Zaïnaba et ses chants de femmes

La voix d’or prête sa voix aux chansons d’autrefois. Paroles et mélodies de deuil, de mariage ou de naissance. Entourée de jeunes, la chanteuse redonne vie aux pièces anonymes du patrimoine traditionnel avec son dernier album, sorti chez Buda Musique à Paris[1]. Ecrit à l’occasion de la seconde édition du Komor 4 Festival en 2006, cet article de Lisa Giachino est paru dans le journal Kashkazi du 19 janvier 2006. La chanteuse devait se produire à l’Alliance française de Moroni.

Que faisaient les femmes d’autrefois quand l’une des leurs devait mettre un enfant au monde, assistée seulement d’une matrone ? « Elles allaient dans une salle à côté de celle où la femme accouchait et elles chantaient, pour empêcher les passants d’entendre ses cris », raconte Zaïnaba. « Elles chantaient des bénédictions, des prières, pour que l’accouchement se passe bien, que l’enfant et la mère ne meurent pas. Et parfois, la femme se mettait à chanter avec elles au lieu de crier ». Ces encouragements mélodiques ne sont plus qu’un souvenir – et encore – à l’époque où les femmes qui en ont les moyens vont à la maternité. Comme beaucoup d’autres chants qui accompagnaient les mariages, circoncisions, et plus tard les victoires d’hommes politiques aux élections, explique Zaïnaba.

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C’est ce patrimoine que la chanteuse comorienne, originaire de Mitsamihuli et installée à Paris, s’emploie à faire revivre en collaboration avec Soeuf Elbadawi. Pour le producteur, il s’agit du prolongement d’un travail sur la mémoire musicale du pays, qui l’avait déjà conduit à plonger dans les archives sonores de Radio Comores et à enregistrer un album de chants anciens, interprétés dans les années 1970 et 1980 par des villageois anonymes. En prêtant sa « voix d’or » à ces vieilles mélodies, Zaïnaba Ahmed amorce quant à elle un virage dans sa carrière. Après deux albums de variété qui ne lui ont pas vraiment permis de franchir les frontières de la musique dite communautaire, son disque, Chants de femmessorti en décembre 2005 chez Buda Musique à Paris, est considéré l’Académie Charles Cros en en France comme l’une des révélations dans la catégorie « musiques du monde » de l’année passée.

Enregistré à Moroni, l’album respecte à quelques arrangements près l’orchestration originelle des morceaux : la voix de Zaïnaba est seule avec les percussions et le chœur de femmes. « Damir Ben Ali (historien et président de l’Université des Comores, ndlr), qui a étudié les chansons traditionnelles, a écouté tous les morceaux avant la sortie », indique Soeuf Elbadawi. Pour l’enregistrement, Zaïnaba a travaillé avec des jeunes filles de Moroni, pour les chœurs, et des garçons aux percussions. « Les filles ne connaissaient pas du tout ces chansons », se souvient-elle. « Elles avaient plutôt l’habitude de la variété. Mais elles ont chanté avec amour. Moi-même, j’en connaissais un peu certaines et il y en a d’autres que j’ai complètement découvertes ».

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Cette semaine, Zaïnaba réitère l’expérience avec cette fois un groupe de jeunes de Ntsudjini, qui a l’habitude de répéter des chants et danses traditionnels au sein de l’association du Scout Ngome. Les répétitions se succèdent au foyer du village entre les jeunes filles, les percussionnistes et la chanteuse, en vue des concerts de samedi à l’Alliance franco-comorienne de Moroni et de mardi à l’Alliance de Fomboni. La voix pleine de Zaïnaba, qui donne une nouvelle dimension aux chansons d’antan, se mêlera sur scène à celles, un rien acides, de jeunes filles qui ont appris à chanter auprès de leurs aînées. Toutes rappelleront comment on endormait les enfants, célébrait les naissances et fêtait le retour des héros au temps de leurs arrières grands-parents.

Une façon de rendre justice à un patrimoine musical en voie de disparition. « On n’entend plus ces chansons sur les radios », observe la chanteuse.« On a tendance à oublier. Les jeunes s’intéressent beaucoup plus à la musique étrangère. Cette musique est menacée d’extinction ». Si une partie de ces chants sont fixés sur les bandes radiophoniques, bon nombre d’entre eux risquent de disparaître avec les dernières personnes qui s’en souviennent. « J’ai un projet à ce sujet », confie Zaïnaba. « Il s’agit de faire le tour des îles pour rencontrer les femmes qui connaissent ces chants, et enrichir le répertoire. En les interprétant j’ai le sentiment de donner une vie, une renaissance à ces chants ».

Lisa Giachino I Kashkazi
[1] Chants de femme des Comores, encore disponible. Pour le commander, se rendre sur le site de la maison de disque.