Diaspora associative au fondement du lien

L’espace communautaire s’est toujours organisé selon des principes de regroupement identitaire et d’entraide sociale aujourd’hui éprouvés. Saura-t-il se transformer pour satisfaire les aspirations des nouvelles générations de Comoriens ? Saura-t-il muer, afin de devenir pour l’ensemble des Comoriens de France un gage d’intégration dans une société où l’affirmation de soi est un passage obligé ? Repris une première fois le 01 mai 2002 par feu Komornet – premier site comorien d’information culturelle et citoyenne, aujourd’hui disparu – cet article que Soilih Mohamed Soilih a d’abord écrit pour la revue Maandzish garde toute son acuité, encore aujourd’hui.

Issus d’une société dotée de structures relativement hiérarchisées et complexes, les Comoriens résidents en France constituent l’une des communautés qui recourent le plus au cadre juridique et organisationnel qui régit la liberté d’association depuis un siècle. Cependant, cette référence à la loi 1901 pourrait être trompeuse, tant la majorité des organisations comoriennes semblent loin de l’esprit du législateur français. En fait, de manière quasi instinctive, les Comoriens installés à l’étranger se regroupent toujours en association déclarée ou non. Il en fut ainsi à Madagascar et à Zanzibar (premiers cercles vitaux de la migration comorienne de l’entre-deux guerres), avec des clubs sportifs, des orchestres, des confréries ou des organisations politiques, parfois dotés d’imposants bâtiments et exerçant une influence souvent décisive sur la marche de l’archipel. Le but essentiel consiste en un rassemblement identitaire dans un espace donné. Ce même phénomène se reproduit aujourd’hui au Moyen-Orient, au Maghreb, en Afrique Noire, comme en Amérique du Nord, avec quelques rares variantes.

Lors d’une manifestation politique de la diaspora à Marseille.

Un tissu associatif dense. En France, au milieu des années 1960, c’est l’ASEC qui fut la première organisation à se référer à la loi 1901, adhérant ainsi à la laïcité, comme le firent théoriquement et administrativement la presque totalité du mouvement associatif naissant aux Comores après 1968. Cela, bien avant que cette organisation estudiantine ne décide de se muer progressivement en une organisation politique radicalement d’extrême-gauche, sous couvert de « syndicalisme révolutionnaire », c’est-à-dire à priori une approche de rupture socioculturelle. Mais, justement ou paradoxalement (c’est selon), l’influence de celle-ci tendait à éloigner la communauté comorienne en voie d’installation de toute orientation et de toute pratique visant l’intégration par rapport à la société d’accueil. Elle cherchait à consolider l’idée que le migrant comorien en France n’était que de passage, contribuant ainsi à élever le mythe du retour au rang d’idéal incontournable. Evidemment, cela ne pouvait que renforcer l’aspiration identitaire au risque de démultiplier un effet contraire au résultat espéré. En lieu et place du patriotisme proclamé, la démarche communautaire s’est focalisée sur une adhésion à l’appartenance villageoise comme principale alternative. Concrètement, surtout avec la migration massive des années 1970-80, la loi 1901 signifie pour la communauté comorienne la possibilité de reconstituer des villages, en regroupant sous forme associative des migrants originaires d’une même entité villageoise (parfois étendue à une sous-région ou à une île ou au contraire subdivisée en quartiers).

