La démocratisation des studios d’enregistrement et la maîtrise des technologies offertes par le monde de la musique ont permis l’émergence d’une pléthore d’artistes inclassables, qui ne sont par ailleurs ni musiciens, ni compositeurs, au sens strict. De jeunes artistes, tous chanteurs, qui misent sur le play-back, le show scénique et un parler franc pour s’imposer au public. Ils se nomment Djobane Djo, Dj Anzi ou encore Embargo et rencontrent un succès inhabituel auprès du public comorien. Entretien sur ce phénomène qui grandit de jour en jour avec Salim Ali Amir, artiste d’envergure nationale et numéro deux de Studio1, l’un des tous premiers studios de la place[1].
Une vraie surprise avec ces jeunes ?
La multiplication des studios contribue énormément à ce phénomène. Au début, lorsqu’on a ouvert les premiers studios, c’était pareil. De nombreux artistes méconnus se sont faits connaître. Il y a eu émergence de nouveaux talents. Mais ce qui a changé aujourd’hui, c’est que nous sommes rentrés dans l’ère de l’informatique. Pour beaucoup, il suffit parfois de rentrer quelques infos dans l’ordinateur pour qu’il y ait une nouvelle chanson à la clé. Il leur suffit d’une note pour se proclamer « auteur ». Ils n’ont pas de répertoire bien établi. A peine quelques chansons. Ce sont des artistes qui ne travaillent aucunement leur musique. Aucune recherche dans les compositions. Les mélodies se sont appauvries. Les arrangements ne leur prennent pas trop de temps.
Qu’est-ce qui explique l’engouement du public ?
Je dirais une chose pour commencer. C’est que ce phénomène a son côté positif. Il permet à ces jeunes d’avoir une occupation. Il y eut un temps où c’était le sport qui devait les occuper. Maintenant, il ne faut pas oublier que ce ne sont pas des choix d’artistes qu’ils opèrent dans leur musique. Ce n’est pas un métier pour eux. C’est une activité qui les autorise à se distinguer, à mieux se faire voir auprès de leurs amis, à bénéficier d’une certaine considération auprès d’autresjeunes. Ils parlent à desjeunes comme eux, d’unefaçon directe. Vous verrez,par exemple, que leurschansons sont souventécrites pour plaire auxjeunes filles. On dirait parfois de simples lettres d’amour ou des conversations mises en musique. Aucun travail sur la langue. Je parlerais même d’appauvrissement de la langue. Il leur arrive de mettre du français dans le texte comme pour remplacer ce qu’ils ne savent pas dire en comorien. Aucune poésie. Beaucoup plus de vulgarité aussi. Avec des insultes, parfois. D’ailleurs, Radio Comores refuse de diffuser leur musique à cause de ça. Elle les sanctionne presque. A cause de choses comme « kamni buliya be mshenzi ngulilo/ na lile mtswa uruwa ». C’est vrai que les autres radios accompagnent ce mouvement, mais c’est parce qu’elles n’ont pas de répertoire à diffuser. Donc elles prennent tout ce que ces jeunes ramènent, quelle que soit la qualité du son.

Djobane Djo présenté sur son blog en 2009.
Leur répertoire, disiez-vous, se réduit, par moments, à une simple programmation sur ordi. N’avez- vous pas l’impression que le métier lui- même en prend un coup dans le pays ?
J’aimerais que ces jeunes se rendent comptent qu’il n’y a plus de relève dans la musique aux Comores. Ils veulent tous chanter. C’est bien. Mais il n’y a plus d’instrumentistes. Même les artistes établis connaissent le problème actuellement. Il y a peu de musiciens qui peuvent les accompagner. C’est la mort du live. Les studios sont là et font tout à leur place. Alors qu’on devrait encourager la pratique instrumentale. Un peu comme ce que Gormos vient de faire, il y a quelques temps, en lançant une école à Mboueni pour apprendre à jouer de la musique. Il n’y a pas de musique sans musiciens. Ces jeunes doivent apprendre à jouer d’instruments, et non continuer à faire du play-back sur scène.
La faute en incombe quelque peu aux studios. Pour disposer de plus de clients, ils ont été obligés de prendre complètement en charge les artistes, au point de faire le travail à leur place. Ces derniers se sont laissés prendre au jeu et ce qui devait être un argument marketing est devenu un encouragement à la paresse…
Quand on a ouvert les premiers studios aux Comores, le problème ne se posait pas. On travaillait avec des groupes et des répertoires existants. On s’occupait des arrangements, mais le groupe avait une vision de sa propre musique. Il avait son mot à dire. Un débat s’ouvrait avec ces groupes. On les assistait, mais il y avait une volonté chez eux de défendre un répertoire bien déterminé. Avec le phénomène dont vous parlez, les choses se passent autrement. Beaucoup de studios, aujourd’hui, ne pensent la musique que sous l’aspect du business. Une chanson s’enregistre au prix de 25 à 30.000 francs comoriens. Le type de musique qui interpelle ces jeunes n’a rien de sorcier. On en connaît bien la recette. Il suffit pour ces studios d’aligner les morceaux sur ordinateur pour donner l’impression de produire beaucoup. Cela appauvrit la qualité des enregistrements. Certains disent que le métier est dévalorisé. Nous, on est mal placé pour dire une telle chose. Je ne vois pas sur quelles bases nous nous proclamerions meilleurs qu’eux.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
[1] Article paru initialement dans le journal Kashkazi du 11 août 2005, qui rendait d’un phénomène qui a beaucoup influé sur les scènes actuelles dans l’archipel.