Mes ancêtres africains

Un retour sur le récit des débuts. Avec l’avènement des ancêtres communs, d’une île à l’autre, de Ndzuani à Maore. Un questionnement de Rabouba Jr Al Shahashahani autour des origines. Du sémite aux Beja…

Longtemps nous avons été persuadés de descendre des Arabes. Dans ma ville natale, la plupart des gens se définissent ainsi, comme descendants des Arabes du Yémen ou d’Oman, surtout. Pour vérifier ces propos, je suis parti demander à mon père d’où nous venions et qui se trouvait là avant l’arrivée de nos ancêtres Sémites, ainsi que la manière de communiquer entre eux. Ses réponses, n’étant pas satisfaisantes, je suis parti à la recherche d’autres sources. Et le résultat fut une révélation…

Damir Ben Ali nous rapporte le récit de feu Abderemane Abdallah Moussa Hazi de Wani. « La tradition indique que les Africains[1] se sont installés dans la presqu’île de Sima, puis pénétrèrent à l’intérieur du pays à la recherche des meilleures terres et se fixèrent dans la région de Banda Digo, à l’est de l’île. Après quelque temps, ils consultèrent leurs devins et décidèrent d’aller s’installer dans une cuvette qu’ils appelèrent Koni. Ils ont été les premiers habitants de cette région. Leur roi portait le titre de Fey. Fey Ntrambavu[2] était le premier souverain de Koni. À sa mort, son fils l’a remplacé, il s’appelait Fey Nkwehe. Celui-ci a eu pour fils Fey Adjidawe ».

En poursuivant mes recherches, je suis tombé sur la thèse de Bourhane Abderemane. On apprend que Fe Adjidawe a eu un fils : Wazir (Fe) Mavuna. A son tour, ce dernier eut trois fils : Wazir (Fe) Mdomoni, Wazir (Fe) ‘Ali et Wazir (Fe) Msa. Ses enfants furent les précurseurs de la royauté de Ndzuani.  Il y eut l’instauration d’une nouvelle ère, à partir de leurs descendants : celle des Beja[3]. Selon les témoignages, les Beja viendraient de l’actuelle Somalie. Lors de son passage dans l’émission de Wadjih Abderemane, Bourhane Abderemane admit cette hypothèse. On trouve les mêmes pratiques de danse à Ndzuani, en Somalie et en Éthiopie, d’après l’archéologue Ibrahim Moustakim.

J’ai voulu connaître l’origine des Beja. En lisant le livre[4] d’A. Paul, il rapporte le récit oral d’un des peuples Beja : Amarar. Le récit raconte que les Beja descendent de Kush, fils d’Ham [Cham], fils de Noé. Ceux-là auraient migré au Soudan, après le déluge. Cependant, l’histoire[5] nous renseigne que la première fois où l’on a évoqué ce terme, c’était au 15ème siècle avant J.-C. durant le règne du per-aâ [pharaon] Toutmès 3, sous le nom de Bukak. La signification de celui-ci était « les peuples du Sud ». Il s’agissait de différents habitants du Sud de l’Égypte antique. Nous, qui appartenons aux Beja de Ndzuani et de Maore, sommes les descendants d’une femme Beja, dont l’histoire est contée depuis des années. Le défunt Mouhoudhoir Sidi l’a transmise à Damir Ben Ali[6].

Cette femme Beja faisait des allers retours entre Mzamboro et la région de Domoni. L’un de ses parents venait de Ndzuani, tandis que l’autre était de Maore. Elle allait d’une rive à l’autre. Elle eut un migrant pour époux, de la contrée irakienne, Ahmad bin Muhammad bin Husayn al-Abadiya. Il est arrivé à Ndzuani vers 824 de notre ère. Celui-ci fut le bâtisseur de la cité de Shaweni. Le mariage consommé, la femme tomba enceinte et rentra à Maore. Elle accoucha de trois filles. Deux, Mma Pate et Mma Kasidi, ont été conduites auprès de leur père, alors que l’autre resta à Maore. Leurs descendants sont Fani Jumbe Hadia, la femme de Hasan bin Muhammad, le premier sultan de Ndzuani, et Fani Mwana Singa, la femme de ‘Uthmân bin Ahmed, le premier sultan de Maore.

