Réaction de l’historien comorien Ibouroi Ali Tabibou sur les événements, qui ont embrasé Mayotte ces derniers mois. Auteur d’une thèse publiée aux éditions Coelacanthe sur la question de l’esclavage dans l’archipel, il s’indigne face au processus de réécriture de l’histoire en cours sur l’île occupée.
Jean MARTIN soutenait avec raison l’idée selon laquelle il n’est pas possible de séparer l’histoire de Mayotte de celles du reste de l’archipel. Car les supposés différences à partir de 1841 ont tendance à gommer toute l’histoire commune des origines à la vente de Mayotte par Andriantsouli.
Celui-ci s’était lié à son cousin qui régnait à Nosy-Be dans un accord de soutien mutuel, au cas où l’un d’eux serait renversé de son trône. Andriantsouly fut recommandé à Passot par celui de Nossy-Bé. Mayotte sert d’argument à la France, pour demander à l’Allemagne et à l’Angleterre de ne pas aider à compartimenter le peuple des Comores, au nom du principe que défendait l’Allemagne de l’unicité des lands. Ce principe étant acquis, la France fait de Mayotte le point d’appui pour la conquête des autres îles formant l’archipel des Comores.
Le positionnement à postériori qui consiste à présenter les « mahorais » comme victimes fait perdre en conjecture. Les arguments de façades, selon lesquels les manifestants de 1968 ont subi la force des « Grand- comoriens », relèvent d’un anachronisme et d’une méprise de la réalité coloniale. Quelle armée comorienne a pu tirer sur les manifestants et tuer Zakia Mmadi ? La troupe en question ne fut-elle pas réquisitionnée auprès du haut-commissaire représentant de l’Etat français ?
Lors des dernières manifestations sur l’insécurité à Mayotte.
Dans son ouvrage, « la naissance de l’élite comorienne », Mahmoude Ibrahim nous renseigne : « Il existe alors une Assemblée locale, et trois représentants du territoire dans les institutions métropolitaines, mais le véritable pouvoir est toujours détenu par l’administrateur supérieur ». Aussi, même si une nouvelle autonomie de gestion fut accordée à l’archipel par la loi du 22 décembre 1961, qui met en place les institutions essentielles jusqu’à l’indépendance, le Haut Commissaire de la République devint, à cette occasion, le véritable administrateur en tant que représentant du pouvoir central. Son rôle est essentiel car tout acte n’est valable s’il ne le contresigne. En vérité c’était lui qui promulguait les lois et décrets. »
Cette accusation relève plutôt de considérations idéologiques, de la part des partisans de la partition à tout prix de Mayotte. Ce sont des arguments qui ont tendance à présenter les « Mahorais » comme des victimes, subissant tout et vivant en spectateurs. Ils ne sont jamais responsables et ne maîtrisent rien. Tout ce qui est arrivé est la faute des autres. Ils sont, à la limite, infantilisés. Ce positionnement idéologique sert de fonds de commerce aux départementalistes et justifie des choix politiques, pour le moins contestables.
Les écarts de la consultation référendaire de 1974 n’étaient pas considérables. Mais à la suite de l’annulation des résultats de nombreux bureaux de vote, dont certains, où le « Non » l’avait emporté, a surdimensionné le désir des « Mahorais » à rester français. Sous le drapeau de la République Française, les enfants de ceux appelés « Les serre-la-main » à Mayotte sont en train de plaindre leurs parents, qui ont fait leurs études secondaires au lycée Saïd Mohamed Cheik. Il y a lieu de rappeler que les « Mahorais » sont les premiers à réclamer l’indépendance. Mayotte a fait volte-face, quand les autres Comoriens se sont solidarisés.
(D’un côté la colonisation et de l’autre les « Grand-comoriens »).
Des esclaves makuwa affiliés au sultanat d’Anjouan par l’administration coloniale française.
