Génération diasporique

Il était une fois cette histoire. Avec la Diascom – organe aspirant à la coordination des actions menées par les différentes associations de la diaspora comorienne en France – un dimanche 19 mai 2002 en région parisienne. De nombreux membres s’étaient retrouvés à Villejuif pour saluer la dynamique que les nouveaux dirigeants souhaitaient mettre en place. Récit d’un dialogue de sourds entre générations. A travers le regard d’une jeune enseignante du Nord-Pas-de-Calais, issu de la seconde génération des Comoriens de France. Cet article est paru une première fois en mai 2002 sur Komornet – premier site comorien d’information culturelle et citoyenne, aujourd’hui disparu. Le texte garde un intérêt certain, encore aujourd’hui, et rend compte, surtout, d’une époque d’interrogations au sein de la comorienne en France.

Les rencontres comoriennes/ ou à la comorienne sont toujours pleines de surprises. On ne sait jamais avant d’y aller ce qu’on va y trouver ! Et je fus agréablement surprise, non pas que l’organisation fut des plus réussies (la faute étant plutôt du côté de la mobilisation de la communauté), non pas que les débats furent orientés de manière originale, mais parce que pour une fois, j’ai eu l’impression qu’il y avait vraiment eu de la part des intervenants une véritable réflexion et aussi qu’est en train de se créer une réelle dynamique et une « conscientisation » de la communauté en France. Des gens se sont exprimés sur le fossé existant entre les anciennes et les nouvelles générations, sur les très belles réussites de certains comoriens et la forte et terrible délinquance touchant au contraire les autres. On a aussi parlé des problèmes de transport aérien avec certaines compagnies et des moyens de se porter partie civile en cas de litige avec celles-ci, c’est-à-dire si le contrat n’est pas respecté, mais aussi du manque extrême de courtoisie, pour parler gentiment, d’une minorité de comoriens se croyant tout permis quant aux kilos de bagages, aux dates de retour arrachées à Moroni aux dépens d’autrui…

Les interventions furent nombreuses, mais je regrette le fait qu’elles furent presque toutes menées en langue comorienne, exceptée celle de la présidente de l’association Terre d’Europe, venue évoquer la difficile pratique de la religion musulmane en France. Des interventions en shikomori qui ont dérouté ceux qui, comme moi, sont nés en France ou vient depuis petits ici et ne maîtrisent pas cette langue du pays. Le débat concernant la part de responsabilité de nos parents à ce sujet ne devrait pas s’étendre. Je pense qu’il est nécessaire de se concentrer sur le fond, au lieu de les accabler. Veut-on laisser une chance à notre génération de participer à la vie communautaire ou veut-on nous exclure? Avant d’essayer de comprendre l’intégration des enfants d’immigrés en France – ce que souhaite également faire la Diascom – il faut d’abord se demander ce que les familles mettent en place comme dispositifs pour intégrer ces enfants dans leur propre communauté d’origine. Nous savons tous combien l’organisation des journées culturelles, telles qu’elles sont faites, quand elles sont organisées dans un contexte villageois, s’exprime souvent sur un mode empirique, sans réflexion sur la langue, sur la signification de tel ou tel élément culturel ou encore sur l’importance d’une danse ou d’un chant donné. Or… pour faire connaître une culture, il ne suffit pas que celle-ci se voie ou se manifeste sous notre regard. C’est déjà bien, je le concède. Mais il serait tout aussi essentiel que des mots soient inscrits sur ces micro événements pour essayer de faire prendre conscience aux jeunes comme aux moins jeunes, nés ici ou venus très tôt en France, de la réelle richesse de cette culture du pays d’origine. Qui parmi les parents présents à ce rendez-vous de Villejuif, car il y avait en majorité des hommes d’âge mûr, aura parlé à ses enfants, en rentrant chez lui, de ce qui s’est dit lors de cette journée ? Qui ira expliquer à son petit Aboudou qu’il existe des entrepreneurs, organisant intelligemment ou non le fret aérien pour aller aux Comores ? Qui bousculera ses habitudes, afin d’amener la prochaine fois son fils ou sa fille dans une telle journée ? Qui même aura acheté parmi ces quelques trentaines de personnes conviées le petit conte pour enfant en français et shiganzidja, qui était pourtant disponible sur place ?

Journées culturelles associatives, respectivement, de gauche à droite : Sevran, Paris, Lyon. La photo en une a été prise lors d’une journée de la PFAC 93 en Seine Saint-Denis.

