Au-delà du voile, c’est le statut de la femme qui a changé, sous le régime Ali Soilihi. Un article de Lisa Giachino, paru dans le numéro 1 du journal Kashkazi, le 4 avril 2005. Le site du Muzdalifa House trouve essentiel de rassembler quelques-unes des contributions consacrées à cette période oubliée de l’histoire comorienne en ligne. Au nom de la mémoire en partage.
La curiosité. Voilà ce qui a poussé Mariama Abdou à s’engager dans la révolution. La jeune fille de 19 ans ignorait que ce serait pour elle le moyen de conquérir un autre statut que celui auquel elle était promise. « Avant de partir en vacances, on est venu nous proposer de participer au développement. Le premier jour, on m’a envoyée en tournée. Je suis rentrée à 23 heures alors que je n’avais jamais quitté le village sans ma famille. Un scandale ! » Outre la découverte de la mixité, la lycéenne a du apprendre à assumer ses propres choix… alors qu’elle avait plutôt l’habitude d’obéir. « Mon père disait aux gens qu’il n’avait plus de fille, que j’avais été tuée à Mahajunga. J’étais l’aînée, destinée au grand-mariage, et j’avais été élevée dans cette idée, préparée à être une femme- objet. Mon père ne m’avait pas retirée de l’école uniquement parce qu’un oncle et un cousin l’a- vaient engueulé. Il voulait me préparer à être mère. »
Aujourd’hui, Mariama Abdou est directrice de la Caisse de retraite. « Cette force d’aller de l’avant, je l’ai puisée dans le combat, dans ce qu’on nous dis ait, que la femme pouvait mieux faire. Ali Soilihi ne voulait pas que la femme soit un objet. Il lui a permis de prendre conscience qu’elle pouvait être maçonne ou chauffeur, et pas seulement enseignante, sage-femme ou secrétaire »
Mataïn Abdoulafourou, elle aussi l’aînée de sa famille, a vécu un peu la même histoire : « Ma tante a brûlé mes vêtements pour m’empêcher de sortir ! »Aujourd’hui Directrice de la planification à l’éducation nationale, elle retient surtout la scolarisation massive lancée pendant la révolution : « C’est grâce à ça qu’aujourd’hui 47% des élèves sont des filles. Ali Soilihi savait qu’un pays ne pouvait pas se développer si la moitié de sa population restait sans éducation ni travail. »
L’INTERDICTION DU BWIBWI, QUE LES DEUX JEUNES FILLES PORTAIENT jusqu’à la révolution, est restée dans les mémoires. Selon Soilihi ce voile couvrant le visage, hérité des riches familles arabes, était le symbole de la dépendance des femmes : il les gênait dans leur travail, les empêchait de prendre part à la vie publique et laissait donc supposer que les filles ou épouses ne pouvaient subvenir à leurs besoins sans les hommes. Alors qu’il voulait qu’elles « consolident leur autonomie, qu’elles rendent obligatoire leur liberté : c’est-à-dire qu’elles puissent travailler, produire, s’enraciner dans la vie matérielle du pays. »La chute du régime a mis fin à de nombreuses réformes, mais les visages des femmes sont restés découverts.
Lisa Giachino