Le hit, les bad boys, le succès et le droit

Le succès récent du titre Hama tsimegneha, porté par KM Boy’z et Lez Argam, fait fureur grâce à un clip signé par Nkn_Nass, repris dans les réseaux sociaux comoriens à une vitesse incroyable depuis sa sortie en février 2024. Où l’on parle d’emprunt et de copie-collé…

Le succès de trop ! Qui en agace plus d’une. Car la chanson parle cash, d’alcool et de débauche en terre musulmane. Tourné dans un quartier chaud de la capitale, le clip se joue des clichés que se ramassent les habitants de Madjadju à la gueule, depuis toujours. La rumeur prétend que le pire de la capitale comorienne s’y trouve. Eux répondent que pas plus là qu’ailleurs ! Mais les stars montantes de l’afro et du hip hop dans le pays y viennent t tourner leurs clips. Pour enfoncer le clou, genre la racaille c’est ici ! Sauf qu’avec Hama tsimenyeha, les paroliers, qui l’ont écrit tsimegneha, faute de connaître les codes du shikomori (que personne n’enseigne), ont aussi voulu détourner la réputation des quartiers populaires de Moroni, pour se moquer de ceux qui n’ont pas saisi que leurs habitants ont aussi de l’humour et de la rage.

Le clip par qui le scandale est arrivé.

On a envie de souligner un fait ! Les petits et les oubliés de Madjadju ont aussi le droit de profiter du succès de ce qui se raconte autour de leur monde. La sincérité du clip est en effet sa grande force. Les gars et les filles qui se pavanent dans le clip n’en sont pas, de la petite frappe. Ils ne boivent presque pas, pour la plupart, ne jouent pas dans la cour du grand banditisme, et font juste les fous, pour un doigt d’honneur bien pointé, pour ceux qui minorent le quartier et le salissent. Du moins, c’est ce qu’ils en disent. Mais les artistes (KM Boys, Leg Arzam), qui ont écrit les paroles de la chanson ne sont pas du coin, par contre. Le message est quand même passé. Hama tsimegneha signifie un trop-plein d’enjaillement dans le vice. « On dirait que je suis fait », la phrase littéralement traduite, montre un double visage de Madjadju. On pourrait traduire le refrain (« je ne sais pas où je vais/ les yeux fatigués/ j’ai oublié mon chemin »).

On se demande. Et si ça voulait dire que la jeunesse est en perdition ? A moins que ça veuille dire autre chose, dans la mesure où les auteurs abusent du « comme » (hama), come pour signifier que cette jeunesse feint de s’être perdue. Il en est qui disent que la chanson pointe le vice, en caricaturant le vécu des quartiers, de manière à sensibiliser sur ses méfaits, d’un côté. Il en est qui prétendent qu’il l’encourage, ce vice, de l’autre. Canettes de bière, hymne au Jack Daniel’s, la fille à l’image figure une fille de joie, qui malmène ses seins et souffle du rein, avec la langue pendue de son amant potentiel à terre, pendant que la fumée de la chicha a l’air d’enfumer les bad boys au biskuti (le terme donné au shit vendu, non loin de là où ça se tourne). On voit des gars qui titubent sur eux-mêmes, qui ne tiennent plus debout, tellement ils sont bourrés, on raconte des histoires de fille sans manière, on monte les enchères avec les billets qui volent. Le clip ose bousculer les tabous, si ombreux en cette société. C’est ce qui fait son succès, y compris dans les mêmes qui ont repris la geste…

La version de Aza du même son.

Titi le Fourbe, grand seigneur du hip hop comorien, qui gravite dans ses mangroves de Hahaya, s’était ému de voir que le succès de ce titre s’est fondé sur un malentendu. Les paroles, certes, sont écrites par les géniteurs de ce qui paraît frôler le scandale, mais le son, lui, a été volé. Ça l’a chagriné., donnant de quoi nourrir les polémiques. Entre les fans de Madjadju et d’Iconi, prêts à en découdre, contre ceux du Hamanvu (de la famille des « Ilatso »), qui le soutiennent. Comme quoi, ce pays a toujours besoin d’une rixe pour mieux se faire entendre. Ce n’est ni la première, ni la dernière. Surtout que le clip, lancé début février, approche bientôt du million cinq de vues, sur YouTube. Un succès qu’aucun artiste du coin ne peut ignorer. Mais si l’on écoute bien le discours de Titi le Fourbe, on peut comprendre là où le malentendu ne paie pas. La musique étant volée, même pas plagiée, ne rapporte rien à ses paroliers sur les plateformes.

Écrites et interprétées par Deyson Max, Fick Boy & LeG Arzam au niveau des paroles, Hama Tsimenyeha est le signe d’un manque de génie au niveau du son. Car il a été emprunté à Auzubilah (signé par Shittu Ismael Owulatobi), tel que paru en octobre 2023, sur YouTube. Il y parlait du rapport à son seigneur. Rien à voir avec l’ivresse et les petites frappes. Plus tard, en décembre 2023, ressortira une version, sous le nom de Starboss vevo, sous le blaze de AZA, avec Mk Amani en feat. Le trio comorien n’a fait donc que reprendre un succès consacré, qui suppose de la facilité au niveau de certains artistes comoriens, qui, plutôt que de se fier à leur savoir-faire musical, préfèrent voler les sons d’autrui, pour dire leur rapport au monde. Ce trio-là n’en est pas à sa première rapine du genre. Ils ont par exemple sorti un autre titre (Huni Wahi), en piquant le son de Lonely Night (Rilès), sorti il y a bientôt deux ans. Mais ils ne sont pas les seuls à pratiquer cette rapine, et on voudrait ne citer personne, aujourd’hui que les uns et les autres se confondent quasiment tous en cover, plagiat et vol.

