité ! Il se trouve que l’Ujumbe se trouve dans la Commune de Mutsamudu. Monsieur Zarouki Bouchrane, maire de cette commune, est conscient de l’importance du patrimoine pour sa commune. Il croit en la valorisation de l’Ujumbe. Tous les précédents maires de cette commune ont toujours soutenu le Collectif du Patrimoine des Comores dans la réalisation de ses activités. La population de Mutsamudu est également convaincue de l’importance qu’il y a à valoriser ce patrimoine.

Le rêve d’inscrire les monuments des Sultanats historiques des Comores sur la liste du patrimoine universel de l’UNESCO est-il encore réalisable ?

Oui, plus que jamais ! Nous devons nous rassembler autour de l’association des amis du patrimoine pour interpeller nos gouvernants et nos partenaires. Cette inscription devrait être le projet de la nation, de toute la société, de toutes les générations. Il faut développer un plaidoyer auprès de tous les pays de la zone Océan Indien et des pays du Nord, afin de soutenir la candidature des Sultanats Historiques des Comores. Sollicitons également les ambassadeurs des pays amis pour nous accompagner.

Une visite du chantier en compagnie de l’ancien secrétaire général du gouvernorat de Ndzuani, M. Abdulhamid Afraitane et de Mme Fatima Boyer.

L’expérience de l’Ujumbe est révélatrice du travail colossal que nécessite la restauration de ces sites. Elle déborde les capacités locales. Comment un pays privé de telles compétences peut-il faire face à un tel défi ?

Notre pays a des ressources pour y arriver. Toutefois, nous devons développer un réseau de pays amis, pour soutenir et accompagner ces savoir-faire. Nous devons développer un réseau de soutien des pays du Sud et développer une coopération Sud-Sud, comme nous venons de l’expérimenter lors de notre dernier chantier, en faisant appel à l’expertise de Zanzibar, qui a dépêché deux artisans expérimentés dans le domaine de la restauration.

Que fait-on du patrimoine non listé tels que les ziara, recouvrant un pan non-négligeable de la mémoire populaire ?

Cette mémoire populaire doit faire partie du programme scolaire et universitaire. Ce qui est important, c’est la connaissance de notre mémoire. Mobilisons-nous pour que tous ces sujets puissent être enseignés à nos enfants.

Qu’en est-il des lieux de la domination coloniale que l’on voit peu à peu s’effacer du paysage. Ils ne sont certes pas à réhabiliter, mais ils méritent néanmoins d’être réévalués, pour comprendre la part prise par la colonisation dans notre histoire ?

Je ne peux que le déplorer. La seule solution est la réparation par la réhabilitation de l’histoire et son enseignement dans les écoles et à l’Université. Encore une fois, ceci ne peut être obtenu que si nous nous organisons. Il faut que tous nous portions ces sujets devant nos députés, afin que le gouvernement puisse prendre ses responsabilités. Si les Comoriens pouvaient avoir la preuve que le patrimoine est un vecteur de développement, ce pari pourrait être gagné sur toute l’étendue de notre pays. La restauration continue de l’Ujumbe pourrait être un projet pilote pour les autres sites, qui pourraient ainsi s’identifier à ce qui a été réalisé. Nous avons tous intérêt à ce que la restauration et les études à mener sur les Sultanats Historiques des Comores puissent être réalisés, afin de donner aux Comoriens des raisons de croire aux forces du patrimoine, en tant que vecteur de développement durable.

Propos par Saindou Kamal’Eddine