A Mayotte, après la « prétendue » abolition de l’esclavage, les colons avaient toujours besoin de travailleurs dans les plantations. Ils ont donc facilité la venue dans l’île de beaucoup de gens des autres îles sœurs, faisant de Mayotte la plus comorienne des quatre îles. Fait incontestable quand on sait que les fils de ces déplacés tiennent les rênes du pouvoir. Et puis il y a eu la période où le chef-lieu fut à Mayotte. Tous les fonctionnaires y travaillaient, s’y sont mariés et ont eu des enfants. Rares sont les « Mahorais » qui pourraient dire que leurs grand-pères ou grand-mères sont tous originaires de Mayotte. Il n’y en a pas beaucoup, reconnaissent de nombreux compatriotes.
Aujourd’hui, pour cacher ce qu’ils présentent comme une césure, ils viendraient des autres îles dans le cadre de l’engagement, dont les victimes sont généralement originaires du Mozambique. L’instrumentalisation de cette origine, pour montrer que les liens avec les autres îles ne sont que factices, n’est qu’une méprise de l’histoire des Comores.
L’engagement de 1871 à 1904, parfois même au-delà de cette limite, a déversé dans l’archipel hommes, femmes et enfants pris essentiellement au Mozambique. En plus du déplacement forcé, ils ont subi la violence de la séparation par l’éclatement des familles (le père de sa femme et de ses enfants), et sont ainsi répartis dans chacune des îles. Nonobstant également le fait que sous le gouvernement, la société coloniale organisa des déplacements de nombreuses personnes pour son compte. En effet, de nombreux Baco et Houmadi venaient d’Anjouan. On ampute à cette politique la création à Mayotte de villages dits « grand-comoriens » ou « anjouanais ».
Une oeuvre du plasticien Seda Ibrahim sur les conséquences de la traversée entre Anjouan et Mayotte.
Ce que vivent les Comoriens, aujourd’hui, semble être un raisonnement alambiqué, et par conséquent, les kwasa-kwasa, avec leurs conséquences si graves, paraissent maintenir la relation que l’on veut briser. Naturellement, on ne peut pas en rester là, tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à l’histoire de l’archipel ont bien compris, depuis longtemps, que tout ce qu’on est en train de faire n’est rien d’autre qu’une réécriture de l’histoire, et nul ici, et encore moins la France, dont la responsabilité est entière, ne peut se dédouaner. Après le processus de re-colonisation qu’elle soutenait en sous-main, rien ne surprend, lorsqu’on entend parler de l’archipel de Mayotte.
Est-il possible d’effacer les liens historiques, géographiques ou religieuses, pour finalement dire qu’il n’y a pas d’histoire commune, y compris sur un plan géographique ? Ce rattachement à la France est beaucoup plus un déni d’histoire, méprisant tout ce qui s’est passé avant 1841. C’est, peut-être, le moyen pour la France de légitimer la décision de départementaliser Mayotte. Jusqu’en décembre 1975, rien ne s’est décidé ou construit sans les « Mahorais », qui ont pris part même aux votes de l’Assemblée territoriale pour l’accession à l’indépendance. Des rapports politico-administratifs ont existé au sein de l’ensemble de l’archipel, sous la responsabilité de la France.
Certains éléments ont servi de base à mon travail sur les descendants d’esclaves makua aux Comores, à savoir les vestiges, l’oralité et les enquêtes réalisées dans chaque île, sauf à Mayotte, où je n’ai pas pu étendre mes recherches, faute de visa. Un visa que devait accorder le consulat de France à Moroni.
Quel sens doit-on donner à ces manifestations organisées pour demander plus de sécurité à Mayotte ? Salim Nahouda, qui affiche un semblant de fierté pour conduire au nom de la CGT-MA le défilé des manifestants à Mayotte ne peut ignorer la mise en garde, qui lui a été notifiée par les syndicalistes venus d’Outre-Atlantique, des Antilles ! Je ne peux ici ne pas remercier la CGT-France et la CGT-Réunion pour le soutien technique et social qu’elles apportent à nos organisations pour leur épanouissement.
Ibouroi Ali Tabibou