La littérature comorienne de victoire en victoire

Evocation du paysage littéraire comorien par Abdou Djohar,  professeur de français à l’école privée Notre Dame de Mantes-la-Jolie à Paris. Acteur associatif de la diaspora et linguiste, Abdou Djohar défend par ailleurs l’enseignement de cette littérature dans les écoles comoriennes.

Ali Zamir, écrivain comorien d’expression française, part du bon pied. D’une plume profonde et évocatrice, il a su s’intégrer dans le milieu littéraire francophone, en donnant à la jeune littérature comorienne ses lettres de noblesse. En Europe, il voyage de pays en pays, de ville en ville, où son mariage avec ses milliers de lecteurs jouit d’un certain engouement. Il faut peut-être être en France pour tenir en estime le charme qu’a cette littérature qui s’internationalise sous sa plume, jugée « éblouissante » par le Président français, Emmanuel Macron, « forte et extraordinaire » par l’écrivain congolais Alain Mabankou.

Le prix que l’on attache à la littérature comorienne d’expression française atteint donc des sommets jamais atteints auparavant ! Ces témoignages vibrants, qui révèlent le soudain progrès de la plume d’Ali Zamir, en sont une parfaite illustration. Ce jeune romancier a un don qui, naviguant entre prose et vers, parvient à émouvoir tout un chacun. Son imagination, ses intrigues, qui s’observent dans deux de ses célèbres romans, convainquent une grande partie des médias français de le classer parmi les jeunes écrivains francophones les plus talentueux.  

Ali Zamir commence à écrire dans un esprit de liberté. Ses personnages projettent leurs angoisses et leurs rêves sur le lecteur, jouent le rôle d’un filtre, d’une focale dont la manière d’observer le monde permet à celui-ci d’ajuster sa vision, en s’identifiant à eux. C’est cette force inouïe qui fait que sa plume est valable partout et n’importe quand. L’espoir et l’espérance habitent nos cœurs, lorsque nous voyons la scène littéraire française l’accueillir. Telle l’eau du fleuve qui suit son cours, la plume d’Ali Zamir coule dans les pages de ses romans, qui ne quittent pas les lèvres du lecteur, les dévorant au calme dans le métro parisien.

Ali Zamir aux Chichas de la pensée, l’an dernier. Interviewé par Badroudine Said Abdallah et Medi Meklat (© Homayoun Anoki).

Sous cette plume singulière, la littérature comorienne jaillit et met en mélodie ses émotions, dans un style original dont il a seul le secret. La syntaxe et le style d’Anguille sous roche et Mon étincelante (Tripode) s’épousent et forment cette alchimie harmonieuse où résonnent les allitérations et les assonances dans l’âme du lecteur.  Quelle ambiance ! Chapeau l’artiste ! Au printemps de son âge, où le lecteur comorien ne lisait que Mohamed Toihiri et Aboubacar Saïd Salim, publiant respectivement La République des Imberbes et Le bal des mercenaires, la littérature comorienne, timide, avait du mal à briller de mille éclats.

Quatre écrivains aux trajectoires spécifiques (Salim Hatubou, Soeuf Elbadawi, Ali Zamir, et plus récemment, Touhfat Mouhtare), primés et prisés, ont réussi à vaincre cette timidité, en faisant en sorte que le message transmis forme un univers singulier, attisant la curiosité du lecteur étranger. Leurs œuvres se construisent autour de personnages qui suggèrent une transformation du réel dans la vie du Comorien. Ô combien c’est important d’inscrire cette littérature dans un espace vital ! À travers les péripéties de leurs personnages principaux, les « lecteurs natifs », qui s’identifient à eux, apprennent à mieux connaitre leur passé, leurs cicatrices, leur douleur, leurs erreurs…

Les livres qu’ils sont en train de lire leur apprennent à se forger des idées, à cultiver un idéal. Leur lecture, attentive soit-elle, les aide à s’interroger sur leur existence et sur le rôle qu’ils doivent jouer au service de leur pays. Oui ! parce que ces personnages incarnent des parcours qui pourraient être ceux des lecteurs. Voilà pour pourquoi préserver et enseigner la littérature comorienne à l’école serait un pas vers le changement de ces mentalités dont le pays est souvent victime. N’oublions jamais que chaque personnage principal d’une œuvre littéraire est le représentant d’une classe sociale : ouvrier, bourgeois ou encore étudiant. Son choix par l’auteur n’est pas le fruit du hasard.

