Pour que vivent nos morts

 » La mort appartient aux vivants et nos morts doivent demeurer vivants. Tous nos morts. Sans exceptions aucunes. À chaque homme son histoire. À chaque peuple ses morts. N’oublions pas les nôtres « . Cette chronique devait paraître dans le journal Al Fajr, le 16 novembre 2018 à Moroni. Nous la reprenons ici, avec l’autorisation de l’auteur, Simba Khaled.

Sous la houlette de l’ambassadrice de France, une stèle commémorative a été installée place des banques, pour les tirailleurs comoriens, ces poilus qui « ne se sont pas battus en vain », morts pour la France. Une bonne chose. Une très bonne chose. Il était temps que ces hommes retrouvent la vie et cela nous réjouit. Qu’il faille attendre 100 ans et Mme Jacqueline Bassa-Mazzoni, ambassadrice de France à Moroni, pour le faire, un peu moins. Nos morts méritent la vie et il appartient à nos autorités d’y veiller. L’on ne devrait pas attendre l’impulsion d’une autre république, aussi « amie » qu’elle puisse être, pour chanter nos morts.

Homaz

La commémoration de la grande guerre avec les officiels comoriens et le mufti sur la place des banques, ancienne place forte du « gouverneur colonial », à Moroni. C’est là, semble-t-il, que se tenait le défilé du 14 juillet, avant 1975.

Ils sont nombreux à être tombés pour les Comores, pour son intégrité et pour sa survie. Leur mémoire nous appartient. Nous nous devons de donner du sens à leur sacrifice. Pendant cette Première Guerre mondiale, selon l’historien Mahmoud Ibrahim, nous avons connu la première insurrection patriotique aux Comores, contre la colonisation française. Une révolte matée par l’empire colonial à coup de renforts, de tirailleurs sénégalais venus de Madagascar. Beaucoup de blessés et trois morts, qui ont inscrit leurs noms, dans le panthéon des « valeureux, patriotes » comoriens : Massimu, Mtsala, Patiara.

Il y a des moments de vie qui marquent et fondent une république, et cette insurrection en est une. Ceux qui y ont laissé la vie ne méritent pas l’oubli. Le souvenir et le respect sont le minimum que l’on doit leur réserver. À défaut de mieux. Faites un tour dans le Dimani, en Grande Comore ; vous ne raterez pas ce vide, caractérisant les tombes de Massimu et Mtsala. Eux qui ont donné la vie pour le bien de leurs concitoyens. Eux, que les gouvernements successifs des Comores indépendants ont ignorés. Il est révoltant qu’il faille attendre une action du scout Ngomé de Ntsudjini, pour que ces deux tombes soient un minimum identifiées et « protégées » de manière très minimaliste. 

Les tombes de Masimu et Mtsala dans un no man’s land de verdure, sur la route du Dimani. A peine si l’on sait qui dort là et si quelqu’un arriver à vous situer l’endroit exact, sans difficultés.

Il ne s’agit pas ici de parler du passé, mais du présent de ces trois hommes. La république avec un petit « r » les a oubliés. Aucune république – qui se respecte – n’aurait fait pareil. Nous sommes hélas en Union des Comores et l’ambassade de France ne va sûrement pas initier, la pose d’une plaque commémorative, en faveur de ces hommes. Mais nos gouvernants, de tous bords, semblent donner de l’importance à l’histoire et à nos morts, seulement quand l’ambassade de France l’initie ou chapeaute l’évènement. Mais l’ambassade ne fera rien de bien meilleur. Walou ! Comme elle ne fera rien non plus pour les morts entre le bras de mer séparant Anjouan et Mayotte. 

Ces morts qui n’ont pas de nom, ces morts qui ne font plus pleurer, ces morts qui n’intéressent plus personne. Chassés par la P.A.F. française, qui sévit illégalement dans les eaux comoriennes, ces morts que personne ne revendique sont les enfants de la nation. Ils continuent encore aujourd’hui à braver les océans, pour rejoindre ce bout des Comores sous occupation. Les ignorer comme c’est le cas, aujourd’hui, revient à les tuer encore et encore. Une double ou des multiples peines, que vivent ces familles endeuillées. L’artiste Soeuf Elbadawi essaie d’une certaine manière de donner vie à ces âmes au théâtre et ailleurs.

Le chantier de la stèle, en hommage aux morts du Visa Balladur, initié par l’artiste Soeuf Elbadawi, avec le concours de la mairie de Moroni. C’était juste avant l’interdiction du projet par la gendarmerie nationale, sous les ordres du commandant Rafik Abdallah, et le préfet Djouhoud, pour des raisons de secret défense, a-t-on alors annoncé.

Son époustouflant Un dhikri pour nos morts nous rappelle le quotidien de ce bras de mer et celui de ce peuple qu’on tue. Quel fut mon étonnement quand en 2015 la gendarmerie nationale, arrêta l’artiste, pour avoir voulu rendre hommage aux morts du Visa Balladur, en érigeant un mémorial sur la place des banques (cette même place qui abrite désormais le monument aux morts comoriens de la guerre 14-18) avec l’autorisation de la mairie, évidemment. Mais quand on voit la manière dont on célèbre la « journée Maore », on comprend l’importance qu’accordent nos gouvernements à cette question.

« Et rappelle, car le rappel profite aux croyants ». Cette traduction du verset coranique (S51-V55), nous montre si besoin était, la nécessité de faire vivre nos morts. Se rappeler des morts et de la mort, pour construire la vie. Se souvenir du bon comme du mauvais. S’en servir pour mieux appréhender l’avenir. C’est dans ce sens que l’on affirme que la mort appartient aux vivants. Mais comment espérons-nous construire, en faisant fi de l’histoire, de notre histoire. Cette histoire qui s’écrit au présent, chaque jour que dieu fait, entre Ndzuani et Maore. Cette histoire qui retrace le passé de nos aïeux. Morts pour nous. Pour les Comores. Le mémoriel aux morts, sis à la place des banques, est une bonne chose, malgré les questionnements qu’il peut susciter. J’espère qu’il donnera des idées à nos gouvernants, car tous les morts méritent une sépulture. Ceux d’un passé lointain comme ceux d’aujourd’hui nous appartiennent. À nous de les honorer comme il le faut.

Soyons intègres, soyons citoyens, soyons « Comoriens », et le meilleur suivra.

Khaled SIMBA