Qadriyya, shadhuliyya, rifaiyya, alawiyya, dandarawiyya, nakshibandiyya ou tidjaniyya. De tous les ordres de l’islam connus, ce sont ceux-là qui se sont implantés dans l’archipel des Comores. Mais les opposants à ces confréries travaillent dans l’ombre. Ils se disent les garants d’un certain fondamentalisme religieux[1].
« Allez à Sima, vous le trouverez ». L’auteur de ces propos pense aux « jawulat », ces barbus qui livrent un vrai prosélytisme à travers l’île et qui apparaissent à tort ou à raison comme les détracteurs des confréries dans l’archipel. Ces « militants » de l’Islam n’ont pas réussi à construire un discours convaincant ou même attrayant contre les confréries, qu’ils considèrent pourtant comme un obstacle à la pénétration de leur conception de la pratique religieuse. D’où leur dilemme. Comment propager la même religion en s’attaquant aux figures qui l’incarnent aux yeux des Comoriens ? Du fait de l’ancienneté de l’agent confrérique bien implanté dans la société et qui dispose d’un réseau très opérationnel, ces « nouveaux » musulmans éprouvent des difficultés à trouver un public dans une société qui ne veut pas se défaire de l’autorité de ses chefs traditionnels, qui plus est des maîtres spirituels.

L’un des derniers cheikh charismatique ayant fédéré la confrérie shadhuliyya aux Comores, Cheikh Mohamed kassim, lors d’une commémoration en l’honneur de feu Cheikh fayadhwi.
Socialement, ils sont donc coincés et parfois obligés de composer. C’est le cas à Mutsamudu où les fondamentalistes ont préféré se fondre dans la masse, quitte à réviser leur discours. Certains n’excluent pas la possibilité d’utiliser les moyens des twarika pour arriver à leurs ambitions. Il y a là un risque de déviance que des chercheurs ont observé dans certains pays. En Kabylie par exemple, « les confréries sont plus un instrument politique qu’un vecteur de socialisation religieuse » explique Brahim Salhi, auteur de Confréries religieuses, sainteté et religion, qui évoque une structure fortement hiérarchisée, solidaire, « à grande capacité militaro-politique, à densité doctrinale avérée et démontrant une continuité entre ordre soufiques orientaux et confréries locales ». En Algérie, l’émergence du fondamentalismes’est déroulée dans une relation violente avec la bureaucratie religieuse, qui était détentrice du monopole sur le culte. « Le fondamentalisme suscite un rapprochement de cette bureaucratie religieuse et de l’agent confrérie » poursuit Brahim Salhi.
La tentation ne manque pas non plus chez les hommes politiques, qui cherchent à obtenir les faveurs des chefs des confréries en tant que meneurs de troupes. L’histoire révèle aussi « les capacités martiales et politiques des confréries qadriya » en Kabylie. C’est sans doute cette capacité d’organisation, qui pourrait intéresser les mouvements qui se réclament du fondamentalisme. Mais aussi les modes de transmission jugés très efficaces, comme le dhikr. Le dhikr est l’élément fondamental de la diffusion dans la société de l’univers des significations islamiques. Il assure une fonction sociale de familiarisation avec l’univers religieux pour les profanes. Grâce aux zawia (les foyers des twarika), les confréries assurent une fonction d’éducation non savante s’insérant parfaitement dans l’univers de l’oralité. Autant d’atouts qui ne laissent pas indifférent. D’où les querelles de succession qui reflètent les luttes d’intérêts, qui se mènent bien souvent sous couvert de religion.
Kamal’Eddine Saindou
Ces confréries sont fondées par un prêtre exalté de grande réputation et sont organisées selon une hiérarchie très stricte, qui lie chaque membre à un frère de rang supérieur, son tuteur, et, de là, jusqu’au maître de l’ordre, l’Ancien ou le cheikh, par toute une série de liens de tutorats consécutifs. L’Ancien est le fondateur lui-même ou son successeur. Après sa mort, le fondateur de l’ordre continue d’être vénéré et son mausolée devient un site sacré, lieu de pèlerinage même pour des non-membres de son ordre.
A l’origine, les twarika étaient dirigés par un khutb – le Cheikh – qui peut être assimilé à un général suprême de tous les adeptes. Au fil des générations, pour ce qui est de la confrérie shadhuli, un seul Cheikh suprême basé à Aman dirige la confrérie de par le monde, désignant des représentants un peu partout, appelés à leur tour par les adeptes “cheikh”. Ce dernier est entouré par des khalifa et au-dessous d’eux, les miridi. Selon les spécificités de chaque pays, le cheikh avant sa mort peut recommander sa succession parmi ses khalifa, qui sont en quelque sorte des gouverneurs. Autre cas possible : les khalifa et les miridi s’accordent lors d’une assemblée sur le nom de la personne parmi eux qui prendra la succession, en se fondant sur sa loyauté et sa maîtrise des questions liées à la confrérie. Mais dès l’origine, le choix du successeur revient au cheikh. Cette requête aurait été formulée par le khutb Said Abal’Hassane Shadhuili, qui voulait conserver le khutb dans sa lignée. Selon un des khalifa de Ndzuani (de la confrérie shadhuili), « contrairement à ce qu’on pense, une confrérie est une association, dont les Zawiyas sont les foyers. Nous devons allégeance au cheikh. Il est le chef suprême de la confrérie. Ses ordres ne sont jamais contestés. Ils sont exécutés. C’est la raison pour laquelle il y a une bonne harmonie au sein de la twarika. Il est le maître incontesté. Il est de notoriété qu’il doit, et c’est d’ailleurs le rôle du guide, écouter les khalifas qui le représentent dans les régions et sur cette base prendre ses décisions ». A Ndzuani, la twarika est dirigée par le Cheikh Abdallah.Il est à noter qu’avec le temps, certaines pratiques ont tendance à être négligées, comme le Madjilis l’Aanla, l’assemblée générale annuelle, qui est la tribune d’échanges et de concertation de la confrérie. Ceci est dû à un manque de mobilisation des moyens matériels et humains.
[1] Article paru initialement dans le numéro de Kashkazi du 1erdécembre 2005.