Cela se traduit par un demi millier d’associations principalement établies dans le fameux triptyque Paris-Lyon-Marseille, auquel s’ajoutent pour des raisons historiques Dunkerque et le Havre, villes portuaires accueillant nos premiers « navigateurs » et faisant pendant aux villes universitaires telles que Bordeaux et Toulouse… Ces organisations ont le mérite (et c’est leur raison d’être) de constituer une véritable pompe à finances pour les projets villageois. Les esprits chagrins ou sceptiques préfèrent parler de « communauté-vache-à-lait », sans trop s’interroger sur les réseaux de solidarité en amont qui permettent à des individus aux revenus estimés à 3.000 FF/ an/ personne de réunir les conditions d’un voyage coûtant plus du double de cette somme ! Toutefois, la critique majeure met en évidence le fait que cette contribution non négligeable à l’évolution du pays d’origine s’effectue en champ clos, alors que la Banque centrale des Comores avance le chiffre de 20 milliards fc, en comptabilisant à la fois les transferts financiers et les apports matériels, sans prendre en compte ce que le pays aurait dû encore dépenser pour assurer la scolarité, les soins de santé et autres « minima sociaux » de tous ces migrants. Finalement, ces structures ne bénéficient que trop rarement de l’expérience et de la dynamique associative française, qui aideraient à mieux évaluer la viabilité des projets en question, à y insuffler des critères d’efficacité en amont et de rentabilité en aval, pour que tant de travaux d’utilité publique ne s’engloutissent pas dans la quête effrénée du « pouvoir de l’honneur », qui sert souvent de locomotive à la mobilisation des énergies et d’une épargne durement acquise.

Lors d’une manifestation communautaire contre le meurtre du jeune Ibrahim Ali.

Bientôt une charte ? Actuellement et d’une part, orphelin de la défunte ASEC, le mouvement étudiant éprouve bien des difficultés à se restructurer et à prendre une envergure dépassant les limites académiques. D’autre part, la jeunesse issue de la migration exprime une réelle demande d’organisation à caractère thématique (sportive, culturelle, musicale, humanitaire et de plus en plus économique), navigant entre les besoins identitaires et les nécessités de l’insertion socioprofessionnelle dans le pays d’accueil devenu lieu de naissance. En 1998, cette contradiction (ou plutôt cette complémentaire dualité) marqua sensiblement les travaux des deux conférences dites de la « diaspora » comorienne, tenues à Marseille et Dunkerque, aussi bien du fait de l’épineuse question nationale (projet de référendum à Mayotte / séparatisme à Anjouan) que de la confrontation à la problématique de l’adhésion à la citoyenneté telle que posée depuis la dramatique éruption du FN/ MN dans la vie du Comorien après l’assassinat du jeune Ibrahim Ali. Depuis, les observateurs avertis attendent de voir dans quelle mesure « la charte annoncée » par la coordination des associations comoriennes à l’étranger pourrait prendre ou non en compte les nouvelles implications des migrants comoriens dans les mouvements dits des « sans-papiers », des « mal-logés » et autres victimes de l’exclusion générée par les effets pervers de la mondialisation, qui emporte des pans entiers du « welfare state ». En effet, il se dégage en milieu communautaire comorien une nette impression d’hiatus entre mouvement associatif et mouvement social.

Et si l’association était au fondement du lien social ? A ce propos, et sachant que les spécialistes de la démographie tablent sur un nouvel appel d’air des sociétés occidentales pour faire face au vieillissement des populations, on pourrait épiloguer indéfiniment sur la pertinence du terme « diaspora », qui véhicule une charge émotionnelle significativement sans réel lien avec le contexte comorien. Encore que Zanzibar et Majunga continuent à interpeller nos mémoires gommeuses. Il reste qu’à cet égard l’essentiel est peut être dans la démarche qui se construit dans toutes ses difficultés et ses ambiguïtés. En effet, il est symptomatique de noter le nombre sans cesse croissant d’initiatives pratiques et de travaux universitaires concernant la communauté comorienne en France. Même si l’on ne perçoit que sous une faible lueur les applications qui permettraient au migrant comorien et à son réseau associatif si dense d’effectuer une dialectique fructueuse du rapport entre le particularisme identitaire, villageois, national ou autre, et la réalisation de projets davantage porteurs d’universalité.

Soilih Mohamed Soilih

En Une de l’article, la couverture de la revue Hommes et Migrations consacrée en 1995 à la communauté comorienne de France.