Project’îles Une revue et des envies

Entretien avec Nassuf Djailani, auteur et co-fondateur de Project’îles, la seule revue littéraire existant dans l’espace archipélique des Comores. Paru aux éditions Komedit à ses débuts en 2010, la revue, qui en est à son troisième numéro, s’auto-édite, désormais. Texte paru dans le numéro 34 d’Al-Watwan Magazine en décembre 2013[1].

Nassuf Djailani. L’idée de monter cette revue est né d’un sentiment de manque. Il n’existait à notre connaissance aucun espace qui donnait à lire ce qui se fait dans les différentes zones de l’Océan indien.

Project’îles paraît à Mayotte. Peut-on parler à votre sujet d’un espace critique comorien ?

Si vous me demandez l’identité de la revue, la question de son origine géographique, par exemple, je pense que oui, il est plus que nécessaire pour nous d’affirmer, oui, de préciser que nous nous exprimons depuis un lieu imaginaire, fragmenté, qui s’appelle les Comores, et qu’à partir de ce lieu aux réalités parfois complexes, nous disons notre soif du monde, nous proposons aux autres notre désir d’entrer en relation, et pour ce faire, nous proposons un archipel littéraire, pour mettre ne germe quelque chose de fondamental pour nous, à savoir une volonté de vivre ensemble, de partager des points de vue, d e rendre l’horizon ultime de la mort à peu près affrontable.

Le souci des auteurs comoriens réside ne partie dans leur incapacité à générer des dynamiques communes. Ils ne se lisent pas, n’échangent guère entre eux, dialoguent peu avec leur public immédiat et la critique de leurs écrits ne semble pas toujours favorisée par la proximité.

Vous avez raison sur cette incapacité d’abord chez les écrivains comoriens à « générer des dynamiques collectives ». ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le désintérêt des Comoriens pour ce qu’écrivent ou produisent ou compatriotes relève d’une forme de maladie que nous avons laissé se développer, et qui est notre incapacité à permettre à la beauté d’entrer en nous. Nous aimons nous installer dans une figuration rassurante de nous-mêmes. Mais il faut faire la part des choses. Car l’écrivain, l’artiste, sous nos latitudes, est sommé d’endosser tous les rôles, artistes qui racontent le monde avec leur sensibilité, et « agitateur citoyen », parce que la situation sociale, politique, économique, culturelle, exige qu’ils prennent position. Et nous souffrons trop de ne pas supporter que l’autre pense différemment de nous. C’est l’apprentissage de la démocratie, ça prend du temps. Toujours est-il que le pari que tente de relever la revue Project’iles, c’est de faire ce travail de pédagogie, comme une initiation à l’appréciation de la beauté. Faire la démonstration que dans nos productions artistiques, il y a parfois de la grandeur, de la beauté, du rêve, du rire, du sourire, du tragique, des pleurs, de la laideur aussi. Des sentiments humains que nous pouvons éprouver aussi au contact des œuvres qui ont pour racine ou cadre, nos villes, nos pays, nos archipels. Après se pose la question fondamentale qui est celle de savoir ce que fait l’éducation nationale de nos pays respectifs pour favoriser la mise en circulation de ces œuvres. Ce qui est une autre paire de manches.

Komedit, le principal éditeur comorien, vient d’annoncer que son lectorat est principalement européen. Qui vous lit ? Qui achète la revue ?

La revue est beaucoup lue par un public d’universitaires, des étudiants oud es chercheurs comoriens, réunionnais, mauriciens, malgaches, zanzibarites ou français, qui sont de plus en plus intéressés par cette région du monde. Et puis, il y a ces lecteurs fétichistes qui viennent chercher une première entrée en matière dans l’œuvre d’œuvres qu’ils connaissent de nom, de qui ils ont acheté un ou deux livres, qu’ils n’ont pas encore lus, mais qu’ils se promettent de lire un jour. Donc, en attendant d’en lire quelques pages, ils parcourent la revue avec un friand espoir d’y trouver des clés,d es codes, une appétence. Sans tomber dans le simplisme, nous essayons d’offrir une revue accessible, agréable, qui donne envie d’avoir envie de lire. Mais encore une fois, nous envisageons le temps long. Parti de deux numéros par an, nous pensons qu’il est plus raisonnable de n’en publier qu’un par an.

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi


Image à la Une : Nassuf Djaïlani.

[1] Littérature Le temps du questionnement, n°34, décembre 2013.