Nous sommes tous convaincus qu’aujourd’hui, cette littérature éclot, s’enrichit, s’épanouit et mobilise un grand nombre de lecteurs. Envisagée sous cet angle, la littérature féminine comorienne s’affirme elle aussi sous la plume de trois romancières, à savoir Touhfat Mouhtare, Coralie Frei et Faiza Soulé Youssouf, qui, par essence transgressive, mettent en scène des personnages féminins engluées dans un quotidien dolent.

Pour toutes ces raisons, n’est-il pas temps d’enseigner la littérature comorienne aux élèves et aux étudiants comoriens, alors qu’on sait qu’à travers elle le citoyen est appelé à mieux comprendre sa nation, sa culture, ses traditions, ses points forts, ses points faibles, toutes choses à qui les écrivains comoriens essaient de donner du sens ? Oui ! Nous ne sommes pas sans savoir que la littérature du pays se définit comme un creuset au sein duquel se forme également le patriotisme.

Coralie Frei, Touhfat Mouhtare, Faïza Soulé Youssouf.

Bien que l’écrivain reste neutre et témoin de son temps, bien que son regard sensé et sensible sur le monde qui l’entoure ne relève pas de la politique politicienne, la force de son message permet au « lecteur natif » de changer d’opinion. Cette force est l’arme principale de l’intellectuel. Son œuvre influe sur le lecteur dans la mesure où elle a pour objectif l’éducation morale. Elle développe l’esprit critique et la connaissance de soi. La littérature du pays incite le « lecteur natif » à mieux amorcer sa réflexion sur son vécu et sur son attachement à la terre, qui l’a vu naître et grandir.

Soucieuses de former des citoyens éclairés, les grandes nations n’écartent jamais l’idée d’enseigner la littérature à leurs enfants. Cet enseignement contribue à leur perception sociale, à leur intelligence émotionnelle, toutes choses qui manquent dans notre pays. L’enfant comorien, qui lit et étudie sa littérature, s’identifie facilement aux personnages de l’écrivain comorien. La libération de ce jeune lecteur par la culture peut donc être conditionnée par l’apprentissage de ces œuvres littéraires où les auteurs parlent d’eux. En effet, l’auteur d’un livre a toujours les yeux tournés vers lui-même : il réfléchit et agit d’abord sur son pays, et puis sur le monde.

Alors nous sommes tous convaincus qu’accorder une grande importance à cette jeune littérature motiverait les écrivains nationaux à écrire pour ces Comores, dont ils sont originaires. La naissance de la littérature comorienne est un élément de fierté. Car elle donne aux Comoriens une conscience identitaire, longtemps niée et sous-estimée par la puissance colonisatrice. Rien n’illustre mieux notre façon de vivre que cette littérature. Ce n’est pas un hasard, si chaque pays, bien construit sur le plan intellectuel, exige l’enseignement de sa littérature nationale à l’école. Ce choix est mûrement réfléchi.

En effet, de cet enseignement naîtra une critique, mettant à nu « l’imposture postcoloniale et son cortège d’infâmie ». Notre littérature est importante par sa diversité d’inspiration. Elle aborde des thèmes universels tels que les maux de la société, les préoccupations politiques, la confrontation des valeurs, l’engagement de l’individu au service de sa nation, l’identité culturelle, l’attachement du personnage à son pays natal…

Comment peut-on expliquer que le pays sur qui et pour qui nous écrivons ne s’intéresse pas à ses écrivains ? Apprenons à affronter notre peur, à avoir la confiance en soi, pour des lendemains qui enchantent. Notre littérature, jeune soit-elle, a tout pour être appréciée à sa juste valeur. La volonté de valoriser le travail accompli par les talents du pays procure une joie et une ardeur qui s’oppose aux préjugés et aux idées reçues. Nous ne pouvons continuer à valoriser la littérature étrangère au détriment de la littérature nationale.

Dr Abdou Djohar

Image à la Une : Ali Zamir aux Chichas de la pensée, l’an dernier.

Derniers textes parus : Jouissance de Ali Zamir (Tripode, 2022), Le feu du milieu de Touhfat Mouhtare (Le Bruit du Monde, 2022), Jenseits vom Ozean de Coralie Freï (Le Manuscrit, 2015), Ghizza à tombeau ouvert de Faïza Soulé Youssouf (Coelacanthe, 2015), Que sont nos cités devenues ? de Salim Hatubou (Images plurielles, 2011/ en collaboration avec Jean-Pierre Vallorani et Mbaé « Soly  » Mohamed), La fanfare des fous de Soeuf Elbadawi (Komedit, 2022).