Zanatany à l’affiche at Rotterdam

Au festival international du film à Rotterdam (IFFR), la semaine dernière, s’est tenue la projection (première mondiale) de Zanatany, l’empreinte des linceuls esseulés, le dernier projet réalisé par la franco-comorienne Hachimiya Ahamada. Un court-métrage produit par The Blue Raincoat, évoquant la mémoire des Comoriens de Majunga en l’année 1976. «  Un vent de révolte traverse la ville. Ali, chef-second dans un atelier de reliure, élève seul ses deux filles adolescentes. Un matin, avant d’aller travailler, il est témoin de ce qui semble être une simple dispute de voisinage… » lit-on en résumé dans le programme du festival. Échanges avec la réalisatrice.

Un film sur les massacres de 1976 ?

Ce n’est pas un film « sur ». Le film n’est pas écrit avec cette frontalité-là. 
C’est un film « avec ». J’ai commencé l’aventure longuement très seule et quand c’était le moment c’est devenu une aventure collective avec les Majungais.

Derrière le pitch du film, un terrible questionnement…

Le film suit Ali, un père veuf qui a une relation fusionnelle avec ses filles. Ils sont témoins de ce qui semble être une simple discorde de voisinage. Le film raconte une montée en tension graduelle dans l’univers d’Ali. 
La raison du film. Je suis tombée sur des photos de famille en noir et blanc qui avaient attisé ma curiosité. Je découvrais que la famille du côté de ma mère vivait dans le passé à Madagascar. Après des recherches et avoir compris la raison de leur départ, j’avais envie de comprendre pourquoi la nostalgie de vie là-bas dépassait le fait historique.

Comment retrouver le fil des événements derrière ce qui peut être considéré comme un « effacement de la trace » ?

Je perçois les choses autrement. Je ne pense pas qu’il y ait une volonté d’entretenir l’oubli. Le travail du cinéaste consiste à rendre visible, les choses invisibles ou imperceptibles. Les traces qui paraissent effacées restent présentes en filigrane. Nos histoires sont racontées sous diverses formes artistiques. S’il y a un réel intérêt et une vraie écoute de nos histoires, tout se révèle. Il faut savoir par quel angle aborder tel ou tel sujet et savoir s’adapter au tempérament de chacun. S’il y a un entretien d’oubli comme vous dites c’est que c’est significatif d’un désintérêt de nos histoires et de nous-mêmes.

Pendant le tournage à Majunga (© H.A).

Aussi incroyable que cela puisse paraître, aucune archive de ces événements de 1976 n’existe, aussi bien à Madagascar que dans l’archipel…

Il faut alors chercher les éléments ailleurs. Il y a les brèves ou les articles de journaux internationaux d’époque. Des étudiants ont écrit des mémoires sur le sujet. Chez des particuliers il y a peut-être des photos de cette période. Les témoignages peuvent prendre la place des archives manquantes. Plus on cherche et plus il y a des découvertes minimes soit elle mais ça apporte la pierre à l’édifice.

À l’arrivée à Moroni, ceux qui deviendront plus tard les sabena, sont sommés de se présenter, de dire qui ils sont, au micro de Radio Comores. Comment comprenez-vous le fait qu’il n’y ait aucune archive sonore sur le sujet, aujourd’hui ?

Après 47 ans, à part l’usure des supports sonores et le manque de moyen pour restaurer ces archives, je ne vois pas d’autre raison.

Ce projet cinématographique, vous le portez depuis plus de dix ans.

C’était peut-être le temps qu’il fallait pour ce type de projet. J’ai appris qu’avec beaucoup de patience et de la détermination on arrive au bout d’un projet. C’était une forme d’endurance. Ce temps long de gestation de projet tient plus du fait de la recherche de financement en cinéma d’autant que le film a été tourné en pellicule. Ceci dans un souci de restituer l’atmosphère de cette époque. Cela tient aussi du fait d’assumer sur un format court la complexité des enjeux communautaires autour du personnage principal.

Pendant le tournage à Majunga (© H.A).

Comment analysez- vous la difficulté de créer à partir d’une mémoire que tout le monde récuse d’une certaine façon ? A Majunga notamment…

Je ne sais pas qui vous désignez dans « le tout le monde ».
 Le défi pour moi était de pouvoir tourner dans la ville pour sa symbolique. Ça a du sens d’avoir effectué le tournage là-bas. Sur place, au final, je n’ai pas eu l’impression que cette mémoire était récusée par les personnes que je rencontrais. Pendant mes repérages, certes j’ai d’abord ressenti de la peur quand on aborde le sujet (moi-même j’avais peur), mais ensuite j’ai surtout ressenti une envie de comprendre et de s’écouter. De collaborer ensemble à un projet de film.
 Sur place, de bons alliés m’ont accompagné car eux aussi avaient soif de connaître la vérité. Le tournage de ce film était une véritable aventure humaine. Le temps s’est arrêté pour laisser la place au film. C’est ce que j’ai envie de retenir.

Vous l’avez évoqué plus haut. Le choix de la pellicule traduit-il une volonté de retrouver un certain type d’images que le tout numérique est venue écraser de nos jours ?

Ce support permet une meilleure immersion dans l’univers du film. Sentir au plus près une ambiance des années 70 qu’avaient connues les Majungais. Retrouver ces couleurs vives qui suscitent en nous ce sentiment de nostalgie. Au final, restituer aujourd’hui les souvenirs personnels d’Ali plus âgé.

Peut-on penser que vous faites un travail d’archéologie à travers votre cinéma ?

Non. Je ne suis pas historienne. Je poursuis en cinéma ma démarche de quête identitaire. Dans la première partie de mon travail, je rendais hommage à mon père et j’essayais de comprendre la raison de l’exil. Dans ce dernier film, je veux essayer de comprendre les trajets de vie de la famille du côté maternel. Puis les enjeux d’une diaspora qui se trouve aujourd’hui loin de sa terre de naissance et de sa terre d’origine pour certains par un second départ vers l’ailleurs.

Une partie de l’équipe de tournage sur le chemin du retour (© H.A).

Vos parents ont vécu à Madagascar ?

Ma famille maternelle avait vécu à Madagascar. Mes grands-parents se sont installés à Majunga et y ont fondé leur famille. Mes tantes et mes oncles sont tous nés dans cette ville et y ont vécu jusqu’à l’âge adulte. Puis, ensuite est venu leur descendance. Les trois générations ont dû partir après les évènements.

Vous y avez encore des liens ?

A ma connaissance, il n’y a plus personne à Majunga car ils vivent dorénavant aux Comores.

L’aboutissement de ce dernier projet annonce-t-il de meilleures perspectives pour vos prochains ou bien vous faut-il à nouveau partir à la recherche de moyens, comme au premier jour ?

Je souhaite mettre un place un premier long-métrage de fiction en France, mais toujours en lien avec la diaspora comorienne. Le processus de création prend plusieurs années. Effectivement, j’ai pris conscience que c’est toujours comme au premier jour.

Zanatany va probablement circuler de festival en festival à l’étranger, très peu dans l’Océan indien où la diffusion du cinéma paraît très complexe. Y avez-vous pensé ? Comment comptez-vous aller à la rencontre de ce public ?

La diffusion du film commence à peine. Je ne connais pas encore son trajet.

Propos recueillis par Farhat Zineb

+Bande-annonce : Zanatany