Un titre des mêmes dont le son a été emprunté à Lonely Night…

Mais on peut en causer. De la musique volée, donc ! Une tradition qui ne date pas d’aujourd’hui. De son temps, Maabadi Mze, auteur-compositeur émérite, évoluant dans le prestigieux orchestre ASMUMO, taclait gentiment ses détracteurs, qui parlaient de plagiat, par cette boutade : « Vous voulez qu’une chanson ressemble à quoi ? A une paire de fesses ? une chanson ne peut ressembler qu’à une autre chance ». Amende honorable du monstre vivant ? Salim Ali Amir l’a repris à sa manière, quand on l’a suspecté d’emprunter aux univers de Lionel Richie ou de Georges Benson. Qu’importe le flacon, c’est la parole qui était reine, en cette époque. Or, il est difficile de remettre en question leur verve dans l’écriture des chansons. Maabadi ou Salim sont de fabuleux paroliers, en prise avec le réel des Comoriens. Et une musique ne naît du vide, mais le génie afflue toujours dans leurs punchlines. Les compositeurs de la chanson moderne comorienne sont tous passés par là. Même Abou Chihabi, le père du Folkomorocéan, héritier des années hippies, avant de devenir le poète de la révolution soilihiste et d’essayer d’y échapper ensuite, s’y est frotté.

On connaît sa fameuse rengaine, arrachée au répertoire de Cat Stevens : « maboto maili o usoni mwangu/ maboto mayili ousoni dingoni mwangu/ eba mini fanyedje, Abu Abu/ E ba minifadjeee ». Sur l’air du tube planétaire Wild Word. Il faut bien commencer quelque part. Chamsia Sagaf et sa fille ont ainsi été aperçus en train de se servir, sans retenue à la table d’un John Lennon, en musique et en parole (Imagine/ Loleya), alors qu’Ali Cheikh, à l’époque du twarab de la révolution, allait pomper sans vergogne à côté, chez les Zanzibari. Il lui suffisait de traduire les paroles, pour saisir le vers dans le fruit. Ceci pour dire que le fait n’est pas nouveau, bien qu’on s’enfonce, en cette époque, dans les covers et autres facilités visant le succès. Reste que les gars de Hama tsimegneha ne peuvent profiter pas de leur scandale. Bien mal acquis ne profite pas. En déclarant le morceau dans une société de droits d’auteurs, l’auteur du son originel pourrait se ferait entendre à son tour. Ce qui ne les empêche pas, en qualité d’interprètes, de se ramasser du buzz et de parader en concert, en jouant aux bad boys du monde afro. Ce n’est pas forcément une réussite dont la scène comorienne peut être fier, mais comme elle s’aligne devant le meilleur de l’afro extérieur, on se dit qu’il faut peut-être en passer par là, pour parvenir à inventer le son de demain. Ne jetons pas le bébé, avec l’eau du bain…

Ce qui est sûr, c’est que les paroles sensiblement simples et répétitives font la nique aux anciens, que ce soit Salim Ali Amir, Boul, Abou Chihabi ou même Baco, le meilleur parolier de l’archipel, aujourd’hui. Ces nouvelles chansons rejoignent une tendance mondiale, où les textes sont volontairement négatifs, centrés sur l’individu relevant de la tristesse et du dégoût de soi. Un travail de recherche récent à l’université d’Innsbruck en Autriche, qui a œuvré notamment autour de la pop, le dit. Ces nouveaux titres sont rendus moins complexes dans leur structuration, conjuguant la facilité sans limites, afin de mieux capter le consommateur, qui n’a plus l’air du mélomane averti, assoiffé d’originalité. Les chercheurs en conclusion de ce travail universitaire disaient que « les paroles de chanson sont devenues simples au fil du temps, si l’on prend en compte les aspects de richesse du vocabulaire, de lisibilité, de complexité et de répétition des phrases ». Toutes, choses, sur lesquelles la poétique comorienne, défendue par les Anciens et leurs plus récents représentants (Salim Ali Amir, Baco), prend au sérieux. Mais qu’en pensent les nouvelles stars montantes de la pop comorienne ? Les Say’s, les Goulam, les Zoubs Mars, les Dadiposlim ? Cheikh Mc et AST, des valeurs sûres du hip hop de la capitale, avaient l’air de s’en soucier à une époque. Titi le Fourbe, en tous cas, a l’air de défendre une autre école depuis son fief de Hahaya. Son répertoire, en musique et en parole, a l’air de sonner juste et bien local. Et les autres ? Tous les autres ? Les Maalesh, Nawal, Mikidache, M’toro, Eliasse, toujours à la pointe de l’autre pop, dite world ? La chanson comorienne serait-elle en train de foutre le camp ou bien n’est-ce pas si mauvais ? Le micro reste ouvert…

Med

La photo de couv. est extraite du clip Hama tsimegneha.