Remparts, histoire et travail de revalorisation

Activiste dans le cadre de la défense sur le patrimoine, Mohamed Mboreha Selemane partage sa réflexion sur la question des remparts. Architecture militaire, aujourd’hui laissée à l’abandon, dans l’ensemble du pays.

L’histoire politico-culturelle entre les Comores et  Madagascar est marquée par les périodes dites des razzias, entre le  XVIIIèmeet le XIXèmesiècles[1]. Plus de deux siècles ont marqué cette période mouvementée. De ces incursions résultent l’édification des remparts dans l’archipel. Des architectures militaires. Des monuments au caractère archéologique certain. Du point de vue de l’histoire, de l’art et du patrimoine, ces constructions – bâtis riches, topographiquement variés, associant des techniques arabo-swahilie – remarquables, d’un point de vue architectural, restent en marge de toute politique de protection et de mise en valeur de la part des autorités, municipales, insulaires et nationales. 

Elles sont en proie à des processus de dégradation accélérée, possiblement irréversible, si une gestion sereine et urgente n’est pas envisagée. Ce phénomène de dégradation est lié à plusieurs raisons. La surpopulation des cités à rempart, au sein desquelles le béton a pris le dessus dans le paysage, d’abord. L’anarchie des constructions actuelles et le manque d’un plan directeur d’urbanisme, l’absence d’un plan d’aménagement du territoire. Ensuite, l’insalubrité évidente gagnant les sites, si peu entretenus, enfin, traduisent le désintéressement total des autorités, à toutes les échelles de responsabilités.

Un bout de ngome à Fumboni, Mwali. Lentement, le béton fait son entrée et englouti les vestiges du passé.

A l’origine de cette architecture militaire, une conjoncture à caractère économique. Le développement de l’industrie de la canne à sucre dans les Mascareignes au XVIIème  siècle à généré un besoin incontestable de travailleurs[2]. Les malgaches, forts de leurs expériences et connaissances de la mer, se sont alors constitués en confédération, rassemblant des ethnies betsimisaraka et sakalava, pour entreprendre des expéditions aux Comores à la recherche de cette main d’œuvre. Vérin P. et Wright H. situent les premièresédifications contre les intrusions de cette coalition malgache à Maore. Il y a eu Dzaoudzi vers 1790, puis Mutsamudu, Ouani et Domoni, ainsi que Fomboni[3].

A Ngazidja, le premier combat entre envahisseurs et autochtones a eu lieu à Fumbuni, au sud de l’île, selon le manuscrit d’Abdul Hâtif[4]. A la fin de ce duel, le sultan Fumnao (XVIIIèmesiècle) ordonna au peuple d’édifier les premiers remparts. Ses vassaux se mirent aussitôt au travail. Ils brûlèrent la chaux et édifièrent en un temps record ces remparts. Six cités suivront le mouvement, par la suite : Iconi, Moroni, Itsandra Mdjini, Ntsudjini, Ntsaweni, et Mitsamihuli Mdjini. Un patrimoine, aujourd’hui laissé à l’abandon. Vouloir le réhabiliter exige une politique et des moyens. Ce dernier point impliquerait davantage les politiques à tous les stades de décision. Ce qui suppose un travail d’analyse en profondeur sur les questions de conservation et de restauration du patrimoine, en lien avec le développement du pays, notamment dans le secteur du tourisme culturel.

Les acteurs locaux – structures communautaires et associations œuvrant pour le patrimoine – doivent être mis au premier plan pour toute initiative, liée à la gestion, à la protection et à la conservation de ce patrimoine. Avec un plan de réhabilitation et d’aménagement des sites. Il est tout aussi important de revoir les textes existants. De les renforcer en tenant compte des normes et règles au niveau international. Il est probablement nécessaire de reconnaître et de considérer certaines « dits verbaux »[5]coutumiers et locaux ? 

La muraille de la citadelle de Mutsamudu, aujourd’hui restaurée.

Force est de constater que les autorités coutumières comoriennes construisaient et assuraient, en effet, la sauvegarde du patrimoine mobilier comme immobilier, sans savoir son importance culturelle, et ceci, bien avant les lois modernes de protection, le concernant. Ces « dits verbaux » favoriseraient la prise de conscience du grand public (femmes, enfants et adolescents) de chaque communauté détentrice du patrimoine culturel. Elle va ramener à une reconnaissance légitime des normes locales séculaire « des dits verbaux » Le comoriens lambda du moins celui de Ngazidja préfère être envoyé en prison que de subir l’ostracisme de la société comorienne.

Un des éléments sur lequel il faudra sans doute se pencher concerne les enjeux environnementaux. En Union des Comores, le niveau de la mer augmente de 4 cm/an, selon les données du ministère de la production des Comores[6]. Force est de constater que les remparts militaires à Ngazidja se situent sur les zones côtières. En cette période de grande dérégulation climatique, l’eau atteint les structures. Les vagues et les vents violents – deux éléments érosifs – sont eux aussi de la partie. Les déchèteries sauvages (ordures ménagères et produits dérivés du plastique), les plantes rampantes et envahissantes, viennent compléter le tableau des éléments destructeurs de ce patrimoine militaire.

A cela, s’ajoute la destruction délibérée des structures par des individus mal intentionnés. Donc, si rien ne se fait urgemment, le pays risque de perdre la valeur intrinsèque de ces structures. Ces remparts constituent un pan de l’histoire des Comores. Ces architectures militaires, aussi appelées « ngome », méritent d’être préservées et d’être transmises aux générations futures. Les résultats escomptés au travers de ce travail peuvent engendrer une très grande valeur ajoutée aux dynamiques des communautés détentrices de ces remparts, et également bénéficier à l’ensemble du pays.

Selemane Mohamed Mboreha


[1] MARTIN Jean, Comores quatre îles entre pirates et planteurs, Tome 1, Razzias malgaches et rivalités internationales, fin XVIIIème et 1875, L’Harmattan. Paris 1983

[2] MARTIN Jean, Comores quatre îles entre pirates et planteurs, Tome 1, Razzias malgaches et rivalités internationales, fin XVIIIème et 1875, L’Harmattan. Paris 1983

[3] Vérin H. et Wright H .  « Contribution à une étude des anciennes fortifications de l’île de Ngazidja in étude OI 1984 » 

[4] VERIN Pierre, « Guerres civiles comoriennes et invasions malgaches au début du XIXème siècle, d’après le manuscrit d’Abdoul Hatif Ben Sultan Msa Foumou », Dans bulletin des études africaines de l’Inalco Vo. I N°1.1981. pp149-160.

[5] Ici, nous appelons « dits verbaux » le phénomène traditionnel comorien qui consiste à  Excommunierquelqu’un. Dans la société traditionnelle comorienne, il est courant qu’une personne de classe d’âge (HIRIMU) supérieur à vous, vienne vous dire que désormais, vous ne faites pas parti de nous.  Vous êtes donc ostraciser. En comorien cela s’appelle malapvo. D’ordinaire, le Comorien préfère être emprisonné au lieu de subir ye malapvo.

[6] 2017.

L’image en Une figure un bout de remparts de la cité d’Itsandra, aujourd’hui menacée par l’arrivée du béton.