En plus d’être descendant de cette femme Beja, je suis, également, un descendant d’un homme Beja, appelé Beja Mchoro. Il fut souverain d’un village de la forêt de Moya. Il est le co-fondateur de l’actuelle ville de Moya avec le shirazien, Askandari bin Hasan bin ‘Ali al Fârisî. Ce dernier était le frère du premier sultan de Kilwa, ‘Ali bin Hasan bin ‘Ali al Fârisî. Or le frère de mon ancêtre fut l’ascendant de tous les sultans de notre archipel. Et celui-ci, en arrivant à Kilwa, contracta un mariage avec la fille du souverain du peuple Machinga, connu sous le nom de Mze Mrimba. Ce qui fait de lui mon ancêtre. Et voici son histoire[7] :

« Parmi les habitants qui ont construit Kisiwani, les premiers étaient de la tribu Mtaka, les seconds des habitants de Jasi, de la tribu Mranga. Puis vinrent Mrimba et son peuple. Ce Mrimba était de la tribu Machinga et il s’est installé à Kisiwani. Il devint le chef de Kisiwani. Puis vint le sultan Ali bin Selimani[8] le Shirazi, c’est-à-dire le Persan. Il vint avec son bateau, apporta ses biens et ses enfants. . . Il se rendirent chez le chef du pays, l’ancien Mrimba, et lui demanda un endroit où s’installer. C’est ce qu’ils ont obtenu. Et ils ont donné à Mrimba des cadeaux de marchandises et de perles ». Sultan Ali épousa la fille de Mrimba. Il offrit des présents (tissus, perles) au peuple, avec qui il était en bons termes. Mais un jour, le sultan persuada la fille de Mrimba : « Dis à ton père qu’il est préférable pour lui de quitter Kisiwani et de vivre de l’autre côté du Continent. Car il ne convient pas d’habiter au même endroit que moi. C’est mon beau-père. Je vivrai ici à Kisiwani. Ce sera assez si je gère nos affaires. Chaque fois qu’il voudra venir à Kisiwani pour me voir, il peut venir, et de même je peux aller le voir de la même manière ».

La fille de Mrimba fit la commission à son père, qui admit le fait. Mais il ajouta : « Dites au sultan Ali qu’il doit alors étaler du tissu pour moi tout le long du chemin, afin que je puisse marcher jusqu’au Continent. Je ne suis pas d’accord si cela échoue ». Sa fille fit le chemin en sens inverse. Et le sultan finit par accepter le souhait du vieux Mrimba. Il étendit du tissu, de Kisiwani au Continent opposé, et Mrimba passa par-dessus. . . Nous ne sommes donc pas que des descendants de Sémites. Nous sommes, également, les descendants d’Africains venus de l’Afrique centrale (Wanyamwezi), de la Corne d’Afrique (Beja) et d’Afrique de l’Est (Machinga). Cela ne s’arrête pas là, puisque certains ont des ancêtres Austronésiens et, plus récemment, des aïeux Européens.

Rabouba Jr Al Shahashahani


[1] Ses hommes et femmes ont pris la mer pour aller fonder divers villages comme celui de Mzamboro, bâti par les Wazambara. Leur venue a été causée par la guerre contre les Himyarites qui ont été envoyés sur leur territoire par le roi (tubba) de ces derniers dans le but de chercher de l’or et édifier des comptoirs au profit de leur royaume.

[2] Pour rappel, Fe Ntrambavu est désigné comme compagnon de Fe Mdjonga. Ces individus, selon Damir Ben Ali, sont arrivés du pays Unyamwezi au cours du IIIe siècle. D’après Moussa Saïd Ahmed, ils ont, d’abord, transité par Pemba, avant d’accoster au Sud de Ngazidja, précisément, à Male.

[3] Il faut savoir que l’ère Beja était éparpillée sur l’ensemble de l’archipel. A Maore, nous avions le souverain, Beja Mdu, de l’ancien village de Dembeni.

[4] A. Paul, A History of the Beja Tribes of the Sudan, 1954.

[5] Mohamed-Tahir Hamid Ahmed, Paroles d’Hommes Honorables, Essai d’anthropologie poétique des Bedja du Soudan, 2005.

[6] Revue Ya Mkobe, numéro 1, 1984.

[7] Derek Nurse et Thomas Spear, The Swahili Reconstructing the History and Language of an African society, 800-1500, 1985.

[8] Dans une autre version le nom est ‘Ali bin Hasan al Fârisî.