Eviter le dialogue de sourd ! Le vrai problème entre les Comoriens de France et leurs enfants, nés ici ou venus très tôt dans l’Hexagone, tient en fait en un mot : l’éducation. Celle que nous recevons ne nous donne pas les moyens de comprendre ce qui se passe au pays, ni de saisir ce que veulent nos parents. Quelle éducation veut-on donner à ses enfants ? Telle est la vraie question. Quelle passerelle veut-on créer entre nos parents et nous ? Tel est son pendant. Quel échange est à créer entre les deux « mondes » et dans quels buts ? Telles pourraient être les interrogations, qui viendraient prolonger le débat. Car s’il est vrai que c’est déjà une réussite d’avoir pu faire accéder à ses enfants à une langue étrangère – langue maternelle des parents en l’occurrence – on ne peut pas dire pour autant que ces enfants sont parfaitement intégrés à cette communauté comorienne. Bien qu’on puisse parler très bien le Comorien et penser à l’Occidentale… Ce qui correspond à un handicap [la langue] pourrait d’ailleurs devenir une richesse. Certains en ont pris conscience, en élaborant des ouvrages mixtes où se trouvent des contes en comorien et en français. Soit dit en passant, je suis persuadée que cela donne à nos enfants une facilité dans la traduction d’autres langues. Il n’y a qu’à voir nos petits frères et sœurs, qui, même s’ils ne font que comprendre le comorien, n’ont pas trop de mal à traduire spontanément des chansons en anglais, par exemple. Ayant l’habitude de saisir une autre langue à la maison, ils ne sont pas bloqués par des idiomes propres à chaque langue.

Durant la rencontre, je suis intervenu pour demander que les débats tiennent compte de notre présence et se fassent donc en français. Je l’ai ressenti aussitôt… Mon intervention a soulevé un tollé dans l’assistance, auprès de quelques personnes qui n’admettent pas notre méconnaissance du Comorien. Mon intervention a cependant suscité une certaine tolérance chez d’autres personnes, qui m’ont encouragé à continuer dans ma quête [Car c’est une quête où je repousse sans cesse les limites de mon ignorance]. Les débats ont continué en Comorien, les intervenants assumant complètement ma « ghettoïsation »linguistique… Mais ce n’est pas grave. Les échanges ont continué à être intéressant d’après ce que j’en ai compris, et j’ai complètement adhéré à l’essentiel des propos échangés. Ce récit n’en reste pas moins une lettre ouverte dans le but d’insister sur cette barrière linguistique, érigée entre nous et les autres Comoriens, nos parents, nos aînés, nos amis. Une lettre ouverte que je n’ai pu écrire qu’en français, mon seul médium – pour l’instant – pour atteindre le maximum de monde au sein de cette communauté. Je remercie bien sûr les organisateurs de cette journée Diascom. Car j’ai pu réfléchir avec eux sur la dynamique à mettre en place. Mais c’est vrai que j’en attendais beaucoup plus. Les travaux prévus en matinée n’ont pas eu lieu. Comme l’a dit un intervenant, c’est parce que les gens ne sont pas venus. Nous étions dimanche et la mobilisation tôt le matin a été difficile. Après presque trente années de réflexion, car il y a eu l’Asec auparavant, on devrait pourtant être disponible pour agir autrement et remettre les cerveaux au travail. Pour constituer un groupe de travail, il ne faut pas être un million, mais quatre ou cinq! C’est faisable, même si certains n’arrivent pas à se lever tôt le dimanche. Choisir un thème de travail, mettre en commun les idées, faire des propositions finales, en regroupant les différentes cellules de réflexion, sont les points de départ de toute rencontre du genre, parce que finalement ce travail que je suis en train de faire par l’écriture aurait pu très bien se faire oralement dimanche dans un débat de groupe et se théoriser, si je puis m’exprimer ainsi, ensuite en assemblée plénière l’après-midi comme prévu ! Ce serait aussi « ça » notre contribution au devenir communautaire. Pouvoir être réactif face aux débats en cours. Alors, question : est-ce vraiment illusoire de croire qu’un dialogue est possible entre nous ? Je ne le crois sincèrement pas. Et pour tout vous dire, j’ai beaucoup appris ce dimanche 19 mai à Villejuif ! Si je n’étais pas venu, ce ne serait pas le cas. Vous en pensez quoi, vous ?

Hadji Zoumrata