« Éviter que ça se répète »

Présentation en avant-première, samedi dernier, du film Zanatany L’empreinte des linceuls esseulés de la réalisatrice franco comorienne Hachimiya Ahamada dans une salle de l’Alliance française de Majunga. Une plongée terrible dans un des épisodes les plus sanglants que les Comoriens de Madagascar ont été amenés à vivre.

Remonter à la généalogie d’une tragédie. Retrouver le fil décousu des massacres de 1976. Entrer par effraction dans la grande histoire à travers le récit intime d’un homme. Ali, témoin d’une discorde de voisinage entre deux familles, l’une comorienne, l’autre malgache, se retrouve au cœur des événements dits de Majunga, qui vont mener au massacre des Zanatany. Une situation terrible où les machettes et le pillage vont menacer cette cité malgache où l’étranger pouvait potentiellement incarner une force de vie. Une fiction, inspirée de faits réels, mais qui sait naviguer à son rythme, sans bousculades, afin de mieux scruter les non-dits. Il est question d’un épisode devenu tabou au fil du temps pour tous les natifs de l’île.

Des acteurs du film, lors du débat, samedi 20 avril 2024.

A Majunga, où le film est présenté en avant-première, ce samedi 20 avril, des voix s’élèvent pour figurer un angle mort. Le rutaka s’est longtemps refusé au récit. Mais Majunga, sa lenteur, son soleil, sa rudesse, portent un œil neuf, désormais, à ces événements, grâce à la réalisatrice franco comorienne, qui puise, y compris, dans la mémoire familiale pour combler les manques. Ses parents ont longtemps vécu là. Aux premiers repérages, elle avait essayé de retrouver leurs traces. Elle a fini par retrouver quelques vieilles connaissances parentales, par reconnaître surtout la maison où ils avaient vécu et par sentir l’odeur du non-dit. Les Zanatany ont dû mal à réinterroger les faits dans leur chair. La peur de réveiller le serpent qui dort sous la pierre les tenaille au corps. Ceux qui, comme Ali, se sont retrouvés à Moroni, après les massacres, hésitent à nommer ce qui leur est arrivé.

2.000 à 3.000 comoriens condamnés à une mort certaine en moins de trois jours. Des journées d’horreur dans l’histoire de la grande île. Le court-métrage raconte l’effondrement d’une fraternité plutôt ancienne entre les malgaches et leurs voisins originaires des Comores. Les pogroms de l’époque faisaient écho au discours tenu par feu Ratsimandrava. Le discours nationaliste de ce chef d’État, assassiné huit jours après sa prise de pouvoir, prônait une reconquête de l’île par ses propres enfants. Les Comoriens, bien qu’installés à Majunga depuis plus de trois générations, étaient soudain considérés comme étrangers par les malgaches venus de l’intérieur. En toute pudeur, Hachimiya Ahamada raconte cette histoire, sans partis pris, ni à priori. Par refus de l’oubli, sans doute.

L’affiche du film. Hachimiya Ahamada, la réalisatrice, Chrystelle Lafaysse, la directrice de l’Alliance française de Majunga, et Soeuf Elbadawi, qui joue Ali, le rôle principal du film Zanatany.

Ceux qui sont demeurés à Majunga, après coup, préfèrent, eux, causer d’autre chose. Car le passé est parfois difficile à cerner. Il est à la limite de l’inconséquence, à écouter les témoignages, pris dans le désordre. La plupart du temps, les Comoriens s’auto accusent, en évitant de parler de l’agresseur. « Nous avons des tas de choses à nous reprocher. Les Malgaches nous trouvaient fourbes, mesquins. Je ne dis pas que c’est juste, mais ce sont des faits ». Il en est qui précisent : les Betirebaka, accusés d’avoir fomenté le coup, n’étaient constitués que de quelques meneurs, payés (par qui ? nul ne le sait), pour porter cette tragédie de la haine sur leurs frêles épaules. Fundi Hadji Toiwil, gardien de la mémoire, s’il en est, rappelle comment s’est finie la vie du principal agresseur, celui-là même par qui le scandale est arrivé. Un jour de paie, il est parti boire des coups avec des amis, qui l’ont poignardé pour le dépouiller. Un fait divers, qui n’a guère interpellé, à l’époque.

Fundi Hadji Toiwili, personnage respecté au sein de la communauté, pense par ailleurs que l’enfant, à l’origine de l’agression, ne serait pas issue des rangs betsirebaka : « Les meneurs l’ont revendiqué comme étant pour faire monter les enchères contre les Comoriens. Il y a eu manipulation ». Selon lui, le conflit devait éclater contre la communauté Karani au départ, mais il a été détourné, au dernier moment, de son objectif. Détourné, puis dirigé contre les Comoriens, qui, à force de cumuler les emplois subalternes, donnaient l’impression de faire de l’ombre aux Malgaches du coin. Hachimiya Ahamada privilégie, elle, l’apaisement. Il y a comme un désir chez elle de faire taire les tensions, 48 huit années après. L’action du film est mesurée. Du début à la fin. « Est-ce qu’il pouvait en être autrement ? C’est un court-métrage. Possible qu’un long aurait permis d’entrer plus en profondeur dans le sujet, alors qu’un cours expose à plus d’ellipses » explique l’un des spectateurs. Plus d’ellipses égal plus de non-dits.

Prise de parole du public, lors de l’avant-première, samedi 20 avril 2024.

« Maintenant, la parole va pouvoir se libérer. Il suffit d’entendre les réactions du public après cette projection ». Beaucoup s’attendaient à voir un film-procès, qui mette à nu les manquements de 1976. En lieu et place, Hachimiya Ahamada a choisi la pudeur. Dans son film, elle suggère plus qu’elle n’étale les souffrances entendues. Ali, son personnage, a presque vécu cette histoire, malgré lui. Il pensait que la violence mise en jeu ne pouvait l’atteindre, qu’il lui suffisait de hausser le ton pour que l’adversaire baisse le sien, et ce, jusqu’au moment où il retrouve le corps meurtri de l’une de ses filles, au bout de la cour. Au début du film, on le voyait assis dans un fauteuil de la compagnie Sabena, en pleine expatriation, vers les Comores. Car c’est là que le bât finit par blesser. Les zanatany sont des fils et filles des deux rives. Ils ne peuvent se réclamer d’une seule patrie, même si une rive ou l’autre donne l’impression de les rejeter. Le film de Hachimiya Ahamada a fait mouche à Majunga, par sa capacité à éviter de raidir ce genre de position.

« Son scénario est prudent. Il ne relance pas le débat dans le mauvais sens. Au contraire, il laisse les gens sur leur faim. On a envie de savoir ce qui s’est réellement passé. Les générations actuelles vont lui être redevables » se félicite un monsieur au chapeau de burzani. Aux histoirens de faire leur boulot, à présent. Ému, un homme dans le public souligne : « Il ne faut pas que ça se répète. Il faut donc en parler, pardonner et passer à autre chose. Il ne faut surtout pas que ça tombe dans l’oubli. Nous tous – Malgaches – on est des arrivants à Majunga. Ce qui fait la spécificité du Comorien ici, c’est la proximité ! Les Comores, c’est à vol d’oiseau. On voudrait les voir comme étrangers, mais cette proximité fait d’eux des malgaches, comme nous. Quelque part dans le film, est précisé que le personnage principal, M. Ali, était, propriétaire de terrain. Et ce n’est pas faux ! Tous les anciens quartiers appartenaient ici à des Comoriens. Ils étaient propriétaires des terres. Pourquoi ne pas leur reconnaître le droit d’être malgache, y compris en qu’ils sont d’origine comorienne ? Je voudrais que l’on reformate nos cerveaux et qu’on leur reconnaisse ce statut, tout comme les Betsirebaka, qui, eux, ne sont pas originaires de Majunga ».

Med (avec S.)

A la Une, la projection à l’Alliance française de Majunga.

+ d’infos : un film pour raconter les massacres de 1976.

+ Bande-annonce